UN DRAME DANS UN MUSIC-HALL
Deux danseuses de corde tombent dans la cage aux lions

Parmi les numéros d' un music-hall parisien, il en était un où l' on voyait, ces jours derniers encore, deux jeunes femmes, deux soeurs, exécuter différents exercices d' équilibre en marchant sur une corde en fil de fer tendue au-dessus d' une cage dont le toit avait été enlevé, et dans laquelle se trouvaient deux superbes lions d' Abyssinie.
L' autre soir, au moment où, vêtues d' un simple maillot, les deux équilibristes arrivaient, côte à côte, à la moitié du parcours qu' elles avaient à accomplir, c'est-à-dire à peu près au milieu de la cage, un des tendeurs du fil céda sous le poids et, la corde s' étant rompue, les deux malheureuses tombèrent entre les deux lions, dans la cage où, heureusement, se trouvait le dompteur.
Les fauves, que cette chute soudaine et inattendue avait mis en fureur, se dressèrent aussitôt et se précipitèrent sur les deux femmes. L' une d' elles fut renversée et reçut au côté droit un terrible coup de griffe qui détermina une abondante hémorragie. Quant à sa soeur, elle s' était blessée au pied en tombant et resta étendue à terre. Grâce au sang-froid du dompteur qui, bien que désarmé, tint les lions en respect, les deux soeurs purent être retirées de la cage par le personnel affolé qui s' était précipité sur la scène en entendant les cris de terreur poussés par les spectateurs.
Cette scène causa, en effet, une émotion profonde et douloureuse dans l' assistance.
Notre collaborateur Jean Lecoq, qui la commentait ces jours-ci dans le Petit Journal, protestait avec raison contre cet abus des plaisirs dangereux, des distractions malsaines auxquels on attire trop volontiers le public en ce temps-ci.
Il estimait justement que le succès de ces danseuses de corde n'eût dû être qu 'une question de grâce, de légèreté, de souplesse et de sang-froid, et que point n' était besoin d' y ajouter l' attrait morbide du danger et il souhaitait. en fin de compte, qu' on se décidât à réagir contre ce besoin d' émotions fortes, et contre ces spectacles d' angoisse et d' épouvante qui sont toujours immoraux et parfois criminels.
Nous espérons que la préfecture de police entendra cet appel

Le Petit Journal illustré du 19 Mai 1907