« SALUT A LA VICTOIRE ! »

Tableau de M. E. Dujardin-Beaumetz,
SOUS-SECRÉTAIRE D'ÉTAT AUX BEAUX-ARTS
(MUSÉE DE NARBONNE)

Le Petit Journal a signalé, à maintes reprises, les améliorations, les réformes heureuses accomplies par M. Dujardin-Beaumetz à l'administration des beaux-arts. Le sous-secrétaire d'État témoigne aux artistes une sollicitude d'autant plus vive et d'autant plus éclairée qu'il connaît mieux que personne leurs besoins. Il n'est pas seulement, en effet, un administrateur d'une inlassable activité, il est encore un artiste, un peintre de talent et qui, naguère, a fait ses preuves aux Salons annuels.
Né à Paris le 29 Septembre 1852,M. Etienne Dujardin-Beaumetz s'adonna au dessin dès l'enfance.
Élève de Cabanel et de Louis-Prosper Roux, il ne quitta l'École des beaux-arts que pour s'engager en 1870.
C'est en souvenir de la guerre qu'il fit ses toiles les plus remarquables ; et l'on peut dire que son couvre tout entière est inspirée par l'héroïsme de nos soldats.
Dès l'année 1875, il exposa, sous le nom de sa mère : Étienne Beaumetz : En reconnaissance à la villa Evrard, siège de Paris, Décembre 1870 (Salon de 1875); les Mobiles évacuant le plateau d'Avron pendant le bombardement (1876) ; l'Arrière-garde (1877); la Prise d'un château (1879); en 1880, il obtint une médaille avec son tableau : Les voilà ! qui, acquis par l'État, est aujourd'hui au ministère de la guerre.
En 1881, il expose une toile inspirée de l'histoire militaire de la Révolution : le Bataillon des Gravilliers part pour la frontière. Mais l'année suivante, il revient à ses sujets préférés, aux souvenirs de l'Année Terrible, et il expose un tableau que la gravure a popularisé : la Brigade Lapasset brûle ses drapeaux (Metz, 26 Octobre 1870), belle page empreinte d'une poignante émotion et qui achève de le classer parmi nos meilleurs peintres militaires.
M. Dujardin-Beaumetz avait épousé en 1884, une artiste du plus beau talent, Mlle Marie Petiot, qui avait eu, comme peintre, de vifs succès aux Salons, de 1877 à 1882. La mort lui ravit trop vite sa chère compagne ; mais, en souvenir d'elle et aussi pour la satisfaction de ses propres sentiments, il voulut donner toute son activité, toute son âme à la cause des artistes. Et il se fit leur représentant, leur défenseur dans les assemblées politiques.
Conseiller général de l'Aude, où il est très populaire, depuis 1887, et député, depuis 1889, il fut nommé, en 1896, président de la gauche radicale, puis vice-président de la commission du budget et rapporteur du budget des beaux-arts en 1899 et 1900.
Ses rapports si clairs, si documentés, d'une observation si juste, sa compétence profonde dans toutes les questions qui intéressent l'art contemporain, le désignaient entre tous pour la haute situation à laquelle l'appela M. Rouvier. Depuis que M. Dujardin-Beaumetz occupe le sous-secrétariat des beaux-arts, il a justifié pleinement ce choix par les services qu'il n'a cessé de rendre aux artistes et à l'art français

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Le Supplément du Petit Journal s'honore de pouvoir donner, aujourd'hui, à ses lecteurs, la reproduction d'une des toiles les plus remarquables de M. Dujardin-Beaumetz.
Le Salut à la Victoire ! est au musée de Narbonne. C'est une oeuvre d'inspiration énergique, de facture vigoureuse, dans laquelle l'artiste a mis les plus hautes aspirations de son coeur de patriote. Son talent y célèbre, en dépit des revers, l'héroïsme des soldats de France. Devant cette belle toile, les vers bien connus qui ouvrent la série des Chants du soldat de Déroulède chantaient en notre mémoire


Non, France, ne crois pas ceux qui te disent lâche,
Ceux qui voudraient nier ton âme et tes efforts :
Sans gloire et sans bonheur tes fils ont fait leur tâche.
Mais ils l'ont faite; et Dieu ne compte plus tes morts.


J'ai vu de pauvres gens tomber sans une plainte ;
D'autres - je les ai vus - ont combattu joyeux,
Et, pieux chevaliers de cette guerre sainte,
Sont morts, l'amour dans l'âme et le ciel dans les yeux.


Ils ont lutté, n'étant ni l'espoir ni le nombre.
Et sans cesse détruits, et renaissant toujours,
C'est un éclair divin de cette époque sombre,
Que ces martyrs voulant leurs supplices moins courts.


Je les ai vus marchant les pieds nus sur la neige,
Succomber de fatigue et non de désespoir ;
La misère et la faim leur servaient de cortège,
Mais ils marchaient, ayant pour guide le devoir.


J'en ai vu qui, captifs, s'échappaient d'Allemagne,
Revenaient aux dangers à travers les dangers,
Et, sans revoir leurs toits, reprenant la campagne,
Retombaient par deux fois aux mains des étrangers.


J'ai vu des régiments, aux jours de défaillance,
Se porter en avant et se dévouer seuls,
Pour qu'on pût dire au moins, en parlant de la France.
Que ses drapeaux étaient encor de fiers linceuls...


Devant la toile de M. Dujardin-Beaumetz un rapprochement s'imposait ainsi à notre



M. E. DUJARDIN-BEAUMETZ


esprit entre son oeuvre et celle de Déroulède. Rapprochement tout naturel, car la même confiance dans l'énergie de l'âme française les inspire toutes deux ; et le peintre et le poète sont l'un et l'autre, en des camps différents, de bons Français, de vrais patriotes, de braves gens.

Le Petit Journal illustré du 24 Décembre 1905