UN CRIME QUI RAPPELLE L' ASSASSINAT DE FUALDÈS


Trois malfaiteurs russes assomment un homme à coups de marteau
et chantent à tue-tête pour étouffer les cris de leur victime.

Tout le monde connaît les tragiques détails de cette affaire Fualdès qui passionna jadis la France entière. Tandis que Bastide et ses acolytes égorgeaient Fualdès dans la maison de la Bancal, des joueurs d' orgue jouaient dans la rue, afin qu' on ne pût entendre les appels du malheureux.
Trois malfaiteurs russes ont usé du même moyen pour commettre un crime.
Ayant réussi à attirer dans un cabaret un riche commerçant de Tzaritzine, M. Kolesow, ces misérables s' étaient installés avec lui dans un cabinet particulier pour faire une partie de cartes. Tout à coup, le sinistre trio se mit à entonner à tue-tête la romance populaire Poï Lastolschka poï ! (Chante, petite hirondelle, chante ! ) En même temps, les malfaiteurs se ruaient sur l' infortuné Kolesow qu' ils frappaient à coups de marteau. Les cris de la victime étaient couverts par leurs éclats de voix, et, de la salle commune, on disait, à l' audition de ce charivari effréné ;
- En voilà quatre qui ont l' air de diablement s' amuser !...
Le chant cessa quand Kolesow eut rendu le dernier soupir, et les assassins purent alors s' emparer des 6,000 roubles que leur victime possédait.

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VARIÉTÉ
Paris, enfer des chevaux

Les embarras de la circulation. - Suicide d' un cheval, - L' opinion d' un Marocain sur Paris. - Indifférence des pouvoirs publics. - Faisons respecter la loi Grammont. - La tyrannie du fouet. - Une page de Chateaubriand. - Pitié pour les martyrs de la rue !

L' intensité de la circulation dans Paris augmente sans cesse. Une statistique de la préfecture de police démontrait, ces jours derniers, que, de trois heures à sept heures du soir, 6,530 véhicules passent aux Champs-Elysées, 9,889 au carrefour de la rue Royale et de la rue Saint-Honoré, 8,201 au carrefour Drouot... Si l' on ajoute à cela que la capitale n' est plus qu' un immense chantier, que, de toutes parts, se dressent des palissades, s' élèvent des échafaudages qui encombrent la voie publique, que nos rues et nos boulevards ne sont plus que plaies et bosses, on comprendra quels dangers courent les malheureux piétons forcés de s' y aventurer.
Mais les piétons, du moins, ont le trottoir pour se garer... Les véritables victimes d' un pareil état de choses, ce sont les chevaux.
Si habiles que soient les cochers parisiens, leur habileté ne suffit pas à guider les malheureuses bêtes à travers tous ces obstacles. Jamais on n' a vu tant d' accidents, tant de chevaux abattus.
La difficulté de conduire au milieu de ces voies continuellement encombrées augmente le martyre des pauvres bêtes. Leur travail est un supplice, leur vie une perpétuelle torture. Et leur aspect lamentable dit assez combien leur condition est misérable et douloureuse.
Quelle que soit la saison, le martyre des chevaux de Paris est le même. En hiver, la gelée, le verglas rendent leur course dangereuse sur l' asphalte. Mais sont-ils plus heureux par les chaleurs de l' été, si dures à supporter dans la grande ville envahie par les poussières malsaines ? Épuisés de fatigue, couverts de sueur, ils vont, la mousse aux lèvres, l' oeil éteint, pitoyables images de l' esclavage et de la résignation.
Parfois, pourtant, quand les mouches les ont trop harcelés, quand le fouet les a trop cinglés, quand le mors leur a mis la bouche en sang, ils s' affolent, ils s' emballent et se précipitent, tête baissée, vers la délivrance, vers la mort !
Ne souriez pas... L' animal est capable de manifester la volonté de mourir. Il y a quelques années, sur le pont des Saints-Pères, un cheval battu par son maître était tombé. Lorsqu' on l' eût, débarrassé de ses rênes et de ses licous, avant qu' il fût possible de le retenir, il se dressa d' un bond, sauta par-dessus le parapet et se jeta dans le fleuve. Tous ceux qui, assistèrent à la scène déclarèrent que l' acte de l' animal semblait réfléchi.
S' il est encore des gens pour croire à l' automatisme des bêtes, quel argument à leur servir que ce simple suicide d' un cheval ! Oui, Paris, aujourd' hui, est plus que jamais l' enfer des chevaux. Depuis l' adoption du taximètre, ces malheureux animaux ne connaissent plus guère de repos. Il faut trotter sans cesse, aller vite, toujours plus vite. Le « taxi » est parfait pour les clients, pour les cochers, pour les Compagnies, Le cheval seul en souffre... Mais celui-là ne se plaint pas... Il va, fourbu, jusqu' à ce qu' il en crève.

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Il y a deux ou trois mois, Paris eut la visite d' El-Mokri, ambassadeur du sultan Abd-et-Aziz. On promena le dignitaire marocain à travers toutes les merveilles de la capitale, et on lui demanda ensuite ce qui l' avait frappé le plus vivement de tout ce qu' il avait vu.
Eh bien, ce qui l' avait le plus frappé, ce n' étaient point nos monuments, nos théâtres, nos music-halls, ce n' était point le Métropolitain, ce n' était pas même la tour Eiffel... non,, c' était l' épouvantable maigreur et l' aspect douloureux de nos chevaux de fiacre.
Ce Marocain, qui nous arrivait tout droit d' un pays où le cheval est considéré comme un animal noble entre tous et bien plutôt comme un ami que comme un serviteur, n' en revenait pas de voir à quel degré de misère sont réduits les chevaux parisiens.
L' habitude crée l' indifférence ; on finit par ne plus voir ce qu' on voit tous les jours. Cet état lamentable des pauvres bêtes qui traînent nos voitures publiques ne nous frappe plus ; nous en, sommes témoins depuis si longtemps !... Et l' accoutumance nous est venue de ne plus rencontrer par nos rues que des chevaux maigres, boiteux, fourbus, qui ne trottent que sous le fouet. Mais demandez aux étrangers ce qu' ils pensent de Paris, après quelques jours de séjour parmi nous. Quatre-vingt-quinze pour cent vous diront qu' une chose leur a gâté les joies de la capitale: c' est le martyre des chevaux.
Que de lettres, que de protestations indignées n' avons-nous pas reçues et ne recevons-nous pas tous les jours encore, à ce sujet, d' Angleterre, d' Allemagne, de Belgique, de Hollande, du Danemark et de tous les pays où l' on a le respect de la vie et l' horreur de la souffrance aussi bien pour les bêtes que pour les gens !...
Les sociétés étrangères pour la protection des animaux se sont même émues de cet état de choses et ont adressé au préfet de police des pétitions en faveur des pauvres chevaux parisiens.
L' état de ces malheureux animaux n' en a pas été amélioré jusqu' ici. Déjà surmenés avant le taximètre, ils ont été achevés par son adoption... Si mal nourris que leur cochers, s' ils veulent d' eux un bon service, sont obligés de leur donner par jour deux boisseaux d' avoine qu' ils paient de leur poche ; si mal soignés que, souvent, leurs harnais cachent des plaies sanglantes ; si mal protégés que jamais les agents n' interviennent pour faire cesser leur martyre, ces bêtes infortunées apparaissent comme une honte, comme une tare au milieu de notre luxe parisien.

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Le spectacle de cette honte laisse les pouvoirs publics indifférents. Et cette indifférente, si elle ne s' excuse pas, s' explique par le fait que l' opinion publique elle-même ne paraît pas s' en émouvoir.
il semble aujourd'hui, en vérité, que la pitié ne soit plus une vertu, mais un vice qu' on doive dissimuler... Et nombre de gens qui ne sont pas plus mauvais que d' autres rougiraient cependant de se montrer bons publiquement. Quoi de plus lâche que cette fausse honte ?...
Vous passez dans la rue : un cocher dont le cheval s' est abattu s' acharne à coups de pied et à coups de fouet sur la malheureuse bête. La foule stupide et couarde s' est amassée. Mais personne ne prend la défense de l' animal... Si, cependant, parfois, une femme ose le faire... Elle tient tête à la brute. Des ricanements, des quolibets l' assaillent de toutes parts... Voilà les sentiments de la foule !.. Et vous, vous qui avez des bêtes et qui les aimez, vous ne vous révoltez pas contre toutes ces lâchetés. Vous souffrez à part vous, mais vous restez muet ; vous fuyez plutôt que d' assister plus longtemps à cette scène répugnante.
Eh bien ! vous méconnaissez votre devoir.
Qu' ils nous touchent ou non, nous devons défense et protection à tous les faibles. L' homme qui n' aime que ses propres enfants et laisse martyriser ceux des autres, cet homme-là est un égoïste, indigne de pitié pour lui-même.
Il en est de la pitié pour les bêtes comme de l' amour de l' enfance. C' est un sentiment qui doit exclure l' égoïsme. Être bon pour les animaux qu' on possède, c' est bien ; mais être bon pour tous les animaux, c' est mieux.
C' est notre indifférence qui fait la force des tortionnaires. Si, l' opinion publique se manifestait plus souvent et plus écrier énergiquement, croyez bien que les cochers qui battent leurs bêtes et que les Compagnies qui laissent crever de faim leurs malheureux chevaux ne pourraient le faire avec autant d' audace et d' impunité.

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Oui, c' est à l' opinion publique de protester sans cesse pour, secouer la torpeur de l' autorité. C' est à nous, à vous, à tous ,ceux qui ont quelque compassion pour les pauvres bêtes martyrisées, de signaler aux sociétés protectrices et à la préfecture de police tous les faits de brutalité qui se passent sous nos yeux ; c' est à nous de requérir en toutes circonstances l' application de la loi Grammont, qui est une loi, quoiqu' en puissent penser ceux qui paraissent l' ignorer et sont pourtant chargés de la faire respecter.
Le jour où l' intervention publique se manifesterait pressante, incessante, impérieuse, l' autorité, soyez-en sûrs, se déciderait à sortir de son inertie.
D' abord, et avant tout, il faut qu' on nous affranchisse de la tyrannie du fouet qui domine Paris, la nuit et le jour. Dans les villes des pays du Nord, on n' entend pas le fouet par les rues. En Danemark, l' usage du fouet est interdit : les chevaux n' en font pas moins leur service. Pourquoi faut-il que le fouet soit le maître de nos rues ?...
Le fouet est un abominable instrument de torture. Voulez-vous connaître ses effets ? Lisez les résultats des expériences, dites de dolorimétrie, faites par la Société protectrice des Animaux, et destinées à évaluer scientifiquement la quantité de douleur produite chez le cheval par les coups de fouet..
Voici comment on s'y prenait :
On assénait un coup de fouet sur une masse de terre glaise, et la lanière y dessinait une empreinte dont la profondeur était proportionnelle à l' intensité du coup. On prenait alors une autre lanière pareille à la première que l' on posait sur la terre glaise, et on la surchargeait de poids successifs jusqu' à ce qu' elle eût pénétré à une profondeur égale à celle de l' empreinte laissée par le coup à mesurer. La totalité des poids placés sur la lanière donnait donc la valeur dynamique exacte du choc produit par le coup de fouet.
Voici quelques-uns des chiffres établis ainsi mathématiquemest :
Avec un fouet dit « manille » à lanière ronde, la pression totale obtenue a été de 35 kil. 200. Avec le fouet dit « perpignan », une lanière-carrée donne 54 kil. 470, une lanière ronde donne 26 kil. 587 et une lanière rectangulaire donne 73 kil. 300.
Quant au coup de fouet de charretier, du modèle courant, à lanière conique, son effet, s' évalue à ce chiffre formidable : 142 kil 430.
N' est-il pas horrible de penser que de malheureuses bêtes supportent de pareils coups et ne peut-on, après de telles expériences, souhaiter de voir chez nous l' usagé du fouet proscrit, comme il l' est en ces pays du Nord où les chevaux, cependant, n' en obéissent que mieux à leurs conducteurs ?

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- Voyez-vous, me disait un jour un vétérinaire ami des bêtes, le malheur des chevaux, c' est qu' ils n' ont pas la faculté d' exprimer leur douleur. Si les chevaux estropiés et meurtris à coups de fouet, qui trottent, épuisés, par nos rues, pouvaient crier comme les chiens, ce serait un concert déchirant à ne pas s' entendre... Et, bien vite, le public interviendrait pour faire cesser leur martyre. Mais les chevaux souffrent en silence, ou leur plainte n' est qu' un gémissement d' angoisse résignée...
Cette souffrance muette est pourtant plus tragique que celle qui s' exprime par des cris. Nous devrions ne pas marchander notre pitié à ces pauvres êtres qui fournissent sous les coups une besogne écrasante, et ne peuvent ni se défendre ni se plaindre.
Nous devrions surtout tenir à honneur de ne point compter parmi les peuples qui se montrent les plus réfractaires à la pitié envers les animaux. Malheureusement, c' est là un souci qui ne semble jamais nous avoir tourmentés. Chateaubriand, voici près d' un siècle, en faisait déjà la remarque:
« Partout, disait-il dans les Mémoires d' Outre-Tombe, partout où l' on agit doucement envers les animaux, ils sont gais et se plaisent avec l' homme... En Allemagne et en Angleterre, on ne frappe pas les chevaux, on ne les maltraite pas de paroles : ils se rangent d' eux-mêmes au-timon ; ils partent et s' arrêtent à la moindre émission de la voix, au plus petit mouvement de la bride. De tous les peuples, les Français sont les plus inhumains. Voyez nos postillons atteler leur chevaux: ils les poussent au brancard à coups de botte dans le flanc, à coups de manche de fouet sur la tête, leur cassant la bouche avec le mors pour les faire reculer, accompagnant le tout de jurements, de cris et d' insultes au pauvre animal. On contraint les bêtes de somme à tirer ou à porter des fardeaux qui surpassent leurs forces, et, pour les obliger d' avancer, on leur coupe le cuir à virevoltes de lanières ; la férocité des Gaulois nous est restée : elle est seulement cachée sous la soie de nos bas et de nos cravates... »
Sans doute, depuis le temps où l' auteur d' Atala faisait cette constatation pénible pour son amour-propre de Français les choses se sont un peu améliorées chez nous. Plus d' humanité s' est glissée dans les moeurs, plus de pitié est entrée dans nos rapports avec les animaux qui nous servent, qui nous gardent, qui nous aiment. L' éducation a accompli ce progrès moral ; le charretier cruel, le cocher brutal sont plus rares ; et quelque temps avant l' emploi du taximètre, le sympathique président de la Société protectrice des Animaux se félicitait de voir décroître progressivement le nombre d' affaires relatives aux mauvais traitements envers les bêtes de trait à Paris.
Depuis lors, malheureusement, la proportion des plaintes n' a plus décru. Cela tient au nouveau système ; et surtout, il faut bien le dire, aux exigences des clients qui, accoutumés aux moyens de transport très rapides, ne font pas assez de différence entre la machine et le moteur animal qui souffre et qui peine, et veulent aller plus vite qu' il n' est de raison.
Soyons donc moins exigeants... Prenons en pitié les pauvres bêtes époumonnées ; n' imposons pas aux cochers des courses folles, mais forçons-les, au contraire, à nous conduire à une allure raisonnable. Recommandons-leur de laisser en paix le fouet meurtrier... Et ingénions-nous, en un mot, à donner aux malheureux chevaux quelque répit, en attendant que le triomphe définitif de l' automobile marque pour ces martyrs de la rue l' heure de la retraite et du repos bien gagné.
Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 10Mai 1908