DANS LES PARAGES DE L'ÎLE DE SEIN

Le canot « Amiral-Barrera » de la Société centrale de sauvetage des naufragés se portant au secours d'un navire en perdition.

Le printemps qui vient de prendre fin dans le rayonnement de quelques journées ensoleillées, n'a malheureusement pas montré toujours cette douceur et cette clémence.
D'effroyables tempêtes ont désolé nos côtes, et, maintes fois, les canots de la Société centrale de sauvetage des naufragés ont dû, au milieu d'effroyables tourmentes, se lancer sur une mer en furie au secours des navires en péril.
On sait quels services rendent, sur toutes nos côtes, les équipages de sauveteurs de cette association, dont les bienfaits ne se comptent plus.
Les hommes qui la dirigent sont justement illustres dans les annales maritimes. Qu'il nous suffise de rappeler que le président est l'amiral Duperré et l'administrateur délégué le commandant Duboc, l'un des compagnon héroïques de Courbet, celui-là même qui, avec le lieutenant de vaisseau Gourdon (aujourd'hui vice-amiral), torpilla, en 1884, deux croiseurs chinois au mouillage de Scheï-Poo, et commença la destruction de la flotte ennemie.
Sous une telle direction, la Société centrale de sauvetage donne, de toutes parts, les preuves d'une activité sans cesse renaissante. Ces jours derniers encore, le Petit Journal annonçait qu'elle venait d'inaugurer, à l'île de Sein, une nouvelle station où un canot de sauvetage, l'Amiral-Barrera, peut être lancé en deux minutes, même aux plus basses mers, grâce à une voie sur rails et à un chariot spécial.
Ces travaux ont occasionné à la Société centrale une dépense de 42,000 francs, couverts en grande partie par une généreuse donation de Mme Barrera, veuve du distingué amiral dont le canot porte le nom.
Quant aux patrons et aux équipages de la Société, ils sont recrutés parmi les marins les plus hardis et les plus expérimentés de nos ports.
Tout justement, dimanche dernier; parmi les pêcheurs calaisiens qui, ainsi qu'on le verra plus loin, sont venus à Paris sur l'invitation du Petit Journal, figurait la délégation des braves sauveteurs du groupe de Calais de la Société centrale de sauvetage des naufragés. A leur tète marchait le patron des canots de Calais, le vaillant pilote major en retraite, Jean-Adolphe Delannoy, dont les actes d'héroïsme ne se comptent plus. Fils de pilote, il prit la mer à l'âge de dix ans. Ayant, plus tard, succédé à son père, il n'abandonna ses fonctions qu'il y a quatre ans, pour céder la place à son fils. Mais, malgré ses soixante-quatre ans bien sonnés, il ne veut encore laisser à personne l'honneur de tenir la barre du canot de sauvetage.
Depuis le jour où il a embarqué pour la première fois dans le canot de sauvetage, en 1867, il n'a pas fait moins de trente-huit sorties qui permirent de sauver deux cent vingt-neuf personnes de toutes nationalités. En 1903, il a sauvé encore les seize hommes du vapeur Foscolino, jeté et brisé à la côte, par la tempête, au milieu d'une nuit affreuse.
Est-ce que le simple exposé des états de service d'un tel homme n'en dit pas plus que les éloges les plus éloquents?
Eh bien, voilà le type du sauveteur de la Société centrale de sauvetage des naufrages.
Ab uno disco omnes disait Virgile. D'après celui-là, jugez de tous les autres.

Le Petit Journal illustré du 2 Juillet 1905