
LA FIN D'UN CAUCHEMAR
Les chirurgiens japonais soignent les blessés
du dernier combat
Dans un précédent article (voir no 749), nous avons donné
quelques détails sur le fonctionnement des Croix-Rouges russe et
japonaise. Les précieux documents qui ont été recueillis
sur place par le correspondant du Petit Journal en Mandchourie,
et qui ont permis à notre dessinateur de composer notre émouvante
et pittoresque gravure de huitième page, nous donnent l'occasion
d'y revenir aujourd'hui (il est toujours temps de revenir sur un pareil
sujet).
Le service médical de l'armée japonaise est des plus remarquables
et des mieux organisés. Déjà,
lors de la guerre sino-japonaise de 1894-95, les médecins de la
marine nippone avaient donné des preuves éclatantes de leur
science, de leur courage et de leur sang-froid. Ils renouvelèrent,
ces preuves en 1900, lors de la campagne des Alliés en Chine, et
firent l'admiration des médecins des armées européennes.
Nos officiers et nos soldats, qui avaient été blessés
à la défense de Tien-Tsin, furent alors transportés
dans les hôpitaux japonais de Hiroshima et de Nagasaki.
Tous s'accordèrent à proclamer qu'ils y avaient reçu
les soins les plus intelligents et les plus dévoués.
D'autre part, les officiers russes blessés dans la présente
guerre et soignés dans les hôpitaux japonais ont été
unanimes à rendre hommage à leurs adversaires.
***
La grande préoccupation du
service chirurgical des Japonais, c'est de « sauver les membres
» des blessés en réduisant au strict nécessaire
le nombre des amputations.
Ce chiffre est, en effet, très faible. Et ce résultat est
dû à ce que les soldats japonais sont tous munis de petits
bandages antiseptiques que fabriquent par centaines les dames des comités
de secours. En même temps qu'à manier leurs armes, ils ont
appris à poser ce pansement immédiat, et ils se rendent
mutuellement ce service sur le champ de bataille, même sans attendre
le chirurgien.
Le service chirurgical de l'armée a pour principe d'opérer
le moins possible en campagne. Les blessés, bandés et pansés,
sont dirigés d'abord sur les hôpitaux d'étapes, puis
sur ceux du Japon.
Miss Newcombe, une Américaine qui alla au Japon étudier
le fonctionnement de la Croix-Rouge, rapporte que, sur 3,000 blessés
transportés à l'hôpital d'Hiroshima, 47 seulement
succombèrent, et qu'on ne fit que 19 amputations, dont 5 de doigts.
Les chirurgiens japonais emploient avec succès la poudre de charbon
de paille de riz en bandages antiseptiques. C'est une invention japonaise
du docteur Kikuchi, que le docteur Pozzi vanta fort à la sixième
conférence de la Croix-Rouge, en 1897. La paille de riz est brûlée
à l'étouffée, de façon que le charbon ne soit
pas réduit en cendres. On en compose ensuite des coussinets en
enveloppant cette grosse poudre de gaze stérilisée. Ce pansement
se pose tel quel sur la plaie vive et son pouvoir absorbant dessèche
rapidement les sécrétions des blessures.
***
Les médecins japonais sont,
en général, très instruits. Quelques-uns même
se sont illustrés par des découvertes retentissantes; tel
le docteur Kitasato qui, le premier, a isolé et cultivé
la bacille du tétanos.
Pour 40,500,000 habitants, le Japon compte 31,000 médecins. Les
écoles de médecine, au nombre de huit, sont fréquentées
par de nombreux étudiants. A l'instar de l'Europe, on trouve, dans
les deux Universités de Tokio et de Kioto, des laboratoires nombreux
et bien outillés, des cours libres, des revues spéciales
au courant du mouvement médical européen... et les mêmes
rivalités scientifiques que chez les peuples occidentaux.
Le Petit Journal illustré
du 10 Septembre 1905
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