
UNE CÉRÉMONIE DU CULTE
SHINTOÏSTE AU JAPON
Allocution de l'amiral Togo aux
mânes des héros morts pour la Patrie
Parmi toutes les cérémonies qui, depuis la fin de la guerre,
ont été célébrées au Jupon en l'honneur
des victimes, aucune ne fut plus imposante que celle au cours de laquelle
l'amiral Togo, en personne, vint parler aux mânes des soldats disparus.
Cette cérémonie shintoïste fut célébrée
en un lieu situé près du tombeau du capitaine Hirose. De
nombreux princes étaient présents ou représentés
; les parents des morts et de nombreuses dames nobles étaient là.
Un corps de 3,000 matelots, l'arme sur l'épaule, arriva, précédé
de ses musiques et de ses clairons. Sur l'amiral Togo convergeaient les
regards de tous; il était escorté d'un détachement
de marins sans armes.
Après que les saints sacrifices eurent été célébrés,
l'amiral s'avança lentement vers l'autel et seul, debout, tandis
qu'officiers et marins prenaient la position du salut, il lut un discours
adressé aux âmes des héros.
En voici les principaux extraits :
«Sur terre et sur mer, le
nuage de la guerre s'est déjà dissipé...
« Portons nos regards maintenant sur le passé... Lorsque
chacun de vous quittait cet univers, nous l'enviions de s'être donné
l'honneur de mourir pour son souverain, nous espérions alors que,
tous, nous serions sacrifiés pour l'Empereur et la Patrie.
» Les nombreux mois où, sans relâche, les attaques
contre Port-Arthur furent renouvelées obligèrent la fortune
de la guerre à se décider. La destruction de la flotte de
la Baltique dans la mer du Japon termina la lutte une fois pour toutes.
Depuis lors, l'ombre d'aucun ennemi n'a paru sur la mer ; cela est naturellement
dû à la vertu impénétrable de notre empereur,
mais aussi au renoncement que vous avez fait de vous-mêmes, au sacrifice
que vous avez consenti pour la cause de nôtre peuple.
» Maintenant que la guerre est terminée, nous ne pouvons
nous empêcher d'être profondément émus, nous
qui revenons en triomphe au pays et revoyons les êtres et les choses
qui nous entourèrent, toujours lumineux et pleins de joie. Nous
sommes chagrins, mais nous ne cessons pas d'être heureux quand nous
songeons que nous ne pouvons pas partager avec vous tout ce bonheur. Nous
savons très bien que si nous voyons ce beau jour, c'est à
vous, morts, que nous le devons ; votre fidélité, votre
bravoure deviendront l'esprit même de notre marine pour toujours
et protégeront, à travers les siècles, cette terre
impériale que nous foulons.
» Si j'ai ordonné cette cérémonie pour honorer
vos âmes précieuses, ces paroles vous disent ma pensée.
Venez et recevez-les ! »
A la fin de ce discours, une émotion profonde planait sur la foule.
Et le vainqueur de Tsoushima pleurait...
Le Petit Journal illustré
du 12 Novembre 1905
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