L'ACTION FÉMINISTE

Les « suffragettes »
envahissent une section de vote et s'emparent de l'urne électorale
Pour la première fois, le mouvement
féministe vient de se manifester violemment en temps d'élections.
Une candidate, Mlle Laloé, s'était présentée
à Paris, dans le quartier Saint-Georges, aux suffrages des électeurs.
Elle avait tenu une réunion publique un peu houleuse, mais tout
s'était passé pour le mieux. Et voilà que, le jour
du vote, un groupe composé des plus intrépides meneuses,
de l'action féministe s'avisa de vouloir jeter le trouble et
le désarroi dans les sections de vote.
Réunies au square Delaborde, ces dames étaient une centaine
environ. Elles se mirent en route, après s'être donné
pour mission d'aller culbuter les urnes.
Dans la première section où elles se présentèrent,
elles réussirent à pénétrer et firent mine
de prendre l'urne d'assaut.
Le président, heureusement, prévint leur geste. On les
expulsa. Suivies d'agents cyclistes, elles s'en furent en criant par
les rues : « Nous voulons voter ! »
A la section de la rue de Bruxelles, où se tenait Mlle Laloé,
la candidate elle-même les pria de se retirer et les invita à
la modération. Mais ce bon conseil ne fut pas suivi. Les suffragettes
continuèrent leur tournée. Cependant, leur nombre allait
diminuant : le groupe s'essaimait peu à peu. Les esprits, néanmoins,
n'en étaient pas calmés. Une de ces dames avait suggéré
l'idée, qui fut repoussée d'ailleurs par les moins véhémentes,
de verser dans les urnes un liquide corrosif pour brûler ,les
bulletins.
Bref, à leur dernière étape, dans une section du
quatrième arrondissement, ces dames n'étaient plus guère
qu'une demi-douzaine.
Elles se lancèrent pourtant à l'assaut de l'urne ; l'une
d'elles s'en empara et la précipita sur le sol.
Cette injure au suffrage universel avait médusé les assistants.
Quand ils reprirent leurs esprits, ils crièrent à la garde.
On s'empara des deux suffragettes les plus intrépides et on les
mena au commissariat, où on les garda jusqu'à la fermeture
du scrutin.
L'une de ces dames se déclara enchantée de son équipée
: « J'ai tenu, s'écria-t-elle, cette urne de mensonge qui
est un outrage à l'égalité des sexes, et je l'ai
jetée par terre, et je l' ai foulée aux pieds ... »
Voilà vraiment de quoi se glorifier ... Et c'est une étrange
façon de s'y prendre pour faire accepter par les gens de bon
sens les revendications du féminisme politique...
****
VARIÉTÉ
Les femmes et la politique
L'opinion de Dumas fils. -
Le vote des femmes en Amérique. - Un conseil municipal féminin.
- En Nouvelle-Zélande. - Les députées finlandaises.
- L'Angleterre et les suffragettes. - Un catéchisme féministe.
- Comment les femmes françaises obtiendront le droit de vote.
En 1880, Alexandre Dumas fils publiait
un petit livre sous ce titre étrange : Les femmes qui tuent
et les femmes qui votent. Et, dans ce livre, il réclamait
l'accession de l'élément féminin aux droits politiques.
« Les femmes, disait-il, ont comme nous des besoins, des aspirations,
des intérêts, des progrès à accomplir, et,
par conséquent, des droits à faire valoir, qui veulent.
qui doivent être représentés directement dans la
discussion des choses publiques, par des délégués
nommés par elles... »
Et il concluait :
« Établissez cette loi nouvelle du vote des femmes... La
France doit au monde civilisé l'exemple de cette grande initiative.
Qu'elle se hâte !.. L'Amérique est là qui va le
donner... »
Quel argument que l'opinion contenue dans ces lignes pour les femmes
qui mènent .aujourd'hui la campagne en faveur de l'égalité
politique des deux sexes !... Quel argument, si Dumas fils n'avait pas
fait, dans le même livre, certaines réserves que nos féministes
militantes doivent, j'imagine, goûter médiocrement.
En effet, l'écrivain ne parlait là que de l'électorat
des femmes, et encore le voulait-il entouré de toutes les précautions
possibles : il voulait les élections à deux ou trois degrés.
Mais le moment ne lui paraissait pas venu d'aller jusqu'à accorder
aux femmes l'éligibilité.
« Avant dix ans, disait-il, les femmes seront électeurs
comme les hommes. Quant à être éligibles, nous verrons
après, si elles sont bien sages... »
Avant dix ans... Le dramaturge se trompait. Voici bientôt trente
ans qu'il écrivait ceci. Et si les femmes ont fait force conquêtes,
elles n'ont pas encore obtenu le bulletin de vote.
En Amérique même, la réforme ne s'est pas accomplie.
Quatre territoires seulement accordèrent aux femmes les droits
politique : ce sont le Wyoming, l'Utah, le Colorado et l'Idaho. Le gouvernement
des États-Unis est demeuré jusqu'ici réfractaire
au mouvement féministe.
L'expérience faite par ces quatre États ne semble pas
avoir donné d'heureux résultats, s'il faut en croire M.
Grover Cleveland, l'ancien président de la République
américaine.
Dans l'Utah, en 1905, les femmes firent élire un Mormon...
« Par quelle aberration, s'écriait M. Cleveland, les femmes
oublient-elles que la monogamie a relevé leur sexe, et comment
votent-elles pour un candidat polygame ?... »
Dans l'État de Colorado, les femmes pratiquèrent les fraudes
électorales avec une audace extraordinaire...
Cependant, en d'autres Etats où les femmes étaient appelées
à prendre part aux affaires municipales, leur influence fut parfois
heureuse. Je me rappelle l'exemple qui me fut cité, il y a quelques
années, d'une ville du Kansas administrée par des femmes.
Cette ville s'appelle Oskaloosa. C'est le chef-lieu du comté
de Jefferson. Elle avait. alors deux mille habitants, plusieurs écoles
publiques, trois banques, deux lignes de chemins de fer, des églises
à en revendre - et pour tous les goûts ; - enfin c'était
une communauté bien constituée, très active, très
industrieuse et surtout très économe.
Mais ses administrateurs municipaux, fainéants de la plus belle
eau, la grugeaient à qui mieux mieux, la surchargeaient de taxes,
mais laissaient ses rues dans un état abominable et ne faisaient
absolument rien de ce qui concernait leur mission.
Si bien que, sans en rien dire à l'avance, si ce n'est deux ou
trois jours avant les élections municipales, les habitants de
la ville se dirent : « Ah ! les hommes ne veulent rien faire ;
eh bien ! nous prendrons des femmes ! »
Et toute la liste féminine, maire, adjoints et conseillers municipaux,
passa, au jour voulu, comme une lettre à la poste, au grand émoi
des administrateurs du sexe fort qui ne s'attendaient guère à
un pareil coup de balai.
Bien entendu, on n'avait choisi que des femmes mariées, mères
de famille et d'une respectabilité qui s'imposait à tous.
La mairesse était une femme d'affaires qui avait été
directrice d'une des principales écoles d'Oskaloosa pendant vingt
ans.
Elle administra fort bien les intérêts de la ville et y
ramena promptement la prospérité que la négligence
des hommes avait compromise.
Je serais curieux de savoir si ce sont toujours des femmes qui détiennent
le pouvoir municipal en cette lointaine cité.
Qui le. croirait ?... C'est l'Australie qui, la première, donna
« l'exemple de cette grande initiative » que Dumas fils
réclamait de la France en 1880. Depuis 1893, les femmes de la
Nouvelle-Zélande possèdent le suffrage politique. Il paraît
que les affaires de ce pays ne s'en trouvent pas plus mal.
Quant aux nations européennes, elles n'avancent dans la voie
de l'égalité politique des deux sexes qu'avec la plus
grande circonspection. La Finlande seule a, jusqu'ici, accordé
aux femmes l'électorat et l'éligibilité. La réforme
date de l'an dernier, et il y a aujourd'hui au Parlement d'Helsingfors
dix-neuf députés du beau sexe sur deux cents membres.
La proportion est encore assez faible ; mais le féminisme finlandais
escompte pour l'avenir des victoires plus complètes. Les femmes,
en ce pays, remplissent leur devoir de citoyennes beaucoup plus exactement
que les hommes. Elles ont donc bon espoir d'avoir en mains la direction
des affaires le jour où, bien disciplinées, elles voteront
en masse - j'allais dire comme un seul homme - pour les candidats de
leur sexe.
Pour le moment, le pays où le mouvement politique féministe
est le plus ardent, c'est l'Angleterre. Depuis tantôt deux ans,
les « suffragettes » - c'est par ce vocable élégant
qu'on désigne, de l'autre côté du détroit,
les dames qui mènent la campagne - les suffragettes, dis-je,
ne cessent d'occuper l'opinion.
Elles sont, d'ailleurs, soutenues par un grand nombre d'hommes politiques
influents, voire par des membres du ministère.
Au surplus, leurs revendications actuelles sont modestes et limitées.
Elles veulent que les femmes possédant les conditions requises
pour les électeurs masculins puissent, elles aussi, participer
au scrutin.
Chez nos voisins, ce n'est pas l'individu qui a le droit de vote, c'est
le bien que possède cet individu, c'est le métier, c'est
la profession qu'il exerce, c'est la propriété qu'il loue.
Les femmes demandent que, lorsqu'une d'elles se trouve exercer ce métier
ou posséder ce bien, elle puisse voter comme les hommes. Cela
est fort raisonnable, en somme.
Il est vrai que la ligue du Women's Suffrage ne cache pas que
le jour où elle aurait obtenu ce premier résultat, ses
appétits grandiraient et qu'elle réclamerait le suffrage
pour toutes les femmes...
Il est vrai, encore, que les suffragettes s'y prennent d'assez étrange
façon pour faire triompher leurs idées. Le scandale est
leur principal moyen d'action. Un de leurs partisans, le célèbre
romancier George Meredith, leur a dit : « John Bull a besoin d'être
poussé à coups de pied avant qu'il s'ébranle. »
Et elles poussent John Bull à coups de pieds sans relâche.
Elles organissent par les rues des manifestations tumultueuses, elles
envahissent la Chambre des Communes, interrompent les séances...
On les arrête, on les condamne, on leur donne le choix entre l'amende
ou la prison... Elles choisissent la prison. Les suffragettes sont apôtres
et martyres.
Quoi qu'il en soit, le mouvement en faveur du vote des femmes commence
à se dessiner en maints autres pays d'Europe. En Hollande, le
gouvernement a présenté, l'an dernier un projet de modification
de la Constitution visant la suppression de la limitation du droit électoral,
pour donner au législateur une entière liberté
et rendre possible le suffrage universel, le suffrage et l'élection
des femmes.
L'an dernier également, la Chambre italienne a pris en considération
une proposition de l'ex-ministre Luzzatti pour le vote des femmes en
matière administrative.
En Russie, la Douma a réclamé l'introduction d'une réforme
semblable dans la Constitution.
Partout, la campagne est menée avec ardeur. Récemment
encore, les féministes suisses distribuaient, à Zurich,
un petit catéchisme exposant fort habilement leurs revendications
« - Qui devrait faire la loi dans un État démocratique
comme le nôtre ? dit ce catéchisme.
» Réponse : Le peuple.
» - Le peuple fait-il les lois ?
» R. : Non ; une moitié du peuple n'y a aucune part.
» - Qui fait donc les lois ?
» R. : Les hommes.
» - Les femmes ne peuvent-elles pas aider à faire les lois
auxquelles elles doivent obéir ?
» R.: Non. Les hommes seuls font les lois pour les hommes et pour
les femmes.
» - Qui paie les impôts ?
» R. : Les hommes et les femmes.
» - Qui établit l'impôt, qui le prélève
et qui dépense l'argent ?
» R. : Les hommes.
» - Les mères, qui donnent des fils à l'État,
peuvent-elles voter ?
» R. : Non ; mais les fils qu'elles ont élevés peuvent
voter à vingt ans. »
***
En France, enfin, la campagne est menée
depuis longtemps. Timide d'abord, elle a pris, aux élections
de ces jours derniers, des allures nouvelles.
Il y a plus de cinquante ans que, à Paris, une femme réclama
pour la première fois les droits politiques pour son sexe. M.
Marcel Prévost rappelait récemment le nom de cette précurseuse.
Elle s'appelait Mlle Barberousse.- Je vous laisse à penser si
son initiative fut joyeusement accueillie.
Les femmes elles-mêmes, les femmes surtout, l'accablèrent
de plaisanteries.
Mais l'agitation féministe n'en devait pas moins renaître
quelques années plus tard. Les femmes ont peu à peu conquis
toutes les améliorations possibles à leur condition sociale.
Les professions libérales, les écoles leur sont ouvertes
comme aux hommes. A présent, elles réclament le bulletin
de vote et le droit d'éligibilité comme consécration
suprême du principe d'égalité des sexes.
Beaucoup de bons esprits, parmi les hommes et particulièrement
dans le monde de la politique, jugent certaines de leurs revendications
fort logiques et fort naturelles. En principe, rien ne devrait s'opposer
à ce que la femme, qui paie les impôts, qui est inscrite
au rôle des patentes, qui travaille, qui dirige parfois d'importantes
maisons de commerce, pût donner son avis sur le choix d'un conseiller
municipal. Son vote se justifierait infiniment plus que celui de beaucoup
d'hommes qui n'ont pas d'intérêts à défendre
et n'agissent que sous de misérables inspirations de parti.
Quant à l'éligibilité des femmes, Dumas fils disait
: « Nous verrons plus tard, si elles sont bien sages... »
Eh bien, sont-elles bien sages ?... Pas toujours. Le féminisme,
il faut le reconnaître, prend souvent des allures violentes qui
sont de nature à lui aliéner les sympathies masculines,
même les plus fermes.
Une féministe raisonnable disait, voici quelques années
: « Ce qui manque le plus au féminisme, ce sont les femmes.
» C'est là une réflexion dont nos suffragettes devraient
faire leur profit. Elles devraient se persuader que, pour faire triompher
leurs revendications, point n'est besoin qu'elles cessent d'être
femmes.
Je ne sais s'il est vrai que l'opinion anglaise doit être tarabustée
pour arriver à se rendre à l'évidence et au bon
sens ; j'ignore si les violences des suffragettes londoniennes servent
vraiment la cause du vote des femmes ; mais je sais bien que l'opinion,
en France, n'a pas de sympathie pour ces excentricités. Les procédés
agressifs, les manifestations tumultueuses ne peuvent que retarder le
triomphe définitif du féminisme intelligent. Une idée
de justice ne s'impose pas par la violence. La raison suffit.
Ernest LAUT.