S. M. ALPHONSE XIII, ROI D'ESPAGNE
Dans quelques jours, S. M. Alphonse XIII sera l'hôte
de Paris et de la France. C'est la première fois que le jeune souverain,
quitte son royaume, et les correspondances d'Espagne nous assurent qu'il éprouve
une grande joie à la pensée d'accomplir ce premier grand voyage
officiel dans un pays qu'il aime et dans la grande ville vers laquelle, depuis
longtemps, vont tous ses rêves et tous ses désirs.
On sait quel empire exerce le nom de Paris, sur les jeunes imaginations. Alphonse
XIII a dix-neuf ans, âge heureux où les souverains eux-mêmes
ne sont pas encore blasés sur les joies des voyages, les solennités,
les fêtes, les réceptions, si officielles qu'elles soient. C'est
dire qu'il considère non sans plaisir la Perspective des quelques jours
qu'il va passer dans notre pays où l'accueil le plus chaleureux lui
est réservé.
Alphonse XIII eut une enfance chétive, mais grâce aux soins de
la régente Marie-Christine, qui fut une mère admirable, c'est
aujourd'hui un beau cavalier, svelte, élégant, passionné
pour la vie au grand air et fervent de tous les sports.
Son éducation physique est parfaite. Il monte à cheval et conduit
une automobile avec la même maëstria ; à la chasse, il est
doué d'un coup d'oeil et d'un sang-froid peu communs. Son éducation
militaire n'est pas moins remarquable, et son goût prédominant
pour tout ce qui touche à l'armée se manifeste en toutes circonstances.
Quant à son instruction générale, elle est fort étendue.
Il parle couramment le français, l'anglais et l'allemand, et s'intéresse
tout particulièrement au mouvement littéraire et artistique
de notre pays.
On a remarqué à plusieurs reprises que, dès l'enfance,
Alphonse Xlll témoignait d'un sentiment très vif de sa responsabilité
et de ses devoirs royaux.
-yo soy el rey! «Je suis le roi! » répétait-il
avec obstination, lorsqu'il lui plaisait de résister aux volontés
de sa gouvernante.
Dès que fut proclamée sa majorité, il donna de nouvelles
preuves de cette fermeté, et certains grands personnages du gouvernement
espagnol, notamment le général Weyler, ministre de la guerre,
reçurent parfois de dures leçons de cet enfant. Voici,
à ce sujet, une anecdote des plus caractériques :
Un jour, de grand matin, une
détonation formidable retentit en plein Madrid, ébranlant les
fenêtres du palais. Une poudrière voisine venait de sauter, et
l'explosion avait fait de nombreuses victimes. Alphonse XIII s'élance
sur un cheval, accourt sur le lieu de la catastrophe, organise le sauvetage
et se retire après avoir distribué les premiers secours. A midi,
au conseil des ministres, le général Weyler, instruit par un
rapport de service, prend la parole :
- Sire, un affreux malheur, dont je vais exposer les détails à
Votre Majesté...
- C'est inutile, général, interrompt le roi, vous n'y étiez
pas et j'y étais.. .
D'autres faits pourraient s'ajouter à celui-ci pour prouver que le
jeune roi est un homme de coeur. Et, tout récemment encore, lors de
l'éboulement du réservoir de Madrid, une de nos gravures en
couleurs ne le montrait-elle pas, d'après des documents authentiques,
sur le lieu de la catastrophe, organisant le sauvetage et portant les premiers
secours aux victimes ?
En la personne de ce jeune souverain, qui comprend si bien ses devoirs et
qui les accomplit si noblement, la France sera heureuse de saluer l'Espagne,
sa soeur latine, à laquelle la rattachent tant de belles traditions
de vaillance, de chevalerie et d'honneur.
Le Petit Journal illustré du 14 Mai 1905