LA CRISE AGRICOLE EN ESPAGNE
Villageois andalous désertant
les campagnes
Une crise agricole des plus graves sévit depuis plusieurs mois dans
les provinces du Sud et du Sud-Est de l'Espagne. Déjà, en
mai dernier, le Petit Journal en avait signalé les premières
manifestations. La sécheresse persistante, disait-il, a rendu inutiles
les travaux de la campagne, en détruisant presque entièrement
la récolte des vins et des oranges, qui, on le sait, constitue la
principale richesse de l'Andalousie, de Valence et d'Alicante. Dans les
gouvernements de Jaen, Séville, Cadix, Malaga, Xérès,
Cordoue, des millions de paysans sont sans ouvrage. Des bandes affamées
parcourent les villes et les villages, molestant les propriétaires,
assiégeant les municipalités qui ont, pour la plupart, vidé
jusqu'au dernier sou, entre les mains des misérables, leur caisse
de secours. Des délégations se succèdent aux palais
des gouverneurs, réclamant, tantôt avec angoisse, tantôt
même sur un ton comminatoire, du travail et du pain.
Depuis trois mois, en dépit de tous les efforts, cette situation
s'est encore aggravée, et les populations rurales d'Andalousie sont
en ce moment plongées dans la plus profonde misère.
A Osuna, Moron, Lebrija, Carmona, Ecija et autres points moins importants,
où les travaux des champs constituent les seuls moyens d'existence
des habitants, des milliers d'infortunés, exténués
par la misère et la faim, parcourent les routes, implorant la charité,
quand ils ne s'emparent pas violemment du bien d'autrui. A Utrera, on a
déjà passé aux voies de fait. Les autorités
sont impuissantes et assistent à l'assaut des marchés, épiceries
et boulangeries, où des gens absolument affamés s'emparent
des provisions de toutes sortes qui leur tombent sous la main et les ingurgitent
comme de véritables gloutons.
Dans les campagnes règne un silence de mort, les populations refluant
vers le centre des villages. La terre, sèche, dure, brûlée
par les rayons avides du soleil, ne produit plus rien, car elle ne peut
être travaillée, et le fer de la charrue ne brille plus depuis
longtemps. Partout un silence lugubre, pas l'ombre d'un être humain.
L'Andalousie n'est plus qu'un désert...
Des ouvriers des champs s'emparent, pendant la nuit, de troupeaux de brebis
qu'ils tuent pour se nourrir malgré tous les efforts des autorités,
impuissantes à empêcher ces vols.
Beaucoup d'ouvriers se nourrissent uniquement de fruits de cactus, qui abondent
dans quelques régions.
La gendarmerie poursuit activement les ouvriers qui s'emparent du bétail
; mais, lorsqu'elle en saisit un, tous les autres accourent, et tous se
déclarent coupables.
Ceux qui sont incarcérés se montrent satisfaits, car ils ont,
disent-ils, leur nourriture assurée.
***
Le gouvernement espagnol s'applique cependant à remédier à
cette terrible crise agraire.
Le comte de Romanones, ministre de l'agriculture, reprenant le projet de
M. Villanueva, va inaugurer l'enseignement agricole ambulant.
Des conférences agricoles vont être faites dans la péninsule
par des professeurs nomades.
Les directeurs des instituts ethnologiques de Ciudad-Real et de Haro ont
mission de faire les premières conférences de ce genre dans
les provinces de la Mancha et de la Rioja.
Vu le grand nombre d'illettrés que comptent les populations rurales,
il est doublement nécessaire que les progrès de la science
agricole soient exposés de vive voix et que ces conférences
soient suivies de travaux pratiques destinés à corroborer
les explications fournies aux propriétaires et aux ouvriers de la
campagne pour combattre l'ignorance et la routine dans lesquelles croupit
l'agriculture en Espagne.
On sait que les conférences agricoles ambulantes ont eu une heureuse
influence sur le développement de l'agriculture en Italie. Il est
à souhaiter qu'il en soit de même en Espagne.
Le Petit Journal illustré du 27 Août 1905