LE CRIME DE LANGON
Branchery et Parrot étranglent M. Monget dans la cave du café de la Gare.
Ce café de la gare de Langon, tenu par les époux Branchery, était une véritable caverne de brigands. A présent que le meurtre de M. Monget a attiré sur ses hôtes l' attention et les curiosités de la justice, on commence à voir se dessiner le rôle tenu par chacun des affiliés de la bande sinistre qui tenait là ses sanglantes assises.
Le chef incontesté était ce Branchery, tenancier de l' auberge, type de bellâtre robuste et paresseux. Il tenait là une sorte d' école professionnelle pour cambrioleurs et assassins ; il enseignait à ses disciples l' art de crocheter une serrure, d' enfoncer une porte et de faire aux patients les coups de la cravate et du père François. Il se tenait au courant des progrès de la science spéciale qu' il enseignait, et donnait même des leçons de jiu-jitsu.
Sa femme, Lucia, l' aidait dans ses entreprises ; et, parmi ses fidèles acolytes, il comptait Parrot, son garçon de salle, un gaillard violent et déterminé, habitué à obéir aveuglément au patron, et les frères Gazol, contrebandiers de leur état.
Voilà dans quel milieu M. Monget, le malheureux agent d' assurances, vint échouer. Attiré par les charmes de Lucia Branchery, il fut d' abord frappe d' un coup de marteau par Parrot qui le rata, puis par Branchery qui l' assommaà demi. Leur coup fait, les deux bandits descendirent l' homme dans la cave, et là, ils l' achevèrent en l' étranglant à l' aide d' une corde dont ils tenaient les deux extrémités. Monget mort, ils requirent l' aide de Gazol et se débarrassèrent du cadavre en le jetant dans la Garonne.
On sait que les révélations d' Henriette Courèges, la servante des Branchery, ont amené l' arrestation des assassins.
Les propos de ceux-ci devant le juge d' instruction sont des plus typiques et montrent bien quel est l' état d' esprit de ces misérables. Ils ne s' émeuvent pas autrement à l' idée du châtiment qui leur est réservé.
Parrot, ayant tout avoué, fut confronté avec Branchery qui refusait encore de parler.
- Bah ! mon vieil Eugène lui dit-il d' un ton cynique, crache tout, va ! Nous en serrons quittes pour aller voir le pays des singes... On ne guillotine plus !...»
« On ne guillotine plus !... » Voilà la grande raison des bandits ; voilà la cause de cette recrudescence de crimes ; voilà le secret de tant de cynisme !... On ne guillotine plus, se disent les assassins... A quoi bon nous gêner ?... Nous pouvons assassiner, on ne nous tuera pas.
Et nos humanitaires à tous crins auront encore, après cela, l' aplomb de proclamer l' inutilité et l' immoralité de la peine de mort !

VARIETE

POUR LA SECURITE DE PARIS


Les veilleurs de nuit. - Encore un impôt. - L' heure du couvre-feu. - Les porte-falots au dix-septième siècle. - Un guetteur du pays de Flandre. - « Serenos » et « vigilantes ». - La chanson des veilleurs polonais. - Un projet des commerçants du quartier de l' Opéra.

Parmi les mesures propres à assurer de meilleure façon la sécurité publique - laquelle en a grand besoin - la deuxième commission du conseil municipal préconisait récemment « la création d' un corps de gardes de nuit, corps autonome, recruté, organisé, surveillé et commandé par le préfet de police, mais entretenu par les contributions volontaires des habitants
qui, dans chaque îlot, auraient le droit de disposer des gardes..»

En vérité, la deuxième commission du conseil municipal nous la baille belle. Nous nous imaginions bonnement que, en échange des impôts chaque jour croissants que nous payons à l' Etat et à la Ville, nous avions droit, tout au moins, de nous promener ou de dormir en paix... Il n' en est rien. Paris, la nuit, est un coupe-gorge. La police y est insuffisante. Voulons-nous être protégés contre les attaques des malandrins, il nous faudra payer encore, payer toujours. A ce prix-là seulement nous aurons nos veilleurs de nuit, et peut-être les gens que leurs travaux ou leurs plaisirs retiennent le soir loin de chez eux pourront-ils regagner leur domicile sans craindre, à chaque pas, quelque fâcheuse rencontre.

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Nous voilà donc revenus au temps ténébreux où l' on n' allait par la ville qu 'escorté d' une garde et où le veilleur, flanqué de soldats du guet, agitait sa cloche par les rues pour annoncer au populaire que l' heure était venue où tout bruit et toute lumière devaient s' éteindre.
Vous rappelez-vous, dans les Huguenots, l'épisode impressionnant du couvre-feu ?

Rentrez, habitants de Paris,
Tenez-vous clos en vos logis,
Que tout bruit meure,
Quittez ce lieu,
Car voici l' heure
Du couvre-feu.

Ce n' est point que dans cet opéra que le veilleur de nuit joue son rôle ; on le retrouve en maintes oeuvres dramatiques, car il est un personnage épisodique à effet. Alexandre Dumas et Victor Hugo n' ont-ils pas mis des veilleurs de nuit, le premier dans la Tour de Nesle, le second dans Hernani ?
Soyez sûrs que si le corps des veilleurs de nuit préconisé par le conseil municipal est créé prochainement, ces précieux gardiens nocturnes figureront avec avantage dans toutes les prochaines revues de l' année.
Il n'y a guère plus de cent ans qu 'à Paris, les veilleurs de nuit étaient supprimés et remplacés par la police.
Au dix septième siècle, les veilleurs de nuit avaient pris le titre de porte-falots.
On les trouvait autour du Louvre, dans les principaux carrefours, sur les places. Moyennant cinq sols, ils vous escortaient un quart d' heure durant, à la lueur obligeante de leur flambeau de cire. En guise de montre, ils avaient à la ceinture un sablier. Voulait-on ne payer que trois sols, on réquisitionnait un simple porte-lanternes dont la lampe à huile éclairait plus modestement, avec six gros lumignons. On pouvait même ne rien payer du tout, si l' on réussissait à suivre les personnes fortunées qui s' offraient ainsi porte-falots ou porte-lanternes.
Mais les tire-laines ne se laissèrent pas décourager par ces lumières nouvelles. Ils s' instituèrent eux-mêmes porteurs de flambeaux et assommèrent les naïfs qui se fiaient à leurs bons offices.
Heureusement, nous n' avons pas à craindre aujourd'hui pareilles mésaventures. Si le projet du conseil municipal aboutit, c' est la préfecture de police qui choisira les veilleurs de nuit à la solde des habitants. Elle les prendra parmi les anciens gardiens de la paix et les anciens agents de la sûreté. Or, comme les agents sont de braves gens, les veilleurs de nuit en seront également et nous pourrons avoir en eux toute confiance.

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Certaines villes de province avaient encore des veilleurs de nuit il n'y a pas plus de dix ans, notamment Marseille et Toulouse, où les veilleurs s' appelaient des « vigilants ». Dans une de nos vieilles cités de Flandre, je me rappelle avoir été très impressionné, en mon enfance, par la voix du veilleur du beffroi, du « guetteur », qui, du haut de sa logette du clocher, criait l' heure et annonçait le temps.
Une Coutume communale, remontant à une lointaine époque, obligeait le guetteur à emboucher un porte-voix pour crier chaque heure, à partir de minuit jusqu'au jour levé, et annoncer l' état du ciel. C' est ainsi que, dans le calme nocturne, une voix formidable s' élevait tout à coup, clamant aux quatre points cardinaux
« Il est minuit sonné !! ...Il fait beau temps », ou bien : « Il est trois heures du matin... Le ciel est couvert. »
Les voyageurs ou les personnes peu accoutumés à ces vieilles mœurs sursautaient d' effroi dans leurs lits ; mais les bons bourgeois étaient habitués à ouïr, dans leur sommeil, cette clameur qui, à intervalles égaux, tombait du ciel et planait sur les maisons silencieuses, et ils ne s' éveillaient pas... Bien mieux, ils ne s' éveillaient qui si le guetteur, négligeant sa fonction, oubliait de sonner une heure... Tant est impérieuse la puissance de l' habitude.
De ces veilleurs-là, je doute qu' il s' en trouve encore, mais plus d' un pays étranger possède le veilleur qui parcourt les rues. L' Alsace, l' Allemagne, la Hollande, désépargne surtout ont leurs veilleurs de nuit.
Gustave Doré et le baron Davillier qui firent, il y a un peu plus de quarante ans, un pittoresque voyage dans la péninsule, ont parlé des veilleurs de nuit espagnols : « C' est dans une des sombres rues de Gerona, disent-ils, que, vers l' heure de minuit, nous entendîmes pour la première fois le chant des serenos. Ces gardes de nuits,avec leur manteau couleur de muraille, leur lanterne et leur pique, reportent en plein moyen âge ; ils ne se bornent pas à veiller sur les bourgeois endormis dans leurs demeures ; ils sont encore chargés de leur annoncer, par un mode particulier, l' heure ainsi que le temps qu' il fait au dehors et comme les nuits d' Espagne sont d' ordinaire sereines, on leur donne naturellement le nom de serenos. On ne peut guère les comparer qu 'aux nachtwachterer d'Amsterdam, qui parcourent la ville armés d' un sabre et d' un bâton, et vont criant les heures en s' accompagnant d' une crécelle. Les serenos sont dépourvus de cet instrument, mais, en revanche, leur mélodie est pleine d' originalité.
» Avant de commencer leur promenade nocturne, les serenos se réunissent à l'ayun-tamiento (la mairie), d' où chacun se dirige vers son quartier ; ils rendent de nombreux services aux citoyens ; ainsi, ils s' assurent que toutes les portes sont bien fermées ; ils vont chercher, dans les cas pressants, la comadre (la sage-femme), le médecin, les sacrements... »
Les serenos sont, on le voit, des fonctionnaires extrêmement précieux. Je dis qu 'ils sont et non qu 'ilsétaient, car l' institution a subsisté à peu près telle que Gustave Doré et le baron Davillier la virent fonctionner. Ces jours derniers encore, un de nos lecteurs de Barcelone, qui m' écrivaità propos clé l' insécurité de Paris, m' en faisait un vif éloge :
« A Barcelone, me disait-il, ville de plus de 800,000 habitants, les attaques nocturnes sont inconnues, et cela grâce au vijilante et au sereno, dont les rôles sont bien différents et se complètent pour assurer la tranquillité des citoyens à partir de la tombée du jour jusqu'au lever du soleil ou à peu près.
»Le vigilante a les clefs des portes des maisons pour un rayon facile à servir, et le sereno, qui chante les heures et les demies, est également chargé de la surveillance de concert avec le vigilante. Tous deux sont armés et, de plus, munis d' un sifflet pour donner l' alarme en cas de nécessité, et, comme au coup de sifflet d' un de ces gardiens répondent de suite les gardiens voisins, si un fait anormal se produit, toute la ville est avertie en un instant. Je laisse à votre soin de dégager les avantages que l' on tire de cette institution qui coûte fort peu aux habitants d' un même quartier connus du sereno et du vigilante... »
Les pays du Nord ont eu longtemps - certains, même, ont encore - leurs vigilants et leurs serenos. En Pologne, les veilleurs de nuit parcouraient les rues deux à deux, portant une lanterne, une crécelle et des hâtons pour se défendre au besoin, et aussi pour frapper aux portes des maisons où l' on aperçoit de la lumière après l' heure du couvre-feu. Ils chantaient, en s' accompagnant de leur crécelle, une ronde de nuit dont voici la. traduction:
Ohé ! messieurs les propriétaires,
Il est déjà dix heures à l' horloge
Couvrez le feu de vos cuisines.
Faites-le vous-mêmes sans vous en remettre
Aux soins de vos domestiques.
Fiez-vous à Dieu et espérez;
Gardez-vous du feu ! Gardez-vous du voleur.

Ohé ! messieurs les propriétaires,
Il est déjà onze heures à l' horloge.
Éteignez vous-même vos flambeaux ;
Ne vous en remettez pas à la prudence de vos gens.
Fiez-vous à Dieu, et bonne nuit !
Gardez-vous du feu !Gardez-vous du. voleur !

Voilà, n'est-il pas vrai, des veilleurs de nuit qui, non contents d' assurer la tranquillité des rues, donnaient encore d' excellents conseils aux propriétaires, et leur rappelaient fort judicieusement qu'en toutes choses il n' est de bonne surveillance que celle de l' oeil du maître.

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Je ne sais s' il vous en souvient, mais ce n' est pas tout à fait d' aujourd'hui qu' il est question de nous donner des serenos, et l' idée ne vient pas du conseil municipal. Elle est sortie toute armée et toute prête à être réalisée, du cerveau de quelques commerçants parisiens du quartier de l' Opéra.
C' est, si je me le rappelle, au début de 1905 que ces négociants formèrent un syndicat à l' effet de se défendre contre les cambrioleurs. Ils proposèrent à M. Lépine - qui se montra favorable à leur projet et s' engagea à leur recruter le personnel nécessaire - de créer un corps d' une dizaine de veilleurs placés sous les ordres d' un ancien commissaire de police. Ces veilleurs devaient commencer leur service le soir à sept heures, à, la fermeture des magasins, et le terminer le matin, à la même heure. Leur mission consisterait à inspecter les devantures des magasins du quartier, à s' assurer qu' aucune lumière suspecte ne filtre à travers les portes, à prêter l' oreille à tout bruit insolite.
Ils devaient avoir un uniforme, différent, bien entendu, de celui des gardiens de la paix, afin qu' on ne pût les requérir en cas de manifestation ou de bagarre ; mais, considérés comme des agents de la force publique, ils n' en devaient pas moins avoir tout droit d' arrêter les malfaiteurs.
Telles étaient les conditions prévues pour le fonctionnement du corps de serenos de l' avenue de l' opéra. Qu 'est devenue cet
te intéressante initiative ?... Fonctionnera-t-elle bientôt ? Et servira-t-elle d' exemple et de pierre de touche au projet dont le conseil municipal s' occupe en ce moment ? Pour la sécurité de Paris souhaitons-le.

Ernest Laut

Le Petit Journal illustré du 14 avril 1907