SUICIDE EXTRAORDINAIRE


Résolu d'en finir avec la vie, un homme se livre aux lions d'une ménagerie

Un suicide tout à fait singulier a eu lieu ces jours derniers à Laval, dans une ménagerie installée à la foire de D'Angevine.
Un employé du cinématographe Giuili Glasner, le nommé Jean Grollier, âgé de dix-neuf ans, était épris depuis un certain temps d'une jeune fille de forains et jamais, malgré ses vives instances, il n'avait pu obtenir une parole d'encouragement.
Désespéré, il prit une résolution suprême et, pour quitter l'existence, il eut recours à un mode de suicide digne des excentriques Américains.
Peu de temps auparavant, il avait été employé dans la ménagerie du dompteur Ahmed-ben-Amar-ben-el-Gaïd, avec lequel d'ailleurs, il était resté en bons termes ; il profita de ces circonstances pour entrer dans la baraque où, comme il était connu, on le laissa aller et venir sans lui adresser la moindre observation. Au moment où il savait qu'on ne le regardait pas, Grollier entra dans la cage aux lions et verrouilla la porte derrière lui pour ne pas être dérangé. Un des fauves sauta sur lui aussitôt et lui ouvrit la gorge d'un coup de dent, après lui avoir labouré la poitrine et les épaules avec ses griffes.
Aux cris que poussa Grollier, le dompteur Ahmed et le personnel d'une baraque de lutteurs vinrent pour dégager le désespéré, mais il était trop tard.
Dans une des poches du mort, on a trouvé une lettre de supplications et une lettre d'adieux que Grollier avait adressées à celle qu'il aimait.
Le Petit Journal a rappelé, à ce propos, que l'idée de se faire mourir en se donnant en pâture aux lions a déjà été mise en pratique par quelques déséquilibrés. On se souvient notamment qu'un milliardaire américain, beau-frère d'Harry Thaw, le héros du drame de Madison-Square, s'était fait dévorer par quatre lions de l'Atlas, sous les yeux terrifiés de quelques amis qu'il avait conviés à un banquet d'adieux.

VARIETE

Médicaments du temps passé

La refonte du Codex. - Remèdes d'autrefois. - La graisse d'homme. - Le crâne de supplicié - Pour arrêter les saignements de nez. - La recette de l' « huile de petits chiens». - Bouillon de vipères et crapaudine. - Potion d'eau d'hirondelles. - L'esprit tourmenteur de nos pères. - La Thériaque et l'Orviétan. - Nos panacées guérissent-elles plus que celles de nos ancêtres ?

Une petite révolution - toute pacifique, rassurez-vous - vient de s'accomplir en médecine et en pharmacie. On a refondu le Codex.
Le Codex est le répertoire des médicaments. Les pharmaciens doivent toujours l'avoir sous la main. Ils doivent même en connaître la plupart des prescriptions. Et ce n'est pas une petite affaire, car la Codex forme un très gros volume de plusieurs centaines de pages.
Il paraît que sa refonte s'imposait, car le Codex dont on se servait jusqu'à présent contenait encore une foule de recettes périmées et de médicaments passés de mode, dont la science avait depuis longtemps démontré l'inanité. Voilà qui est fait. Mais, pour ce faire, une commission composée de nos plus éminents médecins et pharmaciens a travaillé plusieurs mois sans relâche.
Il faut que vous sachiez que le premier Codex parut au début du dix-septième siècle. Sa publication avait été ordonnée par un édit royal. Défense fut faite aux apothicaires, sous peine d'une forte amende, de « débiter tous autres remèdes que ceux inscrits dans le formulaire ».
Parmi ces médicaments, combien subsistent dans le Codex aujourd'hui refondu ? Bien peu, assurément... Et, pourtant, ils guérirent en leur temps. Ils guérirent parce qu'ils étaient à la mode... A présent qu'ils ne sont plus a la mode, ils ne guérissent
plus. Alors, on les expulse du formulaire officiel. Mais des savants qu'intéressent les curiosités de la médecine nous en ont, du moins, conservé le souvenir. M. le docteur Cabanès est un de ces savants. Il a consacré aux « remèdes d'autrefois » tout un volume. Ce livre, il l'a mis, avec juste raison, sous le patronage d'un mot de Pascal : « L'humanité est un même homme qui subsiste toujours et apprend continuellement. » Et, tour à tour, il nous y fait connaître l'origine des superstitions populaires relatives aux remèdes, et il étale sous nos yeux la médecine des commères ou des empiriques à travers les âges.
On ne saurait croire jusqu'à quel point nos ancêtres usaient et abusaient du corps humain dans la composition de leurs médicaments. Pour guérir la jaunisse, on brûlait des cheveux et l'on en buvait la cendre en infusion... Avait-on besoin d'un vomitif ? Il fallait râper les ongles des doigts de pied et avaler cette poudre... On conçoit qu'un tel remède devait donner des haut-le-coeur !
La graisse humaine entrait dans une foule de préparations et était fort appréciée. L'historien de Thou rapporte qu'à Lyon, lors des massacres de la Saint-Barthélemy, on jeta à la rivière les corps des protestants tués, « à la réserve des plus gras qu'on abandonna aux apothicaires qui les demandaient pour en avoir la graisse ».
Cette confiance dans les effets médicaux de la graisse humaine subsistait encore il y a moins d'un siècle. Vers 1830, Balzac écrivait les Mémoires de Sanson, le fameux bourreau qui avait fait la terrible besogne de 1793. Il était de ce fait en rapports constants avec sa famille qui habitait rue Albouy. Or, il raconte que les gens du quartier et même de quartiers éloignés venaient sans cesse demander à acheter de la graisse de pendu ou de guillotiné. Les aides du bourreau, ajoute-t-il, leur vendaient consciencieusement du saindoux provenant de la charcuterie voisine mais qu'ils avaient soin de renfermer dans des pots recouverts de papier rouge... Et les clients se retiraient enchantés de posséder le précieux remède.
Le crâne humain n'était pas moins recherché. On le pulvérisait et l'on employait cette poudre à la composition de remèdes contre l'épilepsie.
Mais tous les crânes n'étaient pas également bons à cet usage. En 1738, le médecin Lénery assurait que rien ne valait le crâne d'un jeune homme mort de mort violente. En principe, le crâne d'un homme mort de mort naturelle ne jouissait d'aucune propriété. Les crânes les meilleurs étaient ceux des condamnés au supplice de la roue et dont l'agonie avait duré longtemps. Sur ces crânes se trouvait également une petite mousse verdâtre que les médecins recueillaient précieusement et qui constituait, paraît-il, un merveilleux remède à bien des maux.
S'il faut en croire le livre publié en l'an 1684 par le chevalier Digby, sur les Remèdes souverains et secrets expérimentés, cette mousse fournissait un remède infaillible pour arrêter le sang d'une plaie ou un saignement de nez.
« Prenez, dit le chevalier, deux parts de mousse qui vient sur la tête des morts, et que ce soit une tête humaine ; tirez-la en la séparant et la rendez plus menue que pourrez avec les doigts ; mêlez-la avec une part de mastic en poudre, puis réduisez tout en onguent avec de la gomme tragogante trempée en eau de plantain et eau de rose ; ensuite l'étendez sur du cuir de la longueur du pouce et non si large, et le mettez sur la veine du front descendant sur le nez. »
L'auteur affirme que le remède est infaillible. Seulement, comme on n'a pas toujours sur soi de la mousse provenant d'un crâne humain, il en donne un autre qu'il déclare également bon et qui me paraît infiniment plus simple.
« Prenez, dit-il, de l'herbe nommée bursapastoris. Flairez dessus et la tenez dans la main. Il suffira même de la porter sur soi, en la poche... »
Avouez que c'était une herbe vraiment miraculeuse que cette herbe nommée bursapastoris qu'il suffisait de porter dans sa poche pour ne pas saigner du nez.

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Le corps des bêtes ne servait pas moins que le corps des gens dans l'ancienne pharmacopée. L'huile de petits chiens était en honneur tout autant que la graisse de pendu.
Les anciens formulaires nous renseignent, dit le docteur Cabanès, sur les précautions à observer pour se procurer « un petit chien, ou une chienne braque qui ait ouvert les yeux depuis peu de temps », qu'on coupe par petits morceaux et qu'on mélange avec « des sortes de vers de terre et des pains de genièvre » - oh ! l'horrible mixture ! - pour en faire des huiles et des onguents lénitifs.
Notez que les plus fameux médecins d'autrefois avaient une confiance illimitée dans la vertu de cette abominable drogue. Ambroise Paré, le grand chirurgien du seizième siècle, la prônait en toutes circonstances.
Il a raconté comment il en avait appris la recette d'un chirurgien de Turin « qui avait le bruit par dessus tout de bien médicamenter les arquebuzades ».
Paré rapporte qu'il trouva moyen de s'insinuer en la bonne grâce dudit chirurgien, mais qu'il lui fit la cour près de deux ans et demi avant que celui-ci consentît à lui dévoiler la composition de son baume.
Enfin, comme Paré était sur le point de retourner à Paris, son confrère italien se laissa tout de même fléchir.
« Il m'envoya quérir, dit Paré, deux petits chiens, une livre de vers de terre, deux livres d'huile de lys, six onces de térébenthine de Venise et une once d'eau-de-vie ; et, en ma présence, il fit bouillir les chiens tout vivants en ladite huile, jusqu'à ce que la chair laissât les os ; et après mit les vers qu'il avait auparavant fait mourir en vin blanc, afin qu'ils jetassent la terre qui est toujours contenue en leurs ventres.
» Etant ainsi vidés, les fit cuire en ladite huile jusqu'à ce qu'ils devinssent tout arides et secs ; alors fit passer le tout par une serviette, sans grandement en faire expression ; cela fait, on y ajouta la térébenthine, à la fin l'eau-de-vie, et appela Dieu à témoin que c'était son baume, duquel, il usait aux plaies faites par arquebuses et autres qu'on prétendait suppurer, et me pria de ne divulguer son secret... »
Il fallait tout de même que les malheureux arquebusés sur la blessure desquels on appliquait cet affreux mélange, eussent un fameux tempérament pour ne pas succomber à l'infection, à la gangrène ou au tétanos.
Le chat, lui aussi, fournit maint remède à la pharmacopée du temps. La tête d'un chat noir, réduite en cendres, était une excellente préparation contre les taches les taies et autres maladies des yeux. On devait en insuffler trois fois par jour dans l'oeil atteint.
De même, nos pères utilisaient dans leur médecine les produits du cheval, de la chèvre, du boeuf, du mouton. Ils allaient jusqu'à se servir des animaux les plus répugnants. On faisait manger des araignées aux dames trop maigres qui désiraient engraisser. Aux personnes qui voulaient éviter la vieillesse précoce, on ordonnait un bouillon de vipères dont le fameux apothicaire Charas disait merveille. Enfin, le crapaud fournissait, lui aussi, son médicament : c'était la crapaudine, remède destiné à guérir « les maladies venimeuses, putrides, la peste, le pourpre, la rojolle, etc., etc. »
Un formulaire du dix-huitième, siècle, intitulé Secrets éprouvés, nous fait connaître l'art de composer cette drogue :
« Au décroît des lunes de Juin, Juillet et Aoûst, cherchez, après midy, le plus gros crapaud que vous pourrez trouver ; arrêtez-le, lui mettant le bout du pied sur l'extrémité de la teste, sans l'écraser. Vous lui attacherez un filet à la cuisse et le suspendrez au coin de la cheminée, qu'il sente la chaleur du feu, et ne puisse appuyez sur aucune chose.
» Faites amollir de la cire, de la largeur de la main, que vous mettrez sur la crapaud, afin qu'elle reçoive tout ce qui en sortira, une assiette de fayence par-dessous .
» Allumez un cierge avec la flamme duquel vous tourmenterez le crapaud, l'approchant de son ventre et de ses reins à plusieurs reprises, ce qui lui fera jeter son venin par la bouche et la sueur qui doit être reçue par votre cire. Le supplice du crapaud doit être continué jusqu'à ce que mort s'ensuive ; il y en a qui survivent trois jours entiers dans le tourment.»
Pour en finir, disons succinctement que, le crapaud mort, « on lui ouvre le ventre, on en arrache les entrailles que l'on étend sur la cire ». Le tout « séché au grand air », à l'abri du soleil qui en « feroit dissiper tous les esprits », vous « l'enchasserez dans un cercle de bois auquel seront attachés trois cordons passés l'un au col et les autres aux deux bras ».
Et avec ce talisman sur le corps, on était garanti contre la « rojolle » et autres « maladies venimeuses ».
Les oiseaux étaient mis à contribution, eux aussi, tout comme les animaux domestiques, les reptiles, les insectes et les batraciens. On employait contre l'épilepsie un spécifique qui s'appelait potion d'eau d'hirondelles, et pour la composition duquel il fallait prendre « vingt hirondelles de la première nichée » et les. ouvrir toutes vives.
Ce qui distingue tous ces remèdes tirés de l'homme et des animaux, c'est que la souffrance des êtres était indispensable à leur production. L'esprit tourmenteur de nos pères se retrouve jusque dans leur pharmacopée, et les vivisecteurs d'aujourd'hui sont, en vérité, les dignes successeurs, des médecins igorants d'autrefois.

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En dehors de ces remèdes extraits du corps de l'homme ou des animaux, nos pères eurent une foi profonde en deux panacées qui guérissaient tous les maux : la thériaque et l'orviétan.
La thériaque, dont l'invention remonterait, suivant la légende médicale, à Andromaque, médecin de Néron, comportait, suivant la formule de Galien, soixante-quatre corps différents.
C'était, au dix-septième siècle, un médicament officiel que MM. les apothicaires fabriquaient en grande solennité. En 1790, le maire de Paris, les députés de l'Assemblée nationale, les doyens et professeurs des facultés de médecine et de pharmacie, les prévôts du collège de chirurgie assistèrent à la séance...
Comment un médicament fabriqué en présence de tant d'illustres personnages n'eût-il pas guéri toutes les maladies ?
Quant à l'orviétan, il ne se composait que de cinquante et une drogues différentes. On y trouvait les éléments les plus disparates, de l'os du coeur de cerf pilé, du fenouil, du coeur de lièvre, de la gentiane, du crâne humain, etc.
Son inventeur était un charlatan du Pont Neuf, Hiéronymo Ferranti d'Orvieto.
Cette panacée guérissait tout, s'il faut en croire le personnage de l'opérateur de l'Amour médecin qui, lorsque Sganarelle lui donne une pièce de trente sols en échange de son remède, s'écrie avec enthousiasme :

L'or de tous les climats qu'entoure l'Océan
Peux-il jamais payer ce secret d'importance ?
Mon remède guérit par sa rare excellence
Plus de maux qu'on n'en peut nombrer en tout un an.

Aujourd'hui, la thériaque, l'orviétan ne guérissent plus rien. On a chassé les vieux remèdes du Codex. Mais nous avons d'autres panacées... Pour plus scientifiques qu'elles soient, valent-elles beaucoup mieux que les médicaments de nos pères ?
Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 27 Septembre 1908