L' ATTENTAT DE LISBONNE



L' assassinat du roi de Portugal et du prince héritier a causé, dans toute l' Europe, une émotion profonde et soulevé l' indignation du monde civilisé.
C' est au retour d' une fête à Villaviçosa que le souverain et son fils ont été frappés. La voiture royale, dans laquelle se trouvaient le roi, la reine et leurs deux fils : le prince héritier et l' infant Manuel, débouchait de la place du Commerce dans la rue de l' Arsenal quand, soudain, un homme se précipita sur la voiture, s' y cramponna et déchargea son revolver sur le roi qui, blessé à mort, s' affaissa aussitôt.
La reine, au premier coup de feu, s' était levée, tenant encore le bouquet que des jeunes filles de Lisbonne venaient de lui offrir à la gare, et, dans un geste sublime de dévouement maternel, elle essayait de couvrir de son corps ses deux enfants.
Mais, en même temps, un second assassin, tirant une carabine de dessous une longue cape dont il était revêtu, ajustait le prince royal et l' atteignait de deux coups de feu.
D' autres régicides tiraient à leur tour. Une balle blessait au bras l' infant Manuel. Seule, la reine, par miracle, échappait à cet horrible massacre.
Au bruit de la fusillade, des agents de police, des soldats accoururent. Un officier tua, d' un coup de revolver,, l' un des régicides ; deux autres furent abattus par les agents.
Le cocher, épouvanté, avait enlevé ses chevaux ; l' équipage s' engouffra sous la voûte de l' arsenal, à quelques mètres de là. Quand il y arriva, le roi était mort ; le prince royal agonisait.
Le roi Carlos n' avait pas quarante-cinq ans. C' était un ami de notre pays et un familier de notre capitale. Artiste peintre de valeur, il avait exposé plusieurs fois des toiles remarquables à nos salons des Beaux-Arts. Mais la science le passionnait autant que l' art, et l' on a rappelé justement que, lors de son dernier voyage officiel à Paris, il avait voulu assister, au Muséum, à une solennité au cours de laquelle nos savants les plus illustres exposèrent devant lui le dernier état, de leurs recherches.
Son fils aîné, l' infant Louis-Philippe, assassiné avec lui, n' avait que vingt et un ans.
Enfin, son second fils, devenu le roi Manuel II, n' est âge que de dix-huit ans. Il aura connu de bonne heure les lourdes responsabilités et les graves soucis du pouvoir.

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L' admiration, la pitié, le respect de tous vont à la pauvre reine frappée doublement dans son coeur d' épouse et de mère.
Telle la montre notre gravure, telle elle fut après l' attentat. Agenouillée auprès de son mari et de son fils morts, elle sanglote silencieusement, comme figée dans un rêve atrocement douloureux.
La nation portugaise toute entière pleure avec elle, car si, à la suite de mesures politiques dont les assassins ont tiré parti pour organiser et perpétrer leur crime, la popularité du roi avait subi naguère quelques atteintes, celle de la reine demeurait entière.
De famille française, la reine Amélie a conquis, depuis longtemps, toutes les sympathies en Portugal. Lorsqu' elle passait dans les rues de Lisbonne, lorsqu' elle s' en allait à pied, vêtue simplement et accompagnée de quelques dames d' honneur, porter dans les quartiers pauvres des soins, des secours et des consolations, c' était un concert de louanges qui s' élevait autour d' elle. Elle est la grâce, elle est la douceur, elle est la bonté. Artiste de talent, elle est, de plus, savante, très savante même, dans l' art de guérir.
La reine Amélie s' est passionnée pour la médecine, et elle a déclaré une guerre sans merci au plus terrible fléau de ce temps, à la tuberculose. Elle a créé des dispensaires, des sanatoriums, et, grâce à ses bienfaisantes initiatives, le Portugal est un des pays d' Europe où la tuberculose fait le moins de ravages.
On conçoit qu' une telle souveraine doive être adorée de son peuple, et que, du même coup, les sympathies pour la France, déjà si profondes en Portugal, ne fassent que s' affirmer plus encore, grâce à son influence.
« C' est, disent les Portugais en parlant de leur reine, le plus beau cadeau que la France pouvait nous faire. »
Il y a quelques années, quand, l' escadre du Nord alla à Lisbonne, un matelot adressa des vers à la reine. Il lui disait :
Le Portugais vous aime; il bénit cette terre,
Cette France vers qui vole toute sa foi,
Qui sut lui donner une mère
Dans la compagne de son roi...
Et c' était là vraiment le sentiment du pays tout entier qui vénérait la noble fille de France comme une reine et qui l' aimait comme une mère.
Puisse-t-il, par de nouveaux témoignages l' amitié et d' affection, adoucir dans l' avenir l' amertume et la cruauté de ses souvenirs !

Le Petit Journal illustré du 16 Février 1908