PENDANT L' AGONIE D' UN PÈRE

Terrible drame de famille à Versailles
Une maison de la calme rue Maurepas, à Versailles, habitée par une honorable famille américaine, a été, ces jours derniers, le théâtre d' une épouvantable tragédie intime. Le père, M. Henrig-Alonzo Huntington. ancien officier de l' armée américaine, se mourait, entouré de sa femme, de ses deux filles et de deux de ses fils. Un troisième fils, M. Henri Huntington, éloigné du foyer familial depuis plusieurs années par suite de dissentiments peu graves, fut mandé pour assister aux derniers moments de son père. Mais à peine était-il dans la chambre du moribond qu' une vive altercation éclatait entre lui et ses frères et sueurs.
M. Douglas Huntington, le frère aîné, a raconté comment se produisit la terrible scène
C' est à moi, dit-il, que mon frère Henri s' en prit d' abord. Il s' emporta, prétendit que notre père avait été mal soigné :
» - Douglas, me cria-t-il, vous qui vous dites en toutes occasions le chef de la famille, pourquoi n' avez-vous pas pris la direction des soins à donner à notre père Si mon père meurt, d' après ce que je vois, ce sera complètement de votre faute.
» Et il se lança dans une explication technique, disant qu' il étudiait la médecine, que des injections d' eau salé eussent sauvé le malade, qu' un de ses amis avait expérimenté le remède.
» - Henri, lui répondis-je, vous oubliez que vous êtes près d' un mourant : si c' est pour faire une vie pareille que vous êtes venu, vois auriez mieux fait de rester chez vous.
» - Ah ! c' est comme cela ? Ne vous emballez pas, j' ai vu mon père, je m' en vais.
Tranquillement, il se dirigea vers la porte, puis, se retournant, il sortit son revolver et fit feu sur moi.
» C' est moi seul qu' il voulait atteindre. Je tombai, blessé à la tête ; ma soeur Elisaheth se jeta devant moi pour me protéger et fut blessée à son tour. Ma sœur Edith, voulant la défendre, fut grièvement atteinte par un troisième projectile. Je m' étais relevé, avec l' aide de mon frère Alonzo et de l' infirmier Marius, qui veillait mon père et était accouru ; je tentai de désarmer Henri que je saisis à la gorge. Il se dégagea, fit feu une dernière fois, atteignant Alonzo et s' enfuit... »
On juge de l' atrocité d' une pareille scène se passant devant le lit d' un mourant.
La meurtrier fut arrêté par un gardien du parc de Versailles que le bruit des détonations avait attiré. Il a été écroué à la prison de la ville, où il ne cesse de manifester un véritable désespoir. Sa famille explique son acte par des fatalités physiologiques et déclare que ce malheureux fratricide est un névrosé, un malade bien plutôt qu' un criminel.

Le Petit Journal illustré du 10 Août 1907