EXÉCUTIONS SOMMAIRES
EN PERSE

Le supplice de trois condamnés
Nos lecteurs verront, dans notre «
Variété », combien fut, de tout temps, féconde
l' imagination des Persans en matière de tortures et de supplices.
Les événements récents ont montré que la
civilisation n' a guère affaibli chez eux ce goût de la
cruauté.
Les répressions ordonnées par le chah ont été
terribles. Des chefs religieux qui s' étaient mis à la
tête du mouvement nationaliste, ont été mis à
mort, après avoir subi d' indescriptibles tortures.
Notre gravure reproduit un des supplices le plus communément
employé: la pendaison par les talons. Les condamnés soumis
à ce supplice meurent dans les plus atroces douleurs.
VARIÉTÉ
Supplices persans
Les troubles en Perse. - Une
histoire confuse et tragique. -Yezdguerd l' injuste.
- Les yeux arrachés. - Nasr-ed-Din et la guillotine. - Comment
on punissait les voleurs au temps de Feth-Ali-Chah. - Assassins livrés
à la famille de leur victime. - Fouet et bastonnade.
- La pendaison par les talons..
- Doux pays.!
Les Orientaux sont gens experts on
matière de supplices. Et, bien que le peuple persan soit le plus
pacifique, le plus intelligent et. le plus doux des peuples de l' Orient,
il garde en ses moeurs cet intinct de cruauté atavique qui révolte
nos sentiments d' humanité.
Lisez l' histoire de la Perse - si vous en avez le courage, car c' est
bien l' histoire la plus confuse, la plus embrouillée qui se
je puisse imaginer - vous frémirez d' horreur à chaque
page, au récit des pratiques barbares, des assassinats, des supplices
qui accompagnèrent chacune des innombrables révolutions
de palais, des usurpations, des révoltes dont le trône
iranien était l' enjeu.
Que de souverains, dans les temps antiques de la Perse, méritèrent
ce surnom d' Alathim (l' Injuste) que l' histoire a donné
à cet Yezdguerd, fils de Bahram, qui, disent les annales, passa
sa vie à dépouiller ses sujets pour s' emparer de leurs
biens, à maltraiter les soldats et le peuple, et à punir
des châtiments les plus terribles les fautes les plus légères.
La violence et la cruauté de ce prince étaient telles
que ses sujets et ses troupes priaient Dieu, sans cesse, de les délivrer
du tyran qui les opprimait. Leurs voeux furent enfin exaucés.
Un jour, on amena, dans la cour de son palais, un cheval indompté.
Yezdguerd ordonna qu' on lui mît une selle et une bride et des
palefreniers essayèrent d' exécuter son ordre. Mais le
cheval ruait et refusait de se laisser toucher. Yezdguerd, furieux,
fit mettre à mort les palefreniers maladroits, et prétendit
réussir là où ils avaient échoué.
L' animal, en effet, se laissa docilement approcher par lui. Mais au
moment où le roi voulut fixer la selle sur son dos, il lui lança
une ruade qui le tua sur le coup.
Yedzguerd avait régné plus de vingt-deux ans. Jugez du
nombre de malheureux qu' il avait fait décapiter, empaler ou
aveugler !...
***
L' un des supplices les plus fréquemment employés chez
les Persans d' autrefois consistait à arracher les yeux aux victimes.
Aga-Mohammed, le fondateur de la dynastie des Cadjars qui règne
encore aujourd' hui sur la Perse, usa largement de cette pratique horrible
à l' égard de ses ennemis. En l' an 1203 de l' hégire
(1788 de notre ère), Agar-Mohammed s' était soulevé
contre Loutf-Ali-Khan, le dernier chah de la dynastie des Zends. Il
l' assiégea dans la ville de Kirman qu' il prit d' assaut après
quatre mois de siège. Loutf-Ali-Khan avait réussi à
s' enfuir, mais Aga-Mohammed fit arracher les yeux à tous les
hommes de la garnison.
Peu de temps après, Loutf-Ali-Khan lui fut livré. Il le
condamna au même supplice, après quoi il l' envoya à
Téhéran où on le mit à mort. Mais le cadjar
vainqueur ne s' en tint pas là. Il fit rechercher dans le pays
tous les chefs de la tribu des Zends et leur fit également arracher
les yeux...
Quoi qu' on puisse penser des procédés employés
récemment par le chah Mohammed-Ali contre ses ennemis politiques,
ils n' atteignent pas encore à la cruauté dont fit preuve
son ancêtre.
Avant que Mozaffer-ed-Din eût donné à son peuple
la Constitution que le chah actuel a tant de peine à respecter,
le roi de Perse était l' exemple parfait du monarque absolu.
En 1906, la Perse en est, à cet égard, au même point
que vingt-cinq siècles auparavant.
Mozaffer-ed-Din jouit. du même pouvoir qu' avait eu Cyrus. Les
ordres du chah sont, de tout temps, considérés comme des
lois et sa volonté n' a d' autres bornes que celles qu' il fixe
lui-même. Il ne doit compte de sa conduite à personne.
Il a droit de vie et de mort sur tous ses sujets et, plus encore, sur
tous les membres de sa famille. Il peut, à son gré, combler
ses parents de faveurs ou les emprisonner, les enfermer dans un harem,
leur faire arracher les yeux ou leur ôter la vie, si telle est
sa volonté.
Mozaffer-ed-Din, prince débonnaire, ne mésusa jamais de
cette puissance, mais Nasr-ed-Din, son père, ne se fit pas faute
de témoigner de son absolutisme. Même en pays étranger,
il aimait à se rappeler qu' il était un potentat tout-puissant.
On conte, à ce propos, une plaisante anecdote. Un jour que Nasr-ed-Din
se trouvait à Paris, on l' invita à assister à
une exécution capitale. En ce temps-là, on guillotinait
encore les assassins. Le chah vint à l' aube sur la place de
la Roquette, accompagné de son grand-vizir et de toute sa suite.
Le bourreau lui montra le fonctionnement de la sinistre machine et le
chah parut prendre grand intérêt à ses explications.
Puis on amena le condamné... La planche bascula, le couteau s'
abattit, la tête tomba... Tout cela se fit si vite que Nasr-ed-Din,
déçu, n' eut pas le temps de jouir du spectacle. Et alors
l' idée lui vint qu' on pourrait bien recommencer l' expérience.
- Maintenant, dit-il en désignant un personnage placé
près de lui, guillotinez-moi donc celui-ci...
Ce personnage n' était autre que le procureur de la République...
Et l' on eut beaucoup de peine à faire comprendre au monarque
que la guillotine était faite pour les assassins et non pour
les magistrats.
« Tout de même, se disait plus tard le procureur, si nous
avions été à Téhéran. au lieu d'
être à Paris, j' y passais bel et bien... »
***
La Perse, jusqu' à présent, n' a pas de Code criminel
; on suit, pour rendre la justice, les règles établies
par le Coran, et le Coran autorise nettement, en certains cas, les supplices
et les mutilations. Pour punir le vol, notamment, le livre sacré
édicte la mutilation. Mais cette peine semblait trop douce encore
à Feth-Ali-Chah, l' un des princes les plus illustres de la dynastie
des Cadjars. En pareil cas, il ordonnait toujours la mise à mort
des coupables. Et voici comment se faisait d' ordinaire l' exécution.
On rapprochait avec effort les sommets de deux jeunes arbres et on les
liait avec des cordes. On attachait ensuite le voleur, par chacune de
ses jambes, à la cime de chacun de ces deux arbres, puis on coupait
les cordes qui tenaient les deux arbres rapprochés, et la force
avec laquelle ils se séparaient déchirait le corps du
coupable en deux parties qu' on laissait pendre aux branches.
Au temps où régnait Feth-Ali-Chah, les routes étaient
infestées de bandits. Le roi fit exécuter; par ce moyen,
tous ceux qu' on prit les armes à la main, et le pays y gagna
une sécurité inconnue auparavant.
Quand une personne avait été assassinée, il était
naguère d' usage, en Perse, de remettre le meurtrier entre les
mains de l' héritier légal qui en usait à son égard
comme il le jugeait à propos il pouvait lui pardonner, recevoir
une somme d' argent comme prix du sang ou mettre le coupable à
mort.
Le voyageur anglais Malcolm rapporte qu' il vit ainsi remettre trois
meurtriers entre les mains des parents d' une personne qu' ils avaient
assassinée à Bouschir. Les coupables furent conduits au
cimetière et massacrés sur la tombe de leur victime. Mais,
avant de les tuer, les parents les firent frapper à coups de
couteau par les enfants de celui qui avait été assassiné,
« et ces enfants, dit Malcolm, trempèrent leurs petites
mains dans le sang des meurtriers de leurs père ».
Aga-Mohammed, ce premier chah de la famille des Cadjars, qui se plaisait
si volontiers à arracher les yeux de ses ennemis, périt
assassiné, par un juste retour des choses d' ici-bas. Mais ses
meurtriers furent pris et livrés à la famille royale.
Les princes se chargèrent de leur exécution. Tous, jusqu'
aux plus jeunes, pourvu qu' ils eussent assez de force pour tenir un
poignard, vinrent frapper les assassins du roi.
Nadir-Chah, un autre souverain de la dynastie des Afschars, qui régnait
sur la Perse vers le milieu du dix-huitième siècle, avait
péri également assassiné. Ses meurtriers, arrêtés,
furent livrés aux femmes du harem royal qui les firent mourir
dans de longues et affreuses tortures.
Mais il n' y a pas, en Perse, que des supplices qui entraînent
la mort. Pour les fautes légères, les punitions les plus
communes sont l' amende le fouet ou la bastonnade. Un autre écrivain,
Morier, rapporte qu' il vit donner la bastonnade sur la plante des pieds
à un domestique de la légation qui avait commis quelques
larcins. Le coupable fut étendu sur le dos, on fit passer ses
pieds dans un noeud qui les fixait à une longue perche, et quatre
hommes lui frappèrent la plante des pieds avec des baguettes
jusqu'à ce qu' il eût avoué le nom d' un complice
qui l' avait aidé dans son vol.
Les Persans avaient aussi, naguère, une sorte de carcan en triangle
formé de trois morceaux de bois cloués l' un à
l' autre. « Le cou, dit le voyageur Chardin, qui vit appliquer
cette peine à des condamnés, passe dedans sans se pouvoir
tourner. La pièce de derrière et celle du côté
gauche sont de dix-huit pouces de longueur ; celle du côté
droit est longue presque du double, et l' on y attache le poignet au
bout, dans un morceau de bois demi-rond et où il est comme pendu
au croc, et, parce qu' on a bientôt le bras las jusqu' à
la douleur, on permet au prisonnier, de se soutenir avec un bâton
qu' il tient de la main gauche... »
La torture était employée fréquemment autrefois
quand il s' agissait de faire découvrir des trésors cachés.
Quant à l' usage barbare d' arracher les yeux, on le réservait
surtout à ceux qui avaient ou qu' on supposait avoir aspiré
au trône. On faisait aussi subir ce supplice aux chefs de tribu
que l' on voulait priver du pouvoir et que l' on craignait de faire
mettre à mort. On l' infligeait aussi quelquefois à tous
les habitants mâles d' une ville révoltée.
Les condamnés à mort sont, pour l' ordinaire, étranglés,
décapités ou poignardés. Pourtant, lorsqu' il y
a dans le crime quelque circonstance aggravante, on prolonge les souffrances
du condamné : les uns sont empalés, d' autres sont attachés
à des branches courbées comme nous l' avons vu plus haut...
Malcolm rapporte encore que, en 1810, un esclave qui appartenait à
un habitant de Téhéran essaya d' empoisonner son maître
avec toute sa famille. Grâce à de prompts secours, tous
en revinrent, mais l' esclave, ayant été reconnu coupable,
fut condamné par le roi à être pendu par les talons
et coupé par morceaux comme un mouton. « Seulement, ajoute
Malcolin, on lui refusa la grâce que le boucher fait à
cet animal auquel il coupe la gorge avant de le dépecer par quartiers.
»
Les derniers événements ont montré que ce supplice
de la pendaison par les pieds n' a pas encore disparu des moeurs de
la Perse. Et nous sommes au vingtième siècle !...
Doux pays, !
Ernest LAUT.
Le Petit Journal illustré
du 12 Juillet 1908