Jeux Populaires


Les initiatives du « Petit Journal ». - Jeu de « boule de fort » à Asnières. - Tir à l'arc à Joinville. - Sports traditionnels de France.

Chacune de nos régions françaises a ses sports traditionnels et ses jeux populaires où se reflètent le tempérament, les goûts et le caractère de ses habitants. Travailler à la conservation ou à la renaissance, de ces jeux, c'est faire oeuvre démocratique, et c'est mettre en lumière les inépuisables ressources de force, d'adresse et de belle humeur que porte en lui le bon peuple de France.
Une telle œuvre devait, par cela même, tenter les initiatives du Petit Journal. Dans la semaine qui vient de s'écouler, son action s'est manifestée à deux reprises de la façon la plus heureuse, et les fêtes qu'il a organisées ont eu le plus brillant succès.
Il s'agissait, cette fois, d'un concours de «boule de fort » à la mode angevine et tourangelle d'une part ; et, de l'autre, d'un grand tir à l'arc à la perche et, au bersault.
La matière est loin d'être épuisée, et les résultats obtenus, les témoignages de sympathie et les encouragements qui viennent de toutes parts au Petit Journal l'inciteront, à coup sûr, à renouveler ces épreuves si intéressantes.
Si les admirations légitimes d'Edmond Rostand ont contribué à faire connaître à Paris le jeu de pelote basque, si l'art de renvoyer la balle à l'aide de la « chistera » nous est à présent familier, nous ne connaissons guère bien d'autres formes du jeu de balle, notamment la « balle au gant » et la « balle au tamis » comme on la pratique en Belgique et sur notre frontière du Nord.
Nous ignorons les charmes du jeu de « quilles »; nous connaissons à peine de nom le « jeu de crosse » ou de « cholette » qui n'est autre que la « soule » de nos pères. Je gagerais, en outre, que, le « billon » n'a jamais fait la moindre apparition à Paris.
Et ce n'est pas tout. Combien d'autres sports populaires sont en honneur dans nos régions françaises! Combien de jeux traditionnels nous demeurent encore ignorés! Combien de champions mériteraient d'être connus et applaudis!
Patience!... à chaque jour suffit sa tâche. Le Petit Journal y pourvoiera.

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De toutes les façons dont se pratique le jeu de boules, il n'en est certes pas de plus originale que celle qui a fait l'objet du grand concours organisé vendredi, samedi et dimanche derniers par le Petit Journal, au jeu de la boule angevine et tourangelle à Asnières.
Sur cette piste soigneusement planée et recouverte d'un sable fin apporté des rives mêmes de la Loire, les joueurs ont réalisé de véritables merveilles de précision et d'adresse. Le jeu, d'une trentaine de mètres de longueur, se relève en pente de chaque côté, et il faut voir quel étonnant parti les joueurs habiles savent tirer de ces inclinaisons, soit pour se placer dans le voisinage du « cochonnet » - du « maître » comme on dit dans l'Anjou -soit pour chasser les boules du camp adverse et prendre leur place.
Les spectateurs, dont un grand nombre étaient venus tout exprès avec les champions de Touraine, d'Anjou et même de Bretagne, ont suivi ces luttes de l'adresse avec le plus vif intérêt.

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Pendant que les péripéties du jeu de boule de fort se déroulaient a Asnières, sur un autre point de la banlieue parisienne, un autre concours, non moins pittoresque, avait lieu sous le patronage du Petit Journal.
A Joinville-le-Pont, un grand nombre de compagnies d'archers de la Seine, de Seine-et-Oise, de Seine-et-Marne, de l'Oise et de la Somme, se rencontraient en un pacifique tournoi.
On ignore généralement que l'art de tirer de l'arc est toujours en honneur en France.
Or, sachez que l'île-de-France, et la Somme possèdent à elles seules plus de trois cent cinquante compagnies qui forment un total de sept à huit mille archers.

Dans le Nord et le Pas-de-Calais, il n'y a pas moins de quatre cents sociétés comprenant plus de douze mille membres.
On en trouve encore en Champagne, dans le Rhône, la Loire et jusqu'en Algérie. Et l'on peut compter qu'il y a en France plus de vingt mille archers.
Ajoutez à ce chiffre les archers de Belgique, de Hollande, d'Angleterre et d'Amérique, et vous pourrez dire qu'il existe encore, de par le monde, plus de soixante mille fervents du tir à l'arc.
Certaines de nos compagnies françaises ont des annales qui remontent à plusieurs siècles et dont elles se montrent justement fières; et leurs bannières anciennes au centre desquelles se détache, en une broderie naïve, l'image de Saint-Sébastien percé de flèches, atteste l'antiquité de leurs traditions. Nous pouvons citer notamment la première compagnie d'arc de Saint-Maur-des-Fossés, qui a pris une part active au concours de Joinville, et dont la fondation remonte à 1734. Ces compagnies ont gardé les usages, les formules et les titres d'autrefois. Les tireurs s'intitulent « chevaliers de l'arc » et leurs chefs sont des « connétables » et des « dizainiers ». Il en est qui, le dimanche de mai, nomment encore le Roi; et ce roi porte dans les cérémonies l'insigne de son grade, le plus souvent un précieux collier auquel pend une large médaille, cadeau vénérable de quelque souverain que les confrères se sont transmis à travers les années.
Jadis, en effet, le tir à l'arc était en grande faveur auprès des princes et des rois.
Dinaux, le savant rédacteur des Archives du Nord, racontait qu'en Flandre et en Brabant, il était d'usage que le tir fût ouvert par des personnes de qualité, des dames, des princes même, ou, en leur absence, par les gouverneurs des villes et les seigneur des villages. Parfois ces coups d'honneur, soit hasard soit adresse, furent les meilleurs, et les personnages qui avaient ainsi atteint le but furent nommés Rois du Serment et offrirent de joyeux festins et de riches présents à leurs nouveaux sujets. Il arriva que Guillaume de Nassau abattit l'oiseau du premier coup à Bruxelles en 1564; et l'année suivante, Don Juan d'Autriche, le vainqueur de Lépante, eut le même bonheur à Louvain, en 1577. En 1615, l'infante Isabelle jeta l'oiseau bas sur le Sablon à Bruxelles et fut proclamée Reine de la confrérie.
Les souverains et les princes ne s'intéressent plus guère au tir à l'arc aujourd'hui ; les tireurs n'ont plus, comme au temps jadis, de beaux costumes aux couleurs et aux armes des communes, mais ils n'en gardent pas moins jalousement les belles coutumes qui sont l'honneur de leurs sociétés.
C'est ainsi qu'ils n'ont jamais cessé de célébrer cette jolie fête de la remise du « bouquet provincial », qui est entre les sociétés une manifestation d'amitié et de solidarité, un symbole d'estime et de fraternité.
Rien n'est plus archaïque et plus charmant que la façon dont s'effectue cette remise. Ce sont les jeunes filles des villes et des villages où se trouvent des compagnies d'archers qui composent et qui offrent le bouquet.
Dans la parade qui précède la remise, elles s'avancent en tête des chevaliers de l'arc, vêtues de blanc et portant sur leurs épaules, ainsi qu'une châsse, le précieux bouquet.
J'ai gardé le souvenir d'une pittoresque cérémonie de ce genre à laquelle il me fut donné d'assister à Précy-sur-Oise, il y a quelques années. La compagnie de Chantilly y était venue recevoir le bouquet. C'était une artistique gerbe d'épis de blé, de bleuets et de coquelicots, reliés par des ceps et des grappes de raisin, et contenue dans un superbe vase de la manufacture de Creil. Ce cortège, précédé d'un gigantesque tambour-major et d'une quarantaine de tambours qui faisaient grand tapage, parcourut les rues du village sous des arcs de triomphe fleuris où se détachaient des inscriptions diverses, devises et mots de bienvenue.
« Respect aux traditions des nobles chevaliers ! » disait l'une d'elles. Et personne, je vous assure, ne songeait à leur manquer de respect à ces belles et généreuses traditions, qui se perpétuent parmi les archers de France, en dépit du scepticisme de ce temps-ci.

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Dans la plupart de nos régions françaises, il est des jeux et des réjouissances populaires qui s'accompagnent de curieuses manifestations, comme celle du « bouquet provincial ».
Encourager ces jeux, en faire revivre les coutumes, c'est mettre en lumière les qualités d'adresse, les ressources d'esprit, les sentiments d'art qui n'ont jamais cessé de fleurir dans l'âme populaire.
Ce sera l'honneur du Petit Journal d'y avoir consacré, avec le plus pur désintéressement, sa puissance de diffusion, son énergie et son activité.


LACARRE.

Le Petit Journal illustré du 23 Juillet 1905