UN GLORIEUX ANNIVERSAIRE

L' entrée de Jeanne d' Arc à Orléans

Nous donnons, plus loin, le résumé de la merveilleuse épopée de Jeanne la bonne Lorraine. A l' heure où la ville d' Orléans fête, par son cortège traditionnel, l' anniversaire de sa délivrance par Jeanne d' Arc, nous avons cru devoir évoquer, dans un tableau composé avec tous les éléments de la couleur locale et de la vérité, le souvenir de cette grande date historique.
« Jeanne, dit l' historien Wallon, entra dans Orléans, à huit heures du soir, armée de toutes pièces et montée sur son cheval blanc. Elle s' avançait portant sa bannière, ayant à sa gauche Danois richement armé, derrière elle, plusieurs nobles seigneurs et quelques hommes de la garnison ou de la bourgeoisie d'Orléans qui étaient venus lui faire cortège. Mais c' est en vain qu' on eût voulu tenir la foule éloignée :
tout le peuple était accouru a sa rencontre, portant des torches et manifestant une grande joie... Tous se pressaient autour d' elle, hommes, femmes et petits enfants. cherchant à la toucher, à toucher au moins son cheval (dans leur empressement ils faillirent de leurs torches brûler son étendard) ; et ils l' accompagnèrent ainsi lui faisant « grant chère et grant bonheur ... »

VARIÉTÉ
La mission de Jeanne d' Arc
Une épopée héroïque et miraculeuse. - La bergère de Domrémy. - Vaucouleurs. - L'instinct populaire. - « C' est vous qui êtes le roi ! » - La délivrance d'Orléans. - Le sacre. - Paris et Compiègne.
Rouen, le procès et le supplice. - Le mot d' un grand poète.

-La mission de Jeanne d' Arc, que je voudrais résumer ici en quelques tableaux rapides, est une mission d' héroïsme et de miracle. Depuis bientôt cinq siècles, elle passionne les commentateurs et les historiens, les artistes et les poètes. Les récits de cette épopée merveilleuse emplissent encore l' imagination populaire. La vie de « la bonne Lorraine » est un des exemples les prodigieux de ce que peuvent, sur l' énergie humaine, le sentiment de la pitié pour un peuple qui souffre, et cet autre sentiment de dévouement, d' abnégation, de sacrifice qu' aucun terme n' exprimait en ce temps là et qu' on nomme aujourd'hui l' amour de la Patrie.

DOMRÉMY
Jeanne d' Arc naquit le 6 Janvier 1412, à Domrémy, en pays de Barrois, entre Neufchâteau et Vaucouleurs. Son père se nommait Jacques d' Arc, et sa mère Isabelle Romée. C' étaient des cultivateurs pauvrets, mais honorés pour leur probité. Jeanne ne sut jamais ni lire ni écrire. Elle n' était occupée qu 'à filer la laine et à soigner le bétail. Tout le monde, dans le village, l' aimait pour sa douceur, sa simplicité, sa vie laborieuse et sa piété. .
Un jour, - elle avait alors treize ans, - à l' heure de midi, dans le jardin de son père, elle crut entendre une voix inconnue qui l' appelait... Elle leva les yeux et elle vit l' archange Michel entouré d' une cohorte d' anges elle vit aussi sainte Catherine et sainte Marguerite... D' abord, elle s' effraya ; puis ces apparitions se firent fréquentes et développèrent l' exaltation de la jeune fille. Les voix qu 'elle entendait lui disaient : « Va ! Tu délivreras Orléans, tu feras sacrer le Dauphin à Reims et tu chasseras l' étranger du royaume de France... » Jeanne crut de toute son âme à cette mission divine et se dévoua à l' accomplir.
Ces extases, ces voix du ciel s' expliquent par l' influence que devait exercer, sur l' imagination rêveuse d' une jeune fille, l' état de la France à cette époque.
L' invasion des Anglais, les luttes acharnées des princes et des nobles, la faiblesse de la royauté, la peste et la famine avaient causé la ruine du pays. L' âme populaire, surtout, souffrait de la perte de la nationalité française. Les Anglais occupaient presque tout le royaume. A la mort de Charles VI, Henri de Lancastre avait été proclamé roi de France et d' Angleterre, et le duc de Bedfort gouvernait à Paris, avec le titre de Régent de France.
Orléans était assiégé depuis cinq mois par les Anglais, et Charles VII n' avait plus que quelques petites places du Centre. On ne l' appelait plus, par dérision, que le roi de Bourges.
Tout semblait perdu ; la France allait devenir anglaise, quand une jeune fille accourut à la délivrance de la patrie.

VAUCOULEURS
Jeanne, en effet, s' en vient à Vaucouleurs. Elle a seize ans. Elle est, dit la chronique « moult belle, de grande force et puissance ». Elle demande au sire de Baudricourt de la faire conduire au roi. Mais la soudard la traite de folle et la renvoie à ses parents, leur conseillant de la bien souffleter. Déjà son père n' avait-il pas dit qu' il la jetterait à l' eau, plutôt que de la voir partir pour l' armée ? Jeanne se soumet.
Mais, de nouveau, elle entend ses voix qui deviennent, de jour en jour, plus pressantes. Et, bravant la colère paternelle, elle retourne à Vaucouleurs. Baudricourt commence à se laisser toucher par cette constance. Et puis, le peuple croit à la mission de Jeanne. Bientôt, les hommes d' armes se laissent convaincre. Ebranlés par son assurance, ils veulent partir avec elle :
- Ma mie, lui disent-ils, qu' attendez-vous céans ?... Faudra-t-il que le roi soit chassé du royaume et que nous devenions Anglais ?
- Avant le milieu du carême, leur répond-elle, je serai par devers le dauphin... Ah ! certes, j' aimerais mieux filer auprès de ma mère, mais il faut que j'y aille...
Les gens de Vaucouleurs se cotisent pour lui acheter un équipement et, accompagnée de quelques hommes d' armes, elle se met en route...

CHINON
Le 24 Février 1427, elle entrait dans Chinon où se trouvait le roi. Elle fut deux jours avant de pouvoir être introduite à la cour. Quand elle y parut, elle se trouva devant un groupe nombreux de seigneurs, parmi lesquels Charles se dissimulait. Bien qu 'elle ne l'eût jamais vu, elle alla droit à lui
- Dieu vous donne bonne vie, gentil prince ! lui dit-elle.
- Je ne suis pas le roi, répondit-il.
Et, montrant un seigneur
- Celui-ci est le roi !
- Non, s' écria Jeanne, vous êtes le roi et non un autre. Et je suis envoyée du ciel pour faire lever le siège d'Orléans et vous conduire sacrer à Reims.
On lui fit subir force épreuves, passer maints interrogatoires afin de s' assurer si elle était bien envoyée de Dieu. Enfin, elle obtint de marcher au secours d'Orléans. On lui donna le titre de chef de guerre et elle se rendit à Tours où elle fut équipée. Elle commanda elle-même son étendard, dont elle donna plus tard la description lors de son procès. Cet étendard était d' une toile blanche, appelée alors roucassin, et frangée de soie. Sur un champ blanc, semé de fleurs de lys, était figuré Jésus-Christ assis sur son tribunal, dans les nuées du ciel, et tenant un globe dans ses mains ; à droite et à gauche étaient représentés deux anges en adoration ; l' un d' eux tenait une fleur de lys sur laquelle Dieu semblait répandre ses bénédictions ; les mots Jhésus Mari s était écrits à côté.
Mais il lui fallait une épée . Elle ordonna qu' on allât fouiller le sol derrière, l' autel Sainte-Catherine de Fierbois et qu' on lui apportât l' épée qu' on trouverait là. On y fut et l' on trouva une épée, en effet. Cette découverte miraculeuse excita l' enthousiasme des soldats et de la foule. Tous la croyaient inspirée par une puissance surnaturelle.
De Tours, elle s' en fut à Blois. Et de Blois, le 28 Avril, elle partit pour Orléans, à la tête d' une petite armée de 5,000 hommes.

ORLÉANS
Le lendemain, elle était en vue de la ville. Bientôt elle y pénétrait, après avoir traversé les lignes ennemies. Elle relevait le courage des habitants, les menait aux remparts et commençait l' assaut contre les forts des Anglais. En trois jours de combat, elles les chassait de leurs bastilles. Le 7 Mai, ils ne possédaient, plus que le fort des Tourelles, qui s' élevaità la tête du pont de la Loire. Jeanne conduit ses troupes à l' attaque, Une flèche l' atteint à l' épaule. La douleur lui arrache des larmes, mais ne ralentit pas son effort. Sa bannière en main, elle entraîne ses soldats. Les Tourelles tombent en son pouvoir.
- Jamais, disait La Hire, je n' ai rencontré si brave chevalière. .
Jeanne rentra triomphalement dans la ville.
Le lendemain, 8 Mai 1429, les Anglais levaient le siège et se dirigeaient vers Meung. C' est l' anniversaire de cette journée qu' on célèbre encore, chaque année, à Orléans.
Mais la mission de Jeanne n' est pas terminée. Elle se met à la poursuite de l' ennemi, s' empare de Jargeau, enlève les retranchements du pont de Meung-sur-Loire, force Beaugency à capituler et écrase les Anglais à Patay.
En quelques jours, cette « vachère de dix-sept-ans », comme l' appelaient dédaigneusement ses ennemis, avait pris trois villes, battu en rase campagne la formidable armée anglaise, fait prisonnier ses deux plus grands généraux et vengé les désastres de Crécy, de Poitiers et d'Azincourt.

REIMS
Toutes ces victoires décident enfin le roi à se confier à Jeanne. Malgré les avis des seigneurs, qui redoutaient de traverser quatre-vingts lieues de pays occupé par l' ennemi, elle l' entraîne. Le 16 Juillet au soir, l' armée française entre dans Reims à la lueur des flambeaux.
Le lendemain Charles VII est sacré roi de France dans la cathédrale. Jeanne est auprès de lui, son étendard à la main.
La cérémonie accomplie, Jeanne d' Arc estima sa mission terminée et demanda à retourner à Domrémy.
- Plût à Dieu, dit-elle à l' archevêque de Reims, que je pusse maintenant partir, abandonnant les armes, et aller servir mon père et ma mère, en gardant leurs brebis, avec ma sueur et mes frères...
Le roi refusa de la laisser partir.

PARIS
De toutes parts, le sentiment national se réveille. Jeanne reprend la campagne ; elle enlève aux Anglais toutes les places de la Brie et de la Champagne. Elle arrive enfin devant Paris, le 26 Août. Après quelques jours d' escarmouches, elle donne l' assaut le 8 Septembre. A la fin de la journée, elle est atteinte d' un trait d' arbalète à la cuisse et tombe toute sanglante dans un fossé. Cette blessure lui semble un avertissement du ciel. De nouveau, elle veut partir. Le roi s'y oppose encore : la pauvre fille accomplira jusqu'au bout sa tragique destinée.

C0MPIÈGNE
Au printemps suivant, elle apprend que les Anglais assiègent Compiègne. Elle se précipite au secours de la ville. Cette fois, c' est à sa perte qu 'elle court. Elle parvient à entrer dans la ville le 23 Mai 1430. Le lendemain, dans une sortie, elle se trouve tout à coup séparée des siens. Des ennemis l' entourent. Un archer s' accroche à son hocqueton, la tire à bas de son cheval et la livre à Jean de Luxembourg.
Ses voix le lui avaient dit après le sacre :
« Avant la Saint-Jean prochaine, tu seras prisonnière. »
Le sire de Luxembourg l' enferme d' abord à Beaulieu, puis dans son château de Beaurevoir. Il hésite à la livrer aux Anglais. Mais Bedford offre 10,000 livres tournois. Jean de Luxembourg accepte et se déshonore à jamais en livrant l' héroïne.

ROUEN
Traînée de Beaurevoir à Arras, d'Arras au Crotoy, Jeanne fut enfin enfermée à Rouen.
Son procès commença le 21 Février 1431. Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, et un inquisiteur nommé Lemaire, assistés de soixante assesseurs qui n' avaient que voix consultative, furent ses juges. Pendant trois mois, elle soutint les assauts de ce tribunal infâme, et elle se défendit avec un courage, une résignation, une présence d' esprit que ne purent étouffer la cruauté et la perfidie de ses bourreaux.
Elle fut condamnée à être brûlée « comme relapse, excommuniée, rejetée du sein de l'Eglise, et jugée digne, par ses forfaits, d' être livrée au bras séculier.
- J' en appelle à Dieu, le grand juge, s' écria-t-elle, des grands torts et ingravances qu' on me fait..

Le 31 Mai à neuf heures du matin, elle fut conduite au bûcher. Son corps, dit la légende, fut réduit en cendres, mais son coeur fut retrouvé intact ; et, en le voyant, un officier anglais, secrétaire du roi d' Angleterre, s' écriait :
- Nous sommes perdus, nous avons brûlé une sainte !
Charles VII, qui devait à Jeanne son royaume et sa couronne, n' avait pas tenté le moindre effort pour la sauver.

***
Quelques mois plus tard, les Anglais, suivant.la prédiction de Jeanne, étaient définitivement « boutés hors de France » et la nationalité française était sauvée.
Tant il est vrai, comme l'a dit plus tard un grand poète en pensant à la « bonne a Lorraine », que « lorsque tout semble désespéré, dans une cause nationale, il ne faut pas désespérer encore, s' il reste un foyer de résistance dans un coeur de femme ».
Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 12 Mai 1907