CRUELLES REPRÉSAILLES DES JAPONAIS EN MANDCHOURIE

Exécution de fonctionnaires chinois accusés de sympathie pour les Russes


Depuis le début de la guerre entre la Russie et le Japon, la population de la Mandchourie est livrée, à toutes les incertitudes et ne sait de quel côté tourner ses espoirs et ses voeux.
Un correspondant de guerre, qui se trouvait à Moukden avant les événements qui livrèrent cette ville aux forces japonaises, écrivait plaisamment que le pendule donnait une idée assez exacte de l'état d'âme mandchou.
« Le Mandchou, disait-il, oscille du Russe au Japonais. Les Japonais remportent-ils quelque avantage, même à des distances considérables? Le mandchou, peu versé en géographie ou en science militaire, s'imagine qu'ils vont être là le lendemain, mais, comme ils n'arrivent ni le lendemain ni le jour suivant, il leur diminue sa confiance et pense que, décidément, les Russes ne s'en iront pas. C'est assez, pour transformer son opinion, d'un bataillon russe qui traverse la ville en chantant. »
La confiance que quelques-uns des fonctionnaires chinois de Liao-Yang avaient ouvertement témoignée aux Russes leur fut d'ailleurs fatale. Les Japonais, qui avaient dans la ville des espions merveilleusement renseignés, s'emparèrent de ces mandarins russophiles et condamnèrent à mort ces malheureux dont la faute avait été surtout de subir les volontés des maîtres du moment.
Le correspondant du Petit Journal en Mandchourie a envoyé un comte rendu de cette exécution à laquelle assistait l'état-major japonais.
Les prisonniers, revêtus d'une ample kéaou, de couleur havane, avaient les mains liées derrière le dos. Ils étaient attachés deux par deux, au moyen de leur natte ; leurs pieds portaient de solides entraves qui ne leur permettaient d'avancer qu'à petits pas.
C'est dans cet attirail, et escortés d'une section d'infanterie commandée par un lieutenant, que les condamnés sont arrivés sur le lieu du supplice.
Suivant la coutume de la race jaune, on avait creusé, à proximité du poteau fatal, six fosses de cinq pieds de profondeur.
Armé d'un coupe-coupe dont le pommeau est recouvert d'une corde tressée, le bourreau a pris livraison de chacun des patients.
Tour à tour, les aides, s'emparant de l'un des condamnés, le forçaient à s'agenouiller devant le poteau - un morceau de bambou fiché en terre.
Un large moulinet du bourreau, un coup mat sur la nuque, une gerbe de sang, un corps s'affaissant sur le sol et justice était faite.
L'exécution terminée, les corps furent ensevelis dans les fosses, la tête exsangue placée sur la poitrine, les bras relevés sur le cou pour cacher la section du coupe-coupe.
Et, les troupes de piquet défilèrent ensuite la parade.
Tel, fut 1e cérémonial de cette sextuple exécution qui a dû produire une profonde impression sur les populations chinoises fixées en Mandchourie.
Les Japonais n'hésitent pas, on le voit, à sévir avec une rigueur impitoyable contre leurs frères de race jaune qu'ils soupçonnent d'être de connivence avec l'ennemi de leur pays, bien qu'ils se présentent devant ces derniers comme des libérateurs.
Ces cruautés n'empêchent pas les Mandchous d'être, en général, japonophiles. Oublieux des bienfaits sans nombre dont l'organisation russe a comblé leur pays, ils appellent de tous leurs voeux le conquérant jaune parce qu'il a avec eux des affinités de race et de moeurs.
Et ce faisant, les Chinois oublient de mettre en pratique l'un des plus judicieux de leurs axiomes populaires :
« De bons voisins sont préférables à des parents éloignés. »

Le Petit Journal illustré du 23 avril 1905