LA GUERRE RUSSO-JAPONAISE


Une levée de forçats dans les bagnes russes de Sibérie

Les Japonais sont, à présent, maîtres de Sakhaline.
Pour assurer l'action qu'ils préparent contre Vladivostok, ils ont envahi cette île et occupé Korsakovsk.
Les Nippons n'ont pas oublié que Sakhaline, dont les pêcheries sont si prospères, leur appartint naguère, et qu'à l'heure où la Russie s'en empara, il leur fut impossible de s'opposer par la force à cette occupation. Aussi, n'ont-ils pas manqué d'y prendre aujourd'hui leur revanche.
Située au Nord du Japon et à l'Est de la Sibérie, l'île Sakhaline, ou Saghalien, comme on disait autrefois, a environ 1,000 kilomètres de longueur sur 160 de largeur. C'est une contrée sauvage, presque déserte, traversée du Nord au Sud par une chaîne de montagnes couvertes de neiges éternelles.
La rudesse de son climat, la stérilité de son sol, la tristesse morne de ses paysages, lui ont fait donner le nom d' « Île maudite », ou d' « Île des Morts ». Pourtant, si l'île en elle-même est peu hospitalière, ses côtes sont extrêmement poissonneuses.
La partie septentrionale de Sakhaline appartint longtemps à la Chine, tandis que la partie méridionale était occupée par les Japonais. En 1857, les Russes s'emparèrent de la première, où ils trouvèrent d'abondantes mines de houille ; ils obtinrent la partie Sud par un traité qu'ils imposèrent au Japon en 1875, en échange des îles Kouriles, situées à l'Est de Sakhaline.
Mais les Japonais ont toujours regretté Sakhaline. La possession de cette île offre, en effet, pour eux, de grands avantages économique. Sakhaline représente pour le Japon un immense grenier d'abondance. Le littoral de l'île abonde en morues, en soles, en harengs. Ses rivières sont peuplées de truites et de saumons renommés ; et les Nippons, qui font une grande consommation de poissons, tiraient de Sakhaline le plus clair de leur subsistance.
La population européenne de l'île était exclusivement russe. Elle se composait en majeure partie d'exilés, condamnés à la déportation, et de forçats subissant la peine des travaux forcés à perpétuité. Ces condamnés y étaient au nombre d'environ 9,000 et formaient plusieurs catégories.
Dans les bagnes russes, chaque prison comprend deux divisions: une prison de correction et une prison d'amélioration.
Les déportés condamnés à perpétuité passent huit années dans la première, quatre dans la seconde, après quoi
ils sont en liberté relative. Ils sont alors chargés de coloniser le pays.
Dans la prison de correction, les forçats ont la tête rasée et les fers aux pieds.
Dès le début de la guerre, les Russes, prévoyant l'invasion japonaise à Sakhaline, avaient constitué les condamnés en corps de milice, afin qu'ils pussent, en cas de besoin, prêter main-forte aux troupes régulières. La réhabilitation fut promise à ceux qui se conduiraient courageusement.
Aujourd'hui, les forçats des bagnes de Sibérie et de la Province maritime ont sollicité la même faveur, qui leur a été accordée. Et l'heure est venue pour ces malheureux qui sont, en général, des condamnés politiques, de reconquérir la liberté en coopérant à la défense de leur pays.

Le Petit Journal illustré du 27 Août 1905