LE CRIME DE LA RUE DE LABORDE

Une femme assassin

Voilà maintenant que les femmes s' en mêlent et qu' il va falloir se méfier des apaches du sexe faible autant que de ceux du sexe fort.
Ces, jours derniers, en pleine journée, dans un des quartiers les plus élégants de Paris, rue de Laborde, une femme a tenté de tuer une autre femme pour la voler.
La victime, qui a survécu miraculeusement aux coups qu' elle a reçus, est une sexagénaire nommée Mme de Parmentier. Elle vit seule, n' ayant qu' une femme de ménage qui vient le matin mettre en ordre son appartement.
La meurtrière, qui semble avoir été parfaitement renseignée sur les habitudes de la vieille dame, se présenta à elle comme venant de la part d' une de ses amies pour lui proposer un logement à la campagne.
A peine Mme de Parmentier l' avait-elle introduite que la visiteuse se jetait sur elle et la renversait sur un canapé.
Mme de Parmentier a pu faire au commissaire de police le dramatique récit de l' agression.
- Je me vis perdue. La femme s' était penchée sur moi et, ses yeux dans les miens, me criait ;
« - Je suis une malheureuse, mes enfants crèvent de faim ; il me faut tout votre argent ! »
Elle m' avait prise à la gorge ; elle avait sorti de son corsage un pistolet dont elle me posa le canon sur la tempe.
J' étouffais. Pourtant je pus murmurer :
« - Voulez-vous vingt francs, quarante francs ? Je n' ai pas plus d' argent ici.
» - Non, non, répliqua l' inconnue ; c' est tout ce que vous avez qu' il me faut ! »
Puis elle me martela la face avec la crosse de son arme, me serra la gorge, me laboura le cou, la poitrine avec ses ongles.
Je sentis que je perdais connaissance.
Je ne restai pas longtemps évanouie. Quand je rouvris les yeux, je vis la misérable occupée à fracturer le dessus de mon piano, dans lequel je cache l' argent et les titres que je garde ici.
D' un mouvement instinctif, je me soulevai un peu. L 'inconnue s' en aperçut et revint vers moi, le poing levé.
Une fois encore, elle me frappa avec la dernière violence, cherchant à m' assommer, puis à m' étrangler. De nouveau je perdis connaissance, et ce second évanouissement dut durer assez longtemps.
Lorsque je revins à moi, l' odieuse femme avait disparu.
La vieille dame se crut sauvée. Elle se traîna jusqu' à la porte du vestibule, l' ouvrit. La meurtrière était encore là. Une troisième fois, elle s' acharna sur sa victime. Enfin, elle l' abandonna, évanouie et toute sanglante, et elle s' enfuit.
C' est alors seulement que Mme de Parmentier revenue à elle, put se traînée jusqu' à la loge des concierges et faire le récit de la tentative d' assassinat dont elle avait été l' objet.

Le Petit Journal illustré du 14 Juillet 1907