HONNEUR AU COURAGE MALHEUREUX !


L'amiral Togo rendant visita à l'amiral Rojdestvensky à l'hôpital naval de Sasebo

Les Russes s'accordent à reconnaître que le Japon traite dignement et humainement ses prisonniers, et que les malades et les blessés sont très bien soignés dans les hôpitaux nippons.
Ces hôpitaux, sont, d'ailleurs, très bien organisés.
Un correspondant de guerre rapporte qu'il en a visité plusieurs, et qu'il a été vivement frappé de leur perfection. Il est impossible, dit-il, de voir des salles mieux tenues et mieux aérées. Tout est d'une propreté méticuleuse et l'ordre le plus parfait règne dans l'administration.
Les infirmières japonaises lui paraissent les meilleures du monde entier. Leur douceur et leur patience sont merveilleuses, et comme pourtant, chose curieuse, elles sont assez indifférentes à la souffrance, elles gardent un sang-froid extraordinaire dans les circonstances les plus pénibles. Elles sont, comme toutes les femmes japonaises, douces et obéissantes, fidèles et dévouées, adroites et patientes ; mais ce qui les rend si différentes des femmes européennes, c'est leur passivité absolue et leur absence complète de nervosité.
Quant aux chirurgiens, ils possèdent naturellement de précieuses qualités de race pour exercer leur art ; comme tous les Japonais, ils sont excessivement adroits de leurs mains, très propres et très patients, et, étant très peu impressionnables, ils gardent toujours leur calme d'esprit et leur habileté de doigts.

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L'amiral Rojdestvensky, blessé à bord de son navire, dans la terrible rencontre de Tsoushima, et transporté à l'hôpital naval de Sasebo, y est l'objet des attentions les plus délicates de la part de ses adversaires.
Le baron Yamamoto, ministre de la marine, a envoyé des fleurs pour orner sa chambre. En même temps, il lui a fait remettre une lettre dans laquelle il est dit : « Veuillez me permettre de vous exprimer tout mon respect pour la façon toute militaire dont vous avez rempli votre devoir en combattant désespérément pour vôtre pays. Laissez-moi vous dire combien je regrette vos blessures. J'espère que les ressources de nos hôpitaux navals, les capacités de nos chirurgiens de marine soulageront vos souffrances et vous rendront promptement la santé.»
En outre, l'amiral Togo, accompagné du capitaine de vaisseau commandant le Mikasa, est venu rendre visite à l'amiral Rojdestvensky dans sa chambre d'hôpital. Il lui a exprimé toute sa sympathie. Il a loué l'héroïque bravoure que les Russes ont montrée, et il a exprimé l'espoir que l'amiral pourrait promptement rentrer en Russie.
L'amiral Rojdestvensky, profondément ému, a remercié l'amiral Togo, et il a félicité le Japon sur le courage et le patriotisme de ses marins, ajoutant que connaître la haute valeur des vainqueurs, diminuait les regrets et le chagrin de la défaite...
Cette visite du vainqueur au vaincu n'est-ce pas le plus bel hommage qui pouvait être rendu au courage malheureux?

Le Petit Journal illustré du 18 Juin 1905