LES OEUVRES PHILANTHROPIQUES
du Petit Journal


La vaccination gratuite contre la variole dans le grand hall du Petit Journal

De toutes les initiatives prises par le Petit Journal, initiatives si utiles, si désintéressées, si hautement philanthropiques et démocratiques, celle qui consistait à protéger la santé publique, en aidant nos sommités médicales dans leur lutte contre la propagation de la variole n'apparaît-elle pas comme l'une des plus heureuses ?
Il a suffi que quelques cas inquiétants fussent signalés dans certains quartiers de Paris pour que le grand organe populaire, à qui l'on doit déjà tant d'oeuvres pratiques et bienfaisantes, sonnât l'alarme.
Ainsi qu'aux temps lointains du moyen âge, où le beffroi, à l'approche de l'ennemi, appelait les habitants du bourg et leur offrait la protection de sa citadelle, le Petit Journal a appelé à lui tous ceux qui ont le souci de ce bien précieux qu'est la santé et leur a offert, gratuitement, le moyen d'échapper à l'ennemi, c'est-à-dire à l'épidémie.
Il leur a dit, ici même, qu'ils trouveraient, dans son hôtel de la rue Lafayette, en même temps qu'un accueil amical, de savants médecins prêts à les vacciner ; il leur a dit l'utilité actuelle de cette précaution et la foule est accourue.
Notre intervention a obtenu un succès considérable, et c'est notre récompense.
Pendant deux séances, de trois heures chacune, nous avons eu sous les yeux un spectacle des plus intéressants, aussi touchant que pittoresque. Jamais l'immense hôtel du Petit Journal n'avait servi de cadre à plus saisissante manifestation.
Le vaste hall qui s'ouvre sur la rue Cadet a été vite encombré par les nombreux Parisiens qui avaient répondu à notre invitation.
Au pied du grand escalier d'honneur qui conduit à notre Salle des Fêtes, armés de leurs lancettes, se tenaient M. Chambon, le célèbre introducteur de la vaccination animale en France, et les éminents docteurs Saint-Yves Ménard, membre de l'Académie de médecine, et André
Fasquelle, directeur de l'institut de vaccine animale de la rue Ballu.
Près d'eux était une jolie petite génisse limousine, à la robe rousse, qui, au milieu de la curiosité générale, venait de descendre de sa voiture spéciale.


Avant même qu'une seule piqûre fût faite au bras de l'un des assistants, cette petite génisse, auxiliaire involontaire des princes de la science, a été l'objet de témoignages de sympathie, car elle semblait, aux tout petits, souriant dans les bras des mères, un gros et magnifique joujou comme le bonhomme Noël n'en apporte pas, et des mains enfantines l'applaudirent.
Toutes les conditions sociales, tous les âges étaient représentés là; il y avait des nourrissons et il y avait des vieillards; de gentilles « Parisiennettes », à l'air déluré, aux yeux moqueurs, coudoyaient de graves grands-père aux cheveux blancs qui commentaient avec éloges les réalisations bienfaisantes du Petit Journal.
Dans un coin, deux petites ouvrières se disputaient en riant:
- Passe la première !
- :Non, à toi, tu es l'aînée!
- Eh bien ! Passons en même temps.

Et toutes deux, la manche retroussée, offrirent leur bras à la lancette, l'une à celle du docteur Chambon, qui souriait paternellement, l'autre à celle du docteur Fasquelle, non moins amusé que son confrère.
Et puis, hélas ! ce fut un gros, gros chagrin ! Un bébé d'un an eut peur des vaccinateurs et se mit à pousser des cris perçants. Et la maman -- ah ! les mamans ! - avait aussi presque envie de pleurer, en regardant le bras rond, dodu, du poupon qu'on allait piquer. Un peu de plus, elle serait repartie:
- Voyons ! madame, un peu de courage, lui dit le docteur Fasquelle. Ce n'est rien ! il ne s'agit pas d'une opération.
Le Petit Journal enregistre avec joie l'empressement avec lequel le public parisien a répondu à son appel, et il est heureux d'avoir ajouté une bonne oeuvre nouvelle à la longue liste de toutes celles qu'il a fondées.

N. B. -Il y aura deux nouvelles séances de vaccination gratuites contre la variole : vendredi 18 août, de 8 heures à 10 heures du soir, et le mardi suivant, 22 août, de 2 h. 1 /2 à 6 heures.

Le Petit Journal illustré du 20 Août 1905