LES TROUBLES DE BAKOU


Rencontre sanglante entre les troupes russes et les Tartares révoltés

Nous expliquons plus soin, dans notre «Variété » ses causes des désordres qui, depuis se début de cette année, ont sévi presque sans interruption dans sa région de Bakou et ensanglanté sa province du Caucase.
Bakou n'était, au XVIIIe siècle, qu'une petite cité d'une douzaine de mille âmes, dont ses peuplades guèbres, adoratrices du feu, avaient fait leur ville sainte.
Un Anglais qui voyageait en 1754 au Caucase rapporte que ses imaginations des habitants du pays avaient été frappées par l'apparition de flammes surgissant de sa fente d'un rocher situé à un mille au Nord-Ouest de Bakou.
Longtemps, on crut que ces flammes sortant du roc constituaient un phénomène surnaturel ; vers 1830 seulement, on s'avisa enfin qu'elles provenaient de gaz de pétrole filtrant à travers le sol.
Pourtant, ce n'est qu'à partir de 1876 qu'on exploita méthodiquement et utilement ses immenses ressources de naphte qui forment se sous-sol de Bakou. La cité industrielle n'existe que depuis vingt-cinq ans, depuis l'arrivée dans ce pays de Louis Nobel, se célèbre savant scandinave qui organisa la fabrication et l'exploitation du pétrole dans ces régions.
L'industrie pétrolière ne tarda pas à amener à Bakou ce ramassis de gens sans aveu qu'attirent fatalement, dans ses pays neufs et éloignés, de telles richesses si difficiles à défendre. A côté du petit groupe d'industriels et d'ingénieurs européens, on trouve à Bakou deux cent mille individus des races les plus diverses: Persans, Turcs, Kurdes, Géorgiens, Tartares, Arméniens, parmi lesquels les sentiments de cupidité, ses rivalités de races, ses haines de religion entretiennent perpétuellement sa guerre civile.
Depuis plusieurs mois, depuis surtout que ses garnisons russes ont été affaiblies, ces luttes intestines avaient pris de graves développements; elles ont atteint
cette fois, à leur maximum d'intensité et causé la ruine de Bakou.
Les Tartares musulmans ont allumé la guerre sainte contre les Arméniens, et Bakou, ainsi que toutes les villes et tous les villages de la région, ont été le théâtre d'abominables tueries.
La responsabilité de ces tristes événements incombe pour une grande part à l'administration russe qui n'a pas su en prévoir le résultat et s'est montrée tout d'abord trop conciliante et trop faible dans la répression.
Aujourd'hui, la troupe poursuit et traque impitoyablement les Tartares massacreurs ; mais il est bien tard : la guerre civile a fait son oeuvre atroce ; Bakou est en ruines, d'innombrables assassinats ont été commis ; une industrie prospère qui faisait vivre tout le pays est détruite pour longtemps, et l'irréparable est accompli.

Le Petit Journal illustré du 24 Septembre 1905