L' ASSASSINAT DE MARTHE ERBELDING
Le meurtrier dans sa cellule
Jamais crime n' émut plus profondément l' opinion publique
que celui-ci.
Le sort de la malheureuse fillette, souillée et assassinée
par un ignoble individu qui, pour mieux accomplir son acte abominable,
abusa de la confiance et de l' amitié de toute une famille, a soulevé
l' indignation générale.
On voudrait croire que cet Albert Soleilland, ce misérable, qu'
un affreux instinct a poussé à l' assassinat, est fou...
Mais non ! Son attitude, depuis l' instant du crime, dément cette
hypothèse. Après avoir commis son forfait, il a tout de
suite pris toutes les précautions pour le dissimuler. Il a eu l'
affreux courage d' empaqueter le corps de sa victime, de le porter jusqu'à
la gare de l' Est et de le mettre à la consigne des bagages. Plusieurs
jours, il a nié, jouant devant les parents de la morte et devant
sa propre femme la plus infâme comédie. Enfin, depuis le
début de l' instruction, il se défend en homme préoccupé
du souci de diminuer sa culpabilité.
Pourtant, dans sa cellule, livré à ses pensées sinistres,
il sent peser sur lui les affres du remords ; il songe, il pleure. De
la conscience obscure qui survit en lui monte, avec la terreur du lendemain,
le sentiment vague d' un tardif repentir. Et son âme de brute s'
émeutà la pensée du châtiment prochain.
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VARIÉTE
ENCORE LA PEINE DE MORT
L' assassinat de Marthe Erbelding et l' opinion publique. - Supprimera-t-on
la guillotine ? - La thèse des abolitionnistes. - Un plaidoyer
de Victor Hugo. - L'avis des juges. - Les exécutions capitales
ne doivent pas être publiques. - Prenons garde au lynchage !
L' épouvantable crime dont la petite Marthe Erbelding fut la victime
a ému, au plus haut point, l' opinion publique, et, si nos législateurs
daignent tenir compte des sentiments exprimés par la foule à
l' occasion de ce lugubre forfait, ils comprendront: à coup sûr
que le moment est singulièrement mal choisi pour prononcer l' abolition
définitive de la peine capitale.
On sait que, depuis un an, la peine de mort est virtuellement supprimée,
Les émoluments du bourreau ayant été rayés
du budget. D' autre part, au mois de Novembre dernier, M. Guyot-Dessaigne,
garde des sceaux, a déposé, sur le bureau de la Chambre,
un projet de loi portant suppression de la peine de mort et proposant
de la remplacer par six années de cellule et la. détention
à vie dans une maison de force spéciale.
Dans son exposé des motifs, M. le garde des sceaux disait :
« La peine de mort, issue des siècles de barbarie, est un
anachronisme : l' histoire la condamné, le jury l' écarte,
la justice et l' humanité la rejettent, l' expérience et
les statistiques démontrent qu 'elle est inutile et inefficace
; Mais surtout elle est irréparable, ce qui est assez pour qu 'elle
ne soit pas appropriée à la justice des hommes .... »
L' opinion parlementaire parut favorable au projet d' abolition de la
guillotine. Mais l' opinion de la masse ne s' était pas exprimée.
Il fallait, pour qu' elle le fît, la sinistre actualité d'
un crime atroce tel que celui qui vient de soulever l' indignation générale.
Eh bien, il faut avouer que, en l' occurrence, la foule n'a cure des sensibleries
de nos législateurs. Elle réclame, pour le meurtrier, le
châtiment suprême ; elle ne peut admettre que la loi sauve
la tête du criminel... Que nos humanitaires à tous crins
se donnent la peine d' écouter la clameur de vengeance qui monte
de l' âme populaire ; qu 'ils aillent prêter l' oreille à
ce que dit la foule qui, depuis quelques jours, défile sans relâche,
émue et indignée, devant la maison tragique de la rue de
Charonne ; qu 'ils demandent aux journaux quel est le ton des lettres
que leurs lecteurs leur adressent de toutes parts sur ce funèbre
sujet, et j' aime à croire qu 'ils hésiteront, après
une telle enquête, à prononcer l' abolition radicale et définitive
de là peine de mort.
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Ce n' est pas d' aujourd'hui que
la légitimité ou l' illégitimité du châtiment
capital a été discutée. Déjà, au dix-huitième
siècle, Beccaria, le célèbre auteur du Traité
des délits et des peines, avait dressé contre la peine
de mort un formidable réquisitoire. Ses théories furent
accueillies avec enthousiasme par les encyclopédistes Helvétius,
Diderot, d'Alembert et Voltaire, puis, en Angleterre, par les jurisconsultes
Bentham et Romilly, et, en Amérique, par Franklin.
Au dix-neuvième siècle, la
thèse abolitionniste compta de nombreux partisans, tant en France
qu 'à l' étranger. Les romantiques se prononcèrent
en sa faveur. Victor Hugo fut son soutien le plus ferme et le plus éloquent.
Faut-il rappeler l' admirable plaidoirie qu' il prononça, le 11
Juin 1851, devant le jury de la Seine, pour l' abolition de la peine de
mort ?
Son fils, Charles Hugo, était accusé d' avoir outragé
la loi dans un article de l'Evénement, où il faisait,
en termes violents, le procès de la peine de mort. Le grand poète
voulut lui servir d' avocat.
- Oui, s' écriait-il, je le déclare,
ce reste des pénalités sauvages, cette vieille et inintelligente,
loi du talion, cette loi du sang pour le sang, je l' ai combattue toute
ma vie, et, tant qu' il me restera un souffle dans la poitrine, je la
combattrai de tous mes efforts comme écrivain, de tous mes votes
comme législateur...
Et, montrant le crucifix qui se dressait
sur la muraille, au dessus de la tête des juges, il ajoutait, dans
un superbe mouvement oratoire :
- Je le déclare
devant cette victime de la peine de mort qui est là, qui nous regarde
et qui nous entend..
Charles Hugo n' en fut pas moins
condamné à six mois de prison et 500 francs d' amende. Il
en coûtait cher, en ce temps-là de dire son opinion sur les
lois. Mais l' idée abolitionniste fit son chemin. Il vint un jour
où certains magistrats eux-mêmes s' en déclarèrent
partisans.
Il y a quelques années, un de nos confrères fit, à
ce sujet, une enquête auprès du procureur de la République
et des vingt-six juges d' instruction du parquet de la Seine et du chef
de la. Sûreté.
Les avis furent partagés. Dix juges furent pour le maintien de
la peine capitale ; sept s' en déclarèrent nettement adversaires
; les autres ne donnèrent pas d' opinion précise.
Les partisans jugeaient la peine de mort nécessaire ; les adversaires
se basaient sur cette idée philosophique qui, depuis Beccaria,
est la pierre angulaire des théories abolitionnistes, à
savoir que la société n'a pas le droit de tuer.
Les premiers ne méconnaissaient nullement l' inutilité de
la peine de mort au point de vue moralisateur, mais ils pensaient, pour
la plupart, qu 'elle est un frein à l' ardeur farouche des assassins.
- Si la peine de mort n' est pas moralisatrice, disait l' un d' eux, du
moins elle arrête bien des criminels à temps. Ils ont la
terreur de l' échafaud. C' est une joie délirante qu 'ils
manifestent lorsqu' on leur apprend que leur peine est commuée.
On l'a toujours constaté. Tenez, je me rappelle avoir vu un assassin,
à qui l' on annonçait sa grâce, danser de joie en
criant : « Elle tient, ma tête !... Elle tient bien, ils ne
l' auront pas ! »
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Par exemple, un point sur lequel tout le monde, à peu près,
est d' accord, c' est la suppression absolue de la publicité des
exécutions.
Il n' est pas un magistrat, pas un criminaliste, pas un homme de bon sens
qui professe que la peine de mort est d' un bon exemple pour ceux qui
y assistent.
On sait de quels éléments se compose la foule qui se presse
aux exécutions capitales. Apaches, rôdeurs, malandrins de
toutes sortes, filles perdues venaient naguère sur la place de
la Moquette, les matins d' exécutions capitales, comme à
une fête. Tout ce monde ignoble buvait, chantait, se querellait
en attendant l' instant tragique. Et l' assassin, lorsqu' on l' amenaità
l' échafaud, s' efforçait de crâner devant ses pareils.
M. Bertulus rapportait, que Peugniez, ce misérable qui tua, à
Charenton , une femme et un enfant, n' avait que cette préoccupation
: " Pourvu que je meure bien ! " répétait-il sans
cesse.
Les sacripants qui allaient voir les exécutions
capitales apprenaient là l' " héroïsme "
spécial de la guillotine. Ils s' entraînaient. Quand au condamné,
il s' efforçait de faire bonne figure ; il cabotinait. Il se rappelait
le refrain réaliste de Bruant :
J' veux pas qu' on dis' que j' ai
eu l' trac
De la lunette
Avant d' éternuer dans l' sac
A
la Roquette.
Le résultat de ces exécutions
publiques a, de tout temps, été pitoyable. Une statistique
prouve que, parmi les assassins, neuf sur dix avaient assisté à
quelqu'une d' entre elles avant de commettre leur crime. Loin de moraliser,
elles pervertissaient la foule de voyous qui y figuraient. J' ai rapporté
déjà l' histoire de ce gamin qui, grimpé sur un arbre,
à Melun, lors de l' exécution de Schérer, s' était
à crié, en voyant tomber la tête de l' assassin:
- Ah ! mince alors !... ça n' est
que ça ?...
Deux ans plus tard!, ce même
gamin commettait un crime à, son tour et il était exécuté
au même endroit.
Mais s' il est prouvé que les exécutions publiques manquent
absolument leur but moralisateur, on ne saurait en dire autant des exécutions
à l' intérieur des prisons.Un magistrat qui assista jadis,
dans la prison de Melun, à l' exécution d' un condamné
guillotiné pour un crime commis dans la prison même, rapporte
que l' impression fut des plus profondes sur les détenus rangés
à genoux, le bonnet à la main, autour de la sinistre machine,
sous la menace des fusils chargés prêts à abattre
quiconque d' entre eux eût fait la moindre tentative de révolte
« C' est ainsi, dit-il, que l' on devrait
toujours agir. D' abord, on simplifierait beaucoup les dernières
formalités ; puis on éviterait ces scènes scandaleuses
provoquées par la foule, et, enfin, on atteindrait le but cherché
en ce qui concerne l' exemple que l' exécution publique ne donne
pas. »
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Ce n' est point ici le lieu de discuter
la théorie philosophique suivant laquelle la société
n'a pas le droit de tuer. Il est un droit qu 'elle a, en tout cas, plus
qu' un droit, un devoir, celui de se défendre, de se protéger
contre tout individu qui lui, s' est arrogé ce droit d' attenter
à la vie humaine.
A-t-elle le choix des moyens ?... L'humanitarisme d' aujourd'hui a fait
de la prison un lieu de délices. Quant à la transportation
aux colonies, loin d' effrayer les coquins, elle leur apparaît désirable.
Ils ont la perspective d'y cultiver «.leur » terre, d'y fonder
une famille, ou bien encore de s' évader quelque jour pour venir
reprendre, parmi nous, le cours interrompu de leurs exploits. D' autre
part, la, relégation coûte si cher, par le temps qui court,
et les criminels qui la méritent sont si nombreux, que les tribunaux
ne l' appliquent plus que le moins possible. La mansuétude qu'
on ne cesse de montrer aux criminels en fait croître de nombre de
jour en jour. Et c' està l' heure où l' armée du
crime augmente dans de telles proportions, où pas une nuit ne se
passe sans que nos boulevards et nos rues soient ensanglantés par
quelque assassinat, où des bandes formidables qui font évoquer
le souvenir des Cartouche et des Mandrin couvrent nos provinces de leurs
méfaits, c' est à cette heure-là que l' on veut rayer
de nos codes la suprême sanction pénale et supprimer radicalement
la peine de mort.
Le lugubre crime de la rue de Charonne a
eu, sur l' opinion publique, un effet que nos humanitaires acharnés
n' attendaient pas. L' indignation populaire leur montrera peut-être
qu 'ils vont trop vite en besogne. Partout où la justice s' est
montrée insuffisante, le peuple a fait justice lui-même.
Méfions-nous qu'en supprimant la guillotine on ne pousse la foule
à mettre en oeuvre l' épouvantable loi de Lynch !
Ernest LAUT.
Le Petit Journal illustré
du 24 Février 1907
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