POUR FAIRE RIRE LES PETITS MALADES


Une tournée de clowns philanthropes
dans les hôpitaux d'enfants, à Londres

Nos lecteurs se souviennent, sans doute, d'une nouvelle poignante et délicieuse de Jules Claretie, intitulée Boum-Boum, qu'a publiée le Supplément illustré du Petit Journal dans son numéro du 3 Novembre 1907.
C' est l'histoire d'un pauvre enfant malade et anémié qui refuse tout secours et ne demande qu'une chose : revoir Boum-Boum, le joyeux clown admiré jadis au cirque. Le père, affolé, va trouver l'acrobate ; celui-ci consent à venir dans l'humble logis, et, grâce à ses grimaces, grâce à sa bonne humeur, l'enfant reprend goût à la vie et guérit peu à peu.
Ce conte touchant avait été tiré par l'auteur d'un fait-divers s'étant réellement passé en France.
Il vient de se reproduire, ou à peu près, dans les hôpitaux de Londres, récemment.
En effet, un certain nombre de clowns philanthropes ont entrepris de faire une tournée chez les pauvres petits malades, incapables d'aller au cirque les voir. C'est ce que représente notre gravure. Dans l'hôpital, lieu de tristesse et de souffrance, les clowns, par leurs farces et leurs joyeusetés, apportent avec eux le rire, et, qui sait ? peut-être aussi la guérison.
Rien n'est plus touchant que ce spectacle, et on ne saurait être trop ému par la généreuse pensée des imitateurs de Boum-Boum.

VARIETE

Marionnettes

Le plus vieux théâtre en plein air. - Lamartine et le Guignol des Champs-Elysées. - Deux héros lyonnais. - Séraphin. - L'inventeur des ombres chinoises. - Un couplet du « Pont-Cassé ». - Le théâtre du Palais-Royal. - L'esprit le plus parfait peut aimer les marionnettes.

La vogue est aux théâtres de plein air. Allons, s'il vous plaît, voir le plus gai et le plus ancien de tous : Guignol aux Champs-Elysées.
Savez-vous que ce théâtre minuscule est un des doyens de nos théâtres parisiens ? Dans un an, il fêtera son centenaire, car il en est, cette année, à sa quatre-vingt-dix-neuvième saison.
Il fut, en effet, installé au carré Marigny en 1818, et, depuis cette époque, il a toujours été dirigé, de père en fils et en petit-fils, par la même famille d'impresarii.
Ses premiers spectateurs de marque furent les enfants du duc d'Orléans, le futur roi Louis-Philippe ; la princesse Clémentine y avait son petit fauteuil d'abonnée.
Plus tard y vinrent applaudir les farces de Guignol d'autres enfants, qui sont aujourd' hui , de graves savants et de vénérables académiciens.
j'ai ouï conter naguère que Lamartine avait un secrétaire qu'il prisait fort pour son intelligence et son activité mais qui le désespérait par son inexactitude.
Un après-midi que ledit secrétaire arrivait à sa besogne plus tard encore que de coutume, le poète l'apostropha vertement :
- Mais, où diable passez-vous votre temps ?...
Le jeune homme rougit, pâlit et se décida à avouer :
- Mon Dieu, mon cher maître, vous allez vous moquer de moi... Mais, que voulez-vous ?... Pour arriver ici, je traverse les Champs-Elysées... et quand Guignol joue, c'est plus fort que moi, je m'arrête, j'écoute, je me passionne et je ne peux plus m'en aller.
Et Lamartine, l'interrompant ingénument :
- Ah ! c'est curieux... Comment se fait-il alors que je ne vous y aie jamais rencontré ?...
Eh ! mon Dieu, oui, Lamartine aimait Guignol...
Les poètes qui ne vivent que par l'imagination ne gardent-ils pas, de ce fait, un peu de l'âme enfantine ?
Au reste, cette sympathie du chantre d'Elvire pour les marionnettes n'est point une exception. Que d'artistes illustres et d'écrivains fameux ont célébré Guignol ! Victor Hugo ne cachait pas son penchant pour les théâtres enfantins, et lui aussi s'arrêtait volontiers aux Champs-Elysées pour écouter la pièce et observer les spectateurs ; Sardou, si expert en ficelles théâtrales, ne dédaignait pas d'aller surprendre celles qui faisaient mouvoir les pantins d'Anatole ; Banville a fait sur Guignol un de ses plus délicieux sonnets, et George Sand ne s'amusait-elle pas, à Nohant, à faire jouer ses pièces par des marionnettes ? Quant à Charles Nodier, il ne craignait pas de déclarer que le drame entre Polichinelle et le commissaire évoquait en son esprit toute l'histoire de l'humanité.
Je crois que voilà des exemples qui me permettent d'avouer sans rougir mes sentiments à l'égard des marionnettes en général et de Guignol en particulier.

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Les moralistes ont souvent remarqué que, dans tous les pays qui possèdent une marionnette populaire, cette marionnette était l'émanation même du peuple et le caractérisait à merveille avec ses défauts et ses qualités.
Pulcinella est le prototype du Napolitain ; Punch, de l'Anglais ; Jean Klassen, du Hollandais; Casperle, de l'Autrichien, et Kara-Gueuz, du Musulman. De même Guignol est un bon Français de France, insouciant et spirituel, très serviable, un tontinet bambocheur et fort peu respectueux de l'autorité.
Je vous assure que les philosophes devraient étudier Guignol, car ils trouveraient en lui la synthèse de l'âme populaire.
Guignol, je ne vous l'apprendrai pas, n'est pas Parisien de naissance. Chacun sait qu'il est originaire de Lyon. Dans le théâtre si célèbre des Marionnettes lyonnaises, il porte toujours le costume des ouvriers en soie de la fin du dix-huitième siècle : la veste à courtes basques, le chapeau à cornes dit « lampion » et la cadenette que les Lyonnais appellent « salsifis ». Voilà pour le physique.
Pour le moral, Guignol est un brave garçon, dont la malice n'exclut pas l' honnêteté : par exemple, c'est un vrai Lyonnais, plein d'initiative, volontaire et ferme en ses desseins. Guignol ne connaît pas d'obstacles ; il va droit au but, rossant impitoyablement tous ceux qui lui barrent le passage. Aucune puissance humaine ne saurait l'empêcher d'épouser l'héroïne à la fin de la pièce.
A Lyon, il partage les sympathies du public avec un autre personnage, son confrère, son inséparable : Gnafron.
Gnafron, lui, est cordonnier. - Est-ce pour cela qu'il fait des cuirs en parlant ? - C'est une âme simple, une âme de viveur et de bon vivant qu'une seule passion anime : la passion du vin. Disons le mot, Gnafron est un pochard, mais un bon, un brave pochard, qui n'a jamais la bouche amère, même après ses plus formidables lampées. C'est que Gnafron ne boit que du vin, du vrai vin de France, et, j'imagine, plus particulièrement de ce petit vin de Cormatin, que Nadaud célébra dans des couplets fameux.
Gnafron ne manque pas d'une certaine verve naturelle, mais ses réparties n'ont pas la finesse narquoise de celles de Guignol. Par contre, elles sont plus comiques. Et le personnage y ajoute par sa silhouette même, son gros nez enluminé, sa bouche largement ouverte, ses joues rougeoyantes sur lesquelles descendent de larges pattes de lapin, et son monumental chapeau tromblon, souvent posé de travers sur sa chevelure en broussaille.

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Comme Guignol, Gnafron est sorti tout équipé du cerveau d'un brave « marionnettiste » lyonnais, qui s'appelait Laurent Mourguet, et qui tenait, au début du dix-neuvième siècle, une crèche dans la rue du Noir. Ces crèches étaient des théâtres de marionnettes où l'on jouait ordinairement des pièces inspirées par l'Ancien Testament, et, en particulier, une scène représentant l'étable de Bethléem la nuit de Noël.
A son répertoire mystique, Mourguet joignait des pièces burlesques, dans lesquelles l'inévitable Polichinelle tenait le rôle principal. Mais Polichinelle ne passionnait que médiocrement l'auditoire. Mourguet s'avisa de le remplacer par un héros plus sympathique à sa clientèle et qui, par sa physionomie, son caractère, son langage, rappellerait la vie et les moeurs locales. Il prit pour type un « canut » de ses amis qui avait certain esprit naturel et maintes façons originales de s'exprimer. « C'est guignolant ! » disait notamment ce brave homme chaque fois qu'un sujet quelconque lui dilatait la rate : « C'est guignolant. ! » lui fit répéter Mourguet à tout propos. Et les spectateurs, heureux de trouver dans nouveau personnage le reflet de l'esprit local, de cet esprit lyonnais qui allie si heureusement la verve du Midi au bon sens septentrional, les spectateurs, enchantés de la trouvaille, d'aller par les rues en répétant : « C'est guignolant ! »
Si bien que le mot fit fortune et que tout Lyon s'en fut à la crèche de la rue du Noir en répétant : « Allons voir le guignolant !... »
Depuis lors, le canut de Mourguet a vu s'étendre sa célébrité, alors que le nom de celui qui l'avait créé ne demeura guère connu qu'à Lyon.

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Comme bien vous pensez, notre Guignol parisien ne ressemble guère à son confrère lyonnais. Il ne lui a emprunté que son nom et aussi un peu de ce caractère indépendant, et facétieux qui le ferait prendre volontiers pour un petit-neveu du Scapin de Molière.
A Paris, nous ne retrouvons plus Gnafron et toute la troupe classique des marionnettes lyonnaises : Cadet, Cassandre, le Bailli et l'aimable Mlle Madelon... Mais nous avons toujours les types immortels du juge, du gendarme et du commissaire, et Polichinelle lui-même n'a point disparu du théâtre des Champs-Elysées.
Et si Lyon s'honore d'avoir inventé Guignol, Paris ce glorifie d'avoir eu, dès la fin du dix-huitième siècle, un théâtre de marionnettes dont la célébrité rayonna sur l'Europe entière.
Avez-vous ouï parler dé Séraphin ?...
Il y a quelques années, M. Maury, le célèbre philatéliste, me convia à aller voir sa collection, non point sa collection de timbre mais sa collection de marionnettes, car il avait le plus extraordinaire ensemble de figurines, de pupazzi, de fantoches et d'ombres chinoises qui se pût imaginer. Il en avait de tous les temps, depuis les pantins antiques jusqu'aux plus modernes bonshommes, et de tous les pays, même de Siam, de Chine et de Java.
Dans ses vitrines, j'ai vu là réunis tous les personnages de Séraphin. M. Maury, au prix d'infatigables recherches, était parvenu à retrouver ces pantins dispersés par la mauvaise fortune qui avait forcé, quelque cinquante ans auparavant, le fameux théâtre des marionnettes du Palais-Royal à fermer ses portes.
Séraphin Dominique-François, premier du nom, fut, au temps de Louis XVI, l'inventeur des ombres chinoises. Après avoir parcouru la province avec son petit théâtre sur le dos, il s'en vint, un beau jour, se fixer à Versailles. C'était sa bonne étoile qui l'amenait là. Le roi, ayant entendu parler de ses succès, le fit venir à la cour pour y donner des représentations. Ce genre d'amusement plut tellement au souverain que, après avoir demandé à Séraphin ce qui pourrait lui faire plaisir, il lui accorda
d'après ses voeux le privilège exclusif d'ombres chinoises, et, pour sa salle le titre de Théâtre des Enfants de France.
Ce fut alors que Séraphin s'établit au Palais-Royal. Il ouvrit son spectacle de 8 Septembre 1784. Ce théâtre, dès son origine, eut une vogue immense. Il ne se composait, à cette époque, que des ombres chinoises. Séraphin recevait lui-même le public ; il allait ensuite débiter les rôles de ses petites pièces et revenait dans la salle jouer du violon. Il était, à lui seul, administrateur, troupe et orchestre.
En 1788, il appela, pour l'aider, son neveu, Joseph-François Séraphin. Ce jeune homme seconda parfaitement son oncle. Ce fut lui qui eut l'idée de joindre des marionnettes aux ombres chinoises. Dominique- François étant mort en 1800, laissa son théâtre à son neveu. Celui-ci le géra pendant quarante ans et ne cessa de l'améliorer. Les contemporains disaient merveilles de l'exactitude et du bon goût des costumes, de la beauté et du pittoresque des décors, de la perfection des machines et des accessoires, autant que de l'originalité et de l'esprit des petites pièces qu'on y jouait.
Il est de ces oeuvrettes qui survécurent au théâtre de Séraphin et vinrent jusqu'à nous.
Je me rappelle avoir vu jouer, dans mon enfance, par des marionnettes, ce fameux Pont-Cassé, le chef-d'oeuvre de Séraphin, dont nous avons tous fredonné l'amusant couplet :
Les canards l'ont bien passé...
Tire lire lire...
Joseph-François Séraphin mourut en 1844. Ainsi le petit théâtre du Palais-Royal n'avait eu, dans une période de soixante années, que deux directeurs. Il avait traversé, heureux et prospère, l'époque la plus agitée de notre histoire et amusé trois générations. Séraphin avait donné des représentations devant tous les monarques qui régnèrent de Louis XVI à Louis-Philippe. Napoléon le fit venir un jour à Fontainebleau ; même, ce jour-là, le feu prit à un décor, et l'empereur l'étouffa de ses mains. Ce fut Gulliver éteignant, l'incendie de Lilliput. .
Au théâtre Séraphin, plus d'un personnage éminent et austère vint parfois chercher un peu de joie et s'amuses de l'originalité du spectacle et du plaisir naïf des spectateurs. Les marionnettes eurent ainsi, de tout temps, des admirateurs parmi les gens graves et illustres. Tel le bon Perrault qui, s'étant amusé un jour au jeu des pantins de la foire, s'en souvenait en écrivant le commentaire de Peau-d'Ane, et disait :
Pour moi, j'ose poser en fait
Qu'en de certains moments l'esprit le plus parfait
Peut aimer sans rougir jusqu'aux marionnettes,
Et qu'il est des temps et des lieux
Où le grave et le sérieux
Ne valent pas d'agréables sornettes.
Depuis Séraphin, que de progrès dans l'art des marionnettes !... Nous eûmes les célèbres pantins de Maurice Sand, de Lemercier de Neuville, les fantoches de Holden, les si parisiens Bonshommes des frères Guillaume, les marionnettes de Bouchor, les merveilleuses Maquettes animées du peintre Georges Bertrand.
J'aurais voulu vous dire un mot de tous ces personnages fameux et aussi des polichinelles exotiques, du facétieux Kara-Gueuz et de son cousin Ketchel-Pehlevan, dont les farces réjouissent Turcs et Persans.Mais Guignol et Séraphin ont pris tout mon papier. Ce sera donc pour une autre fois, si le sujet ne vous importune pas et si vous pensez, avec Perrault, qu'on peut, de temps en temps, délaisser les sujets graves pour parler d'agréable sornettes.
Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 13 Septembre 1908