VICTIME DU DEVOIR
Officier de paix blessé par un
malfaiteur
L' audace
des apaches appelait, depuis quelque temps, une répression énergique.
Aussi des rafles furent-elles exécutées dans tous les quartiers
de Paris. C' est au cours d' une de ces battues qu 'eut lieu la scène
qui fait l' objet de notre gravure de première page.
Cette scène s' est déroulée, à une heure du
matin, sur la place Blanche, en face du Moulin-Rouge. M. Becker, officier
de paix du 18e arrondissement, faisait une rafle, à la tête
de quelques agents en civil, lorsqu' il avisa plusieurs individus de mauvaise
mine qui venaient en sens contraire. Il alla droit vers le groupe qui
se dispersa à son approche. Un seul des individus n' avait pas
fui ; et c' est cet homme qui, tirant son revolver de sa poche, fit feu
brusquement et à bout portant sur l' officier de paix. M. Becker,
atteint en pleine poitrine, chancela et tomba entre les bras d' un sous-brigadier
qui se trouvait à ses côtés.
Ses hommes se précipitèrent sur le meurtrier et l' un d'
eux lui releva le bras à l' instant même où une seconde
détonation retentissait. Le deuxième projectile tiré
par le meurtrier se perdit en l' air.
L' acte commis par le malfaiteur, malgré l' heure tardive, avait
eu d' assez nombreux témoins, des personnes qui, sortant du théâtre,
rentraient à leur domicile. En un instant l' homme fut entouré,
violemment frappé, et ce n' est pas sans peine que les gardiens
de la paix le hissèrent dans une voiture pour le soustraire à
la fureur publique.
Fureur bien légitime, et dont le le meurtrier se souviendra sans
doute ; il fut, en effet, l' objet d' un véritable lynchage; les
coups tombaient drus sur lui ; les uns frappaient à coups de pieds
et de poings, d' autres s' armaient de chaises enlevées à
la terrasse des cafés, d' autres-encore faisaient usage de cannes,
dont quelques-unes avaient été arrachées des mains
des agents en bourgeois qui tentaient de soustraire l' individu à
leur colère .
M. Becker fut transporté à l' hôpital Lariboisière,
où l' interne de garde constata qu' il avait échappé
miraculeusement à la mort. En effet, la balle, grâce à
deux portefeuilles bourrés de papier se trouvant dans la poche
intérieure de son vêtement et qui ont été traversés,
avait seulement pénétré près de la sixième
côte et, déviant, était allée se loger dans
la région lombaire. Elle a pu être extraite. C' est miracle
que le malheureux n' ait pas été traversé de part
en part.
Le courageux officier de paix qui vient d' affirmer, une fois de plus,
les généreuses traditions de vaillance et de dévouement
de la police parisienne, a reçu la médaille d' or.
Quant à son agresseur, c' est un de ces dangereux rôdeurs
qui, depuis quelque temps, sèment la terreur à Montmartre.
Espérons que la justice le traitera comme il le mérite et
qu 'elle se départira à son égard de l' indulgence
dont elle fait trop souvent profession vis-à-vis des apaches.
Le Petit Journal illustré
du 10 Mars 1907
|