« ROI SANS TRONE »,

LE NOUVEAU FEUILLETON DU

size="3">« PETIT JOURNAL »

L' une des scènes capitales : le fils de Louis XVI acclamant l' Empereur

Le roman historique a eu des fortunes diverses. Sa vogue, que le génie d' Alexandre Dumas père avait portée à son apogée, a semblé décroître pendant un temps ; mais, à la vérité, le goût du public ne s' est jamais détaché des belles aventures basées sur le récit des événements historiques.
Que de gens n' ont appris l' histoire que dans ces romans immortels où vivent les figures, tour à tour héroïques ou joviales, de Bussy d' Amboise et de Chicot, de Porthos ou de d' Artagnan, du chevalier de Maison-Rouge ou d' Ange Pitou ?
Il appartenait au Petit Journal de rendre au roman historique son lustre passé. L' oeuvre dont il commence la publication est de celles qui compteront dans la renaissance de ce genre littéraire. L' auteur M. Maurice Montégut, en a placé l' action à une époque brillante entre toutes. C' est l' époque impériale qui revit tout entière dans les péripéties du roman. « Roi sans trône !... » dit le titre... Et quel est-il, ce roi qui n' a pas de royaume ? Ce n' est autre que l' héritier de droit divin du royaume de France, le petit dauphin Louis XVII...
On sait qu' une tradition, aujourd' hui acceptée par un grand nombre de personnes, même par de graves historiens, prétend qu' il y aurait eu au Temple substitution d' enfant, que l' héritier royal aurait été enlevé de la prison, qu' il aurait vécu de longues années et fait souche d' héritiers.
Quoi qu' il en soit, les partisans de cette survivance du dauphin n' expliquent pas comment se serait passée sa jeunesse. L' auteur de Roi sans trône, usant ingénieusement de son droit de romancier, en a profité pour faire du petit prince dépossédé un serviteur de la France. Sous le nom de M. de Grandlys, le jeune héros est officier de l' armée impériale.
Les lecteurs du Petit Journal trouveront à coup sûr l' idée originale, et nous ne doutons point qu' ils ne suivent avec le plus vif intérêt, à travers une action rapide, pittoresque et mouvementée, les aventures héroïques et touchantes de M. de Grandlys.


VARIETE

le chapitre des Chapeaux

Rien de nouveau sous le soleil de la mode. - Les grands chapeaux du quinzième siècle. - Frère Thomas Conecte et la croisade centre las hennins. - Coiffures géantes de la fin de dix-huitième siècle. - La folie des panaches. - Le « pouf au sentiment » de la duchesse de Chartres. - Comment un directeur de théâtre amena les spectatrices à ôter leurs chapeaux.

Aristote, qui n' a pas, quoi qu' en dise Molière, écrit le chapitre des chapeaux, l' écrirait à coup sûr s' il vivait de nos jours. Car le chapeau - celui des dames, du moins - tient une place singulière dans nos préoccupations actuelles. Il n' est plus question que des chapeaux féminins, de leur taille, de leur ornementation, de leur luxe, de leur prix fabuleux... Jamais les chapeaux ne firent autant parler d' eux.
Jamais ?... Est-ce bien sûr ?... La mode et un éternel recommencement. N' affirmons rien avant d' avoir jeté un long regard sur le passé. Et nous verrons que, à des époques lointaines, le chapeau des belles dames fit scandale tout autant que de nos jours.
En ce temps-là - c' était vers l' an 1428 -Paris n' avait pas encore le sceptre de la mode. Les lois du bon ton venaient de Bruges et de Gand, où le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, tenait une cour des plus brillantes.
L' or du monde entier affluait dans ces deux villes. Elles étaient le séjour de la magnificence. Les dames y dictaient les lois de la mode et s' ingéniaient à inventer les plus invraisemblables atours. C' est de l' imagination de ces Flamandes fastueuses que sortit cette coiffe monumentale qu' on appela le hennin. Il y eut des hennins de formes diverses. Les uns se composaient d' un bourrelet en pain fendu dressé sur le front et soutenu par une calotte élevée ; d' autres, ajustés en sens inverse, descendaient sur la nuque; d' autres, encore, montaient en se séparant de droite et de gauche et figuraient, à s' y méprendre, la tiare du grand-prêtre des Juifs, telle que la décrivent les auteurs de l' antiquité ; d' autres avaient la forme d' un pain de sucre ; d' autres, celle d' un bonnet persan.
Toutes ces coiffes étaient recouvertes de pièces de linon empesé maintenues par des fils d' archal.
J' ignore si les preux chevaliers de ce temps-là goûtaient chez leurs femmes cette façon de s' orner le chef, mais je sais bien que l' Église n' approuvait point ce luxe des coiffures. Elle le jugeait immoral et diabolique, et elle déchaînait contre les hennins l' éloquence redoutable de ses prédicateurs les plus populaires.
C' est ainsi que, en Flandre, Tournaisis, Artois et marches environnantes, un célèbre prêcheur de l' ordre des Carmes, frère Thomas Conecte, allait, de ville en ville, tonnant et déblatérant contre les dames et leurs invraisemblables coiffures. Sur un « eschaffault » dressé en pleine place publique, le terrible Carme disait sa messe, et, après, dit Monstrelet, « faisoit ses prédications bien longues en blasmant les vices et les péchés d' un chascun ; et spécialement blasmoit et diffamoit très fort les femmes de noble lignée et autres de quelque estat qu' elles fussent, portant sur leurs testes haults atours. Desquelles nobles femmes, nulle avec iceulx atours ne s'osoit trouver en sa présence ; car quand il en voyoit une, il esmouvoit après elle les petits enfans, et les faisoit crier : « Au hennin ! au hennin ! »
Voyez-vous le malicieux Carme qui déchaînait après les pauvres dames la marmaille insolente et gouailleuse ? Les malheureuses n' osaient plus se montrer. Aussitôt que les, gamins en apercevaient une ils se lançaient à sa poursuite, empoignaient les voiles du gigantesque chapero, décoiffaient la dame. Et, des hennins ainsi arrachées, on faisait des feux de joie sur les places publiques.
Frère Thomas Conecte débarrassa ainsi, pour un temps, les provinces septentrionales de la tyrannie des hauts atours. Je dis pour un temps, car, lui parti, les dames qui, en sa présence, s' habillaient modestement, à la façon des femmes du béguinage, reprirent leurs grandes coiffes et les portèrent même plus hautes qu' auparavant, imitant en ceci, dit encore le vieux chroniqueur, « l' exemple du limaçon, lequel, quand on passe près de lui, retire ses cornes par dedans, et quand il n' ouït plus rien les reboute dehors... »

***
Faisons un bond de quelques siècles. Cette fois, c' est Paris qui dicte la mode. Et cette mode est encore celle des coiffures géantes. Marie-Antoinette règne à Versailles, et Mlle Bertin, la marchande de modes, règne elle-même sur l' esprit de Marie-Antoinette. De l' imagination de cette négociante, qui s' intitule modestement « secrétaire d' État de la mode », sortent les plus invraisemblables créations.
Les perruquiers, d' ailleurs, ne lui cèdent en rien en fait d' exagérations. L' échafaudage des cheveux se hausse tellement que bientôt le visage semble être aux deux tiers du corps. Des caricatures du temps montrent les coiffeurs grimpés sur une échelle pour arranger la chevelure des dames. Quand je dis la chevelure, le terme est insuffisant ; ce qui s' étage sur la tête des femmes à la mode, c' est tout autre chose que des cheveux : coussins gonflés de crin, plumes, rubans, épingles innombrables, plumes, fruits, chiffons de toutes sortes. Léonard, le fameux Léonard, celui-là même qui causa peut-être l' échec de Varennes, Léonard réussit un jour à faire entrer quatorze aunes d' étoffe dans une seule coiffure.
Mme d' Oberkirch, qui a laissé sur le commencement du règne de Louis XVI de charmants mémoires trop peu connus, raconte que, pour une présentation à Versailles, on lui fit une coiffure aussi originale qu' incommode. Un grand nombre de petites bouteilles plates, remplies d'eau, furent habilement dissimulées dans sa chevelure, et, dans chacune de ces bouteilles trempaient des tiges de fleurs naturelles. L' opération, commencée à six heures du matin, se poursuivit toute la journée. Le soir, enfin, la tête couverte d' un véritable parterre fleuri, la dame monta en carrosse, mais sa coiffure était si haute qu' elle ne put se tenir assise et qu' il lui fallut accomplir à genoux le voyage de Paris à Versailles.
On eut alors, tout autant qu' aujourd' hui, le goût immodéré des panaches. Mlle Bertin, ayant un jour entendu la reine prononcer en s' amusant la locution provençale « Qu'es a ,co ? » inventa la coiffure an qucsaco. C' étaient trois plumes énormes plantées debout derrière le chignon.
Mais trois plumes, c' était trop peu. On imagina la coiffure à la Minerve, cimier de dix plumes d' autruche mouchetées d' yeux de paon qui s' ajustait sur une coiffe de velours noir brodée de paillettes d' or.
Les poufs vinrent ajouter leur fantaisie à ces plumages, Dans la composition du pouf au sentiment, on réunissait tous les objets, si disparates fussent-ils, que préférait la personne qui le portait. Le continuateur des Mémoires de Bachaumont nous a laissé la description d' un pouf au sentiment que porta un jour la duchesse de Chartres.
On y voyait une poupée représentant une nourrice avec son nourrisson ; un perroquet, oiseau préféré de la duchesse ; un petit nègre, parce que la noble dame avait un négrillon qu' elle aimait fort, et, par-dessus le tout, trois touffes de cheveux, l' une du duc de Chartres, son mari ; l' autre du duc de Penthièvre, son père ; la troisième du duc d' Orléans, son beau-père. Et voilà dans quel équipage s' exhibait une princesse de sang royal !...
On vit maints autres genres de poufs non moins extravagants : les poufs au lever de la reine, au chien couchant, en parc anglais, en moulin à vent, à la Belle-Poule,
à la Junon. Ces deux derniers étaient inspirés par les hauts faits de la marine française pendant la guerre de l' Indépendance de l' Amérique. Les dames, pour, honorer nos marins, portaient sur leur tête des frégates entières avec leur mâture, leurs voiles et leurs agrès.
Tous ces panaches n' allaient pas sans inconvénients. Les hautes coiffures empêchaient les élégantes d' entrer dans leurs voitures. Il fallut qu' un industriel avisé inventât un mécanisme ingénieux qui, dissimulé dans l' étoffe des poufs, permettait d' abaisser et de redresser la coiffure à volonté. Au théâtre, les malheureux spectateurs ne voyaient pas le plus petit bout de la scène. Il fallut interdire aux femmes l' amphithéâtre de l' Opéra.
Mercier, dans son Tableau de Paris, rapporte qu' une rangée de femmes placées à l' orchestre bouchait la vue à tout un parterre :
« C' était un vrai désespoir, dit-il : on murmurait tout haut, mais les femmes en riaient, et la politesse parisienne se contentait de gronder mais n' allait point au delà... »
Hélas !... N' en est-il pas de même - aujourd' hui ?... La coquetterie féminine continue à nous tyranniser, mais, comme jadis, la politesse parisienne se contente de gronder et ne va point au delà.

***
Pourtant, l' autorité s' en mêla. En 1786, le lieutenant de police de Crosne entra résolument en lutte contre les grands chapeaux. Il adressa cette ordonnance aux comédiens italiens :
« Il m' a été porté, messieurs, des plaintes réitérées sur l' inconvénient qui résulte, pour un grand nombre de spectateurs, de l' étendue et du volume énorme des chapeaux et autres coëfures avec lesquelles plusieurs femmes s' y présentent. et qui privant de la vue du spectacle et des acteurs toutes les personnes qui se trouvent placées autour ou derrière elles. Je vous prie de recommander à vos préposés de ne permettre l' entrée qu' à des femmes dont la coëfure ne pourra incommoder les spectateurs. Si le secours de la garde était nécessaire, j' ai pris des mesures pour qu' il soit prêté main-forte à ces préposés, dans le cas où ils en auraient besoin. »
J' ignore si le secours de la garde fut nécessaire. En tout cas, les femmes n' abaissèrent pas d' un pouce la hauteur de leurs coiffures, et le lieutenant de police en fut pour ses frais de sévérité.
La tyrannie féminine ne fut même que momentanément abattue par la Révolution. Elle reparut sous l' Empire et se montra à ce point excessive que, en 1807, aux Variétés, où l' on donnait le Panorama de Momus, les spectateurs exaspérés protestèrent bruyamment et la représentation fut interrompue. Mme Vaunois, la modiste en vogue, venait de lancer un chapeau extravagant dénommé le Trophée de Victoire. Toutes les dames en étaient coiffées, et les malheureux hommes placés derrière ces couvre-chefs symboliques n' apercevaient pas le plus petit coin de la scène. Ils menèrent alors un tel charivari qu' il fallut appeler la garde et faire évacuer le parterre.
Le lendemain, pour éviter le retour de pareil scandale, Désaugiers, qui dirigeait alors ce théâtre, s' avisa d' un moyen ingénieux. Il fit apposer cet avis dans les couloirs :
« Les jolies femmes sont priées de déposer leur chapeau au vestiaire ; les autres peuvent le garder. »
Le soir, toutes les femmes étaient nu-tête.
Si les directeurs actuels de nos théâtres parisiens trouvent le stratagème ingénieux, ils n' auront, jamais plus qu' en ce moment, l' occasion favorable de l' expérimenter.
Ernest Laut

Le Petit Journal illustré du 1 Décembre 1907