AU MAROC


Assassinat de M. Madden, vice-consul d'Autriche à Mazagan


L'anarchie continue à régner au Maroc. Elle y règne assurément de façon beaucoup plus effective que l'autorité problématique du sultan. Ce ne sont que vols, pillages, attaques à main armée; il n'y a plus, dans les villes marocaines, la moindre sécurité pour les Européens; et les brigands de tout poil : montagnards de l'Oudjera, Maures, suppôts d'Erraisouly, confiants dans la faiblesse du maghzen, ne respectent plus rien.
On sait combien les environs de Tanger sont peu sûrs. Or, c'est pis encore dans les autres villes du pays. A Fez, les Européens sont publiquement insultés dans les rues par la populace. De toutes parts, les vols et les assassinats se succèdent avec une effrayante continuité. Et le personnel diplomatique lui-même n'est plus à l'abri des actes de banditisme.
Il y a quelque temps, dans la banlieue de Tanger, une maison de campagne appartenant à un ancien ministre d'Angleterre était dévalisée de fond en comble. Aujourd'hui, les brigands s'en prennent à un ministre européen en exercice, qu'ils assassinent pour le voler.
M. Madden, sujet britannique, vice-consul d'Autriche et de Danemark, établi à Mazagan depuis de nombreuses années, vient d'être assassiné chez lui dans des circonstances atroces, par quatre malfaiteurs arabes, qui se sont enfuis après avoir dévalisé la maison.
M. Madden habitait une maison située hors de la ville. Les assassins ont pénétré par une fenêtre et sont entrés dans la chambre à coucher de M. Madden. Ils ont criblé celui-ci de coups de poignard et l'ont achevé d'une balle tirée à la tempe droite.
Mme Madden, qui se trouvait dans une autre chambre, réveillée par le bruit, est accourue aussitôt dans l'appartement de son mari.
Les assassins ont tiré sur elle un coup de revolver qui heureusement, ne l'a pas atteinte.
Elle s'est enfuie aussitôt et s'est réfugiée dans un autre appartement, où elle est restée évanouie jusqu'au lendemain.
Le vol a été le mobile du crime. Les malfa
iteurs ont emporté des bijoux et d'autres objets de valeur.
L'indignation de la population étrangère et musulmane est générale, et ceux qui se rappellent le prestige dont jouissaient, il y a peu d'années encore, les Européens appartenait au monde officiel, voient, dans cet attentat, la preuve évidente des proportions inquiétantes que prend l'anarchie.
M Madden était un des plus anciens Européens établis à Mazagan et jouissait d'une profonde estime. Une grande irritation règne dans la colonie étrangère et indigène contre le gouverneur de la ville, qui n'a aucune autorité sur ses sujets et ne s'occupe nullement de la sécurité des habitants de la ville et des gens résidant extra-muros, où les vols sont fréquents.
La population demande avec énergie des mesures de sécurité.
Mais ces mesures, le gouvernement marocain est incapable de les assurer. Tant qu'une administration sévère et une organisation régulière n'auront point été créées, tant que les exactions des caïds, l'absence de discipline des troupes du chérif, loin de faire disparaître les brigands, en augmenteront le nombre, il n'y aura dans ce pays ni prospérité ni sécurité possible.

Le Petit Journal illustré du 25 Juin 1905