LE GÉNÉRAL LINIEVITCH

Commandant en chef des troupes russes en Mandchourie


Après l'échec devant Moukden, le général Kouropatkine a demandé au tsar de le relever de son commandement.
Le Petit Journal a rendu compte de la séance dans laquelle l'empereur fit part de la nouvelle aux membres de son conseil de guerre :
« Kouropatkine, dit Nicolas II, est dans une détresse morale qui, à cette heure, double, à mes yeux, le prix que je dois attacher aux services réels qu'il n'a cessé de rendre pendant cette dure campagne.


» Il m'offre sa démission, messieurs.

». Le malheur de votre camarade ne doit point vous faire oublier sa valeur. J'en appelle à votre équité autant qu'à votre expérience militaire. Je vous autorise à discuter immédiatement le maintien de Kouropatkine à la tête des armées de Mandchourie. »


Tous les généraux étaient émus. Plusieurs avaient les larmes aux yeux.
Cependant, sur les conclusions du général Dragomiroff, le rappel de Kouropatkine fut décidé ; et, à l'unanimité, le conseil désigna le général Liniévitch pour lui succéder.
Kouropatkine, cependant, restera en Mandchourie. Sur sa demande, le tsar lui a donné le poste de chef de la 1er armée, où il remplacera le général Liniévitch; et c'est un beau trait de simplicité et de grandeur d'âme que celui de ce généralissime qui accepte une fonction subalterne sous des ordres de son ancien subordonné, afin de continuer à servir sa patrie.

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Le général Liniévitch est né en 1838 ; en dépit de son âge et de ses nombreuses blessures, qui le condamnent à ne marcher qu'avec une canne, il est resté plein de vaillance et d'activité. Sorti du collège de Tchernigof, après y avoir terminé son instruction, il ne passa par aucune école militaire et porta pendant ses années de débuts militaires la chinèle du simple soldat. Il commanda pendant cinq ans (1895-1900) les troupes de la région de l'Amour, et fut placé à la tête du corps dit, « de Sibérie », lorsque ces troupes furent réunies en un corps d'armée (1900). Il prit part avec elles à la campagne de Chine et se trouva le premier sous les murs de Pékin, avec le général Frey qui commandait les troupes françaises. Revenu à Vladivostok et fait commandant en chef de la circonscription de l'Amour, lorsque le général Grodekoff passa de cette circonscription au conseil de l'empire, il cumula ces nouvelles fonctions pendant trois ans avec le commandement du 1er corps sibérien. Commandant de l'armée de Mandchourie par intérim, au mois de mars 1904, il avait dû remettre, non sans amertume, ce commandement à Kouropatkine pour regagner Vladivostok. En novembre, il reparaissait de nouveau sur le théâtre des hostilités, comme commandant de la 1er armée.
Le général Liniévitch est très populaire dans l'armée, dont il a partagé les fatigues et les dangers depuis cinquante ans. Ses soldats, fiers de leur général, sorti du rang, ont pour lui une affection véritable.
Il assume la lourde tâche de reconstituer l'année, de défendre kharbin et de relever le prestige des armées russes.
Puisse-t-il y réussir ! Tous les voeux des amis de la Russie sont avec lui.

Le Petit Journal illustré du 2 avril 1905