LA CATASTROPHE DU « FARFADET »


Les scaphandriers travaillant au renflouement du sous-marin


Jamais catastrophe n'apparut plus poignante que celle-ci. Le pays tout entier a suivi avec une émotion profonde toutes les phases de l'événement tragique, et les angoisses des malheureux qui sont morts, enfermés dans leur prison d'acier, ont eu, par toute la France, un douloureux écho.
Certes, l'activité et le dévouement des sauveteurs ont été au-dessus des tout éloge. Mais on manquait, à Bizerte, de l'outillage nécessaire. Les chaînes passées sous le Farfadet - et au prix de quelles peines ! - se brisèrent.
Pourtant, on crut un instant qu'on retirerait le navire assez tôt pour sauver les malheureux qui agonisaient dans ses flancs.
Lorsqu'on tenta de soulever le sous-marin, on put les entendre, et l'on sait qu'ils ne se laissaient pas aller à l'affolement et qu'ils gardaient leur confiance dans le secours attendu.
Hélas ! ce secours devait être vain. Alors qu'on touchait au but un bras de grue se rompit sous le poids et le Farfadet retomba, plus profondément enlizé.
Il faut rendre justice cependant à tous ceux qui coopérèrent aux tentatives de sauvetage. L'amiral Aubert, l'ingénieur Faure et leurs subordonnés ont fait tout ce que permettaient les forces humaines. Les scaphandriers, une fois fois de plus, ont montré leur endurance et leur mépris du danger.
Le métier qu'ils font est fatigant et périlleux entre tous. Le poids des appareils dont ils sont revêtus, les terribles pressions qu'il leur faut supporter au fond de l'eau, mettent leurs forces et leur énergie à une rude épreuve. Pourtant, chaque fois qu'il s'agit de secourir des naufragés, on retrouve chez les scaphandriers le même dévouement.
Sans relâche ils ont travaillé dans la vase épaisse où s'enfonçait la quille du Farfadet et ce sont eux qui ont senti palpiter les derniers souffles de vie derrière les cloisons du bâtiment.
Depuis le ministre de la marine jusqu'au plus modeste des sauveteurs, le courage n'a manqué à personne en cette tragique occurrence.
Seuls, les moyens de sauvetage ont fait défaut. L'obligation où s'est trouvé l'amiral Aubert de se servir des appareils appartenant à des compagnies privées montre, de la façon la plus nette, et la plus triste aussi, combien est défectueux l'outillage de l'arsenal de Bizerte.
C'est la première fois, en France, que la navigation sous-marine subit un grave accident et cet accident devient une véritable catastrophe par suite d'une imprévoyance dont les résultats n'étaient que trop faciles à prévoir.
On a rappelé à ce propos la visite faite à l'arsenal de Bizerte en 1902, par M. Pelletan, alors ministre de la marine, et l'arrêt survenu dans les travaux à la suite de cette visite. Le ministre avait trouvé, en effet, que tous les projets préparés par l'amiral Ponty, le créateur de Bizerte, étaient exagérés... Il en résulta que l'arsenal de Bizerte, qui aurait dû être armé et outillé comme celui de Toulon, demeura dépourvu du matériel même le plus rudimentaire.
La conséquence de cette pénurie dans les moyens de sauvetage apparaît, aujourd'hui, tragique, lamentable et singulièrement accusatrice pour l'administration de notre avant-dernier ministre de la marine.
Après la perte de la Vienne, qui coûta la vie à tant de braves marins; après l'échouement du Sully, qui coûta tant de millions à l'État, voici le drame poignant du Farfadet.
Et, cependant, le coeur léger et la parole fleurie, M. Pelletan, rendu à ses chères études, préside des cours d'amour, dans le parc de Sceaux, au pied du buste de Florian !

Le Petit Journal illustré du 23 Juillet 1905