LES LOISIRS DE LA PAIX

La pêche à la ligne et le bain des soldats japonais

A présent que la paix est faite entre Russes et Japonais, ces derniers n'ont plus d'autres préoccupations que de s'ingénier à trouver d'agréables passe-temps ; et, bien qu'ils soient en campagne et ne disposent que de moyens insuffisants, ils savent réparer leurs forces et assurer leur santé par les soins d'une hygiène traditionnelle au Japon.
Cette hygiène, d'ailleurs, les Japonais ne l'ont jamais négligée, même pendant les périodes les plus dures de la guerre.
Le correspondant du Petit Journal à l'armée du maréchal Oyama nous a, à ce sujet, fait parvenir les curieux documents qui ont servi à la composition de notre gravure de huitième page.
Nous voyons les soldats japonais se livrer tour à tour au doux plaisir de la pêche à la ligne et prendre leur bain dans les grandes jarres en usage au pays du Soleil Levant.
Le poisson, en effet, est abondant dans tous les affluents de la Soungari et du Toumen sur les bords desquels sont campées les troupes nippones, et les pêcheurs doivent y faire des captures miraculeuses.
Mais, me direz-vous, pourquoi, puisqu'ils ont la rivière à leur disposition, les Nippons se plongent-ils dans ces baignoires primitives ?
Pourquoi ?... Pour plusieurs raisons.
La première, c'est que les eaux de ces rivières, fournies par la fonte des neiges des montagnes, gardent, même au cour de l'été, une température si basse, que s'y plonger un instant serait risquer infailliblement la congestion.
La seconde, c'est que le Japonais déteste l'eau froide et n'a même aucun goût pour l'eau tiède.
Au Japon, tout le monde, même les plus pauvres gens, se baigne au moins une fois par jour. Un vrai Japonais ne saurait se passer de son bain quotidien. Et cela ne le ruine pas, car il y a une foule d'établissements dont l'entrée n'est que de quelques centimes. En outre, tandis que nous autres Européens nous prenons nos bains à 32 degrés, le Japonais, lui, prend les siens à 45 ou 50 degrés, parce que l'eau chaude nettoie mieux que l'eau froide qui resserre les pores au lieu de les ouvrir.
L'usage de l'eau entre, au surplus, pour une large part dans l'hygiène des Japonais: Outre le thé sans lait, ni sucre, qui forme sa boisson habituelle aux repas, tout Japonais absorbe en moyenne 4 à 5 litres d'eau par jour. Loin de considérer que ce soit, excessif, les médecins japonais affirment au contraire que c'est à peine assez.
Les poumons, disent-ils, les reins et la peau se composent d'eau en grande partie; ils en sécrètent par jour plus d'un litre et demi qui doit d'abord être remplacé.
En outre, l'eau purifie le sang, nettoie les organes et les préserve des maladies. Beaucoup d'infirmités qui désolent les races occidentales sont presque inconnues au Japon. Les goutteux, les arthritiques, les néphrétiques y sont rares, et ces derniers se guérissent toujours sans l'intervention du chirurgien. En un mot, tout ce liquide lave si bien les reins et les tissus, qu'il exonère l'organisme de bien des déchets.
En un mot, le Japonais, qui prend plusieurs bains par jour, ne boit que de l'eau et se nourrit d'une poignée de riz et de quelques poissons desséchés, peut être proposé comme un modèle de propreté et de sobriété aux citoyens de la vieille Europe.
Et l'on s'explique que des gens aussi lavés au dedans qu'au dehors, trouvent que notre corps exhale une odeur plutôt offensante pour leurs narines, une odeur sui generis qu'ils qualifient, d'ailleurs, d' « odeur d'Européen. »

Le Petit Journal illustré du 17 Septembre 1905