BOURREAU D'ENFANTS!

Le propriétaire d'un cirque
ambulant torturait des enfants pour en faire des saltimbanques et des
acrobates.
On vient d'arrêter en Hongrie,
un propriétaire de cirque ambulant, nommé Etienne Szasz,
accusé de crimes qui rappellent les méfaits des «
Comprachicos » de l'Homme qui rit, de Victor Hugo.
Szasz achetait, pour quelques francs, leurs enfants à des parents
pauvres. Les petits esclaves étaient ensuite, par toutes sortes
de tortures, préparés pour la représentation de
numéros spéciaux du cirque ; aux uns, on tiraillait et
tordait les extrémités ; aux autres, on tailladait la
figure pour leur donner un aspect grimaçant ; il y en eut même
qui furent estropiés. Quand ces malheureux ne pouvaient plus
servir à rien, ils étaient abandonnés sur la route,
au milieu des champs ou dans une forêt.
C'est une de ces victimes qui a dénoncé les crimes de
Szasz. Une jeune fille aveugle, vêtue de loques, a été
trouvée, ces jours-ci, au cimetière de Gourba, assise
sous un saule. Elle a raconté avoir été abandonnée
par Szasz, qui l'avait achetée quand elle n'avait que cinq ans.
L'an passé, elle est devenue aveugle par suite d'un accident
arrivé pendant une représentation. Ne pouvant plus être
d'aucune utilité au directeur du cirque, elle fut abandonnée
par celui-ci. La pauvre aveugle raconte que le nombre des enfants victimes
de Szasz se monte bien à une vingtaine.
VARIÉTÉ
Patriote et Soldat
Une cérémonie
opportune. - Le monument de La Tour d'Auvergne à Quimper. -
Le cœur d'un héros. - Abnégation et désintéressement.
- Les officiers français. - Ce qu'en pensaient le général
Foy et Alfred de Vigny.
- Volontaire à cinquante-cinq ans. - Une gloire immortelle.
Il y a des cérémonies
qui viennent à leur heure et prennent, par leur opportunité,
une signification particulièrement éloquente.
Celle qui eut lieu, l'autre dimanche, à Quimper, est de ces cérémonies-là.
Tandis que les anarchistes de la C. G. T., réunis à Marseille,
insultaient à l'armée et à la patrie, à
Quimper on célébrait la glorieuse mémoire d'un
homme qui fut l'incarnation même de l'héroïsme militaire
et du patriotisme : on élevait une statue à La Tour d'Auvergne.
La postérité ne s'est pas montrée ingrate pour
celui que l'histoire désigne par ce beau titre de « premier
grenadier de la République ». Théophile-Malo de
La Tour d'Auvergne-Corret a aujourd'hui deux monuments, l'un à
Quimper, qu'on inaugurait l'autre jour ; l'autre à Carhaix, sa
ville natale. Ses cendres sont au Panthéon, son coeur est aux
Invalides.
De ce coeur, on peut dire qu'il a battu dans la poitrine du soldat le
plus vaillant, de l'homme le plus loyal et le plus vertueux que notre
pays ait produit. Il n'a battu que pour la France : c'est pour la France
encore qu'il a cessé de battre.
Durant plus de trente ans, le héros qu'il animait a donné
le plus haut exemple du dévouement à la patrie ; et même
après sa mort, son coeur n'a point cessé de mener les
soldats de France à la victoire, car, de 1800 à 1807,
conservé dans une urne par les grenadiers du 46 de ligne, il
fut porté par eux dans tous les combats auxquels ils assistèrent,
comme le palladium du régiment.
Puis, après un stage à la,grande-chancellerie de la Légion
d'honneur, le coeur de La Tour d'Auvergne fit retour à sa famille.
C'est elle qui, en 1904, offrit l'urne précieuse aux Invalides,
et le coeur du soldat héroïque prit, place, dès lors,
dans le sanctuaire où tant de nos plus pures gloires militaires
dorment leur sommeil éternel. Je n'entreprendrai point de refaire
la biographie de La Tour d'Auvergne. Sa vie toute de probité,
d'énergie et d'abnégation, est une des plus belles pages
de notre épopée nationale. A ce titre, nul ne peut en
ignorer les grandes lignes. Dès l'enfance, en effet, elle nous
fut donnée en exemple, et les belles actions du vaillant capitaine
suscitèrent nos enthousiasmes juvéniles. Mais puisque
les récentes fêtes de Quimper ont ranimé sa gloire,
apportons notre hommage à la mémoire du « premier
grenadier de la République ».
Breton de Basse-Bretagne, arrière-petit-fils d'un frère
naturel du maréchal de Turenne, il avait dans le sang toutes
les plus nobles qualités de notre race : courage à toute
épreuve, impétuosité tempérée par
une claire et saine raison, intelligence curieuse et subtile, intégrité
rigide, désintéressement sans bornes, attachement passionné
à la terre natale, vénération profonde, enfin,
pour la grande patrie.
Sa gloire militaire rayonne d'un tel éclat qu'elle a rejeté
dans l'ombre sa renommée de savant ; mais il ne fut pas seulement
un admirable soldat : « Toute sa vie, nous dit le capitaine Simond,
son éloquent biographe, il s'occupa d'histoire, d'archéologie,
de linguistique et de numismatique. » Il parlait couramment l'italien,
l'espagnol, l'allemand, l'anglais et possédait les éléments
de presque toutes les langues connues. Nous le voyons en campagne, sous
la tente, noter sur un tambour des observations destinées à
son grand ouvrage sur les Origines gauloises, qu'il conçut
pour exalter son cher pays celtique.
***
L'ancien régime l'avait laissé
plus de vingt ans dans l'ombre. D'abord mousquetaire, puis sous-lieutenant
au régiment d'Angoumois, en dépit de sa conduite héroïque
au siège de Port-Mahon, il ne passait capitaine qu'après
dix-sept ans de services, à l'ancienneté.
Un instant, le découragement le prit, non de ne pas recevoir
les grades supérieurs que l'on prodiguait à d'autres,
mais de ne pas voir mieux employer sa vaillance. Il songea même
à quitter l'armée.
Mais la Révolution éclata juste à point pour le
tirer de ses incertitudes.
En Juin 1792, la plupart des officiers de son régiment décident
d'émigrer et le sollicitent de partir avec eux.
- Vous portez un grand nom, lui disent-ils, votre place est auprès
des défenseurs de la royauté.
- J'appartiens à la patrie, leur répond- il ; soldat,
je lui dois mon bras ; citoyen, je dois respect à ses lois. Je
ne puis quitter ni mon pays, ni le poste qui m'a été confié.
Et comme quelqu'un insinue qu'il n'abandonne la cause royale que pour
gagner plus facilement les grades supérieurs :
- Je jure, s'écrie-t-il, de ne jamais accepter d'autre grade
que, celui que j'occupe aujourd'hui.
Ce serment, il le tint avec une rare fermeté. A plusieurs reprises,
on voulut le nommer lieutenant-colonel, colonel, général
même. Il renvoya toutes les commissions, et lorsque, à
l'armée des Pyrénées-Occidentales, il prit le commandement
- sur l'ordre du général en chef - des 8,000 grenadiers
de la fameuse « colonne infernale », ce fut à la
condition expresse qu'il garderait son simple grade de capitaine.
En 1799, le Sénat, chargé de choisir les membres du Corps
législatif, s'avisa de le désigner comme député.
Il refusa en termes de la plus belle dignité :
- Mon poste est aux armées, dit-il. Je ne puis en même
temps combattre et faire des lois. Je ne veux, en ce moment, faire qu'une
chose : observer ces lois et les défendre...
Enfin, quand Bonaparte, ne sachant comment récompenser dignement
son héroïsme, donna l'ordre à Carnot, alors ministre
de la Guerre, de lui décerner un sabre d'honneur avec le titre
de « premier grenadier de la République », La Tour
d'Auvergne accepta le sabre, mais il refusa de separer jamais du titre.
- Il n'y a dans le corps des grenadiers, déclara-t-il, ni premier
ni dernier, et je suis trop jaloux de conserver les droits à
l'estime de mes camarades pour aliéner de moi leur coeur en blessant
leur délicatesse.
Où trouver, dans l'histoire, plus beaux exemples de désintéressement
et d'abnégation ?
Le capitaine Simond, dans l'introduction de son livre sur La Tour d'Auvergne,
rappelle justement que le héros breton ne fut pas seul de cette
trempe. A l'époque de patriotisme enfiévré où
il se distingua, les dévouements ne se comptèrent pas.
Le général Foy, qui vécut dans cette atmosphère
de vertu militaire et d'enthousiasme patriotique, et qui connut ces
hommes au corps de fer et au coeur d'or, disait des officiers de ce
temps « qu'ils resplendissaient de pureté et de gloire
».
Lisez plutôt ces lignes éloquentes que le grand orateur,
parlementaire consacre à ces modestes héros dans son Histoire
des Guerres de la Péninsule:
« Vaillants comme Dunois et La
Hire, sobres et durs à la fatigue parce qu'ils étaient
fils du laboureur et de l'artisan, ils marchaient à pied à
la tête des compagnies, et couraient les premiers au combat et
sur la brèche. Leur existence était faite de privations,
car l'administration ne pouvait pas. toujours fournir à leurs
besoins, et ils eussent cru s'avilir en prenant part au pillage, tant
ils avaient le coeur haut placé. Étrangers aux jouissances
d'amour-propre de l'officier général, exempts de l'ivresse
du soldat, ces martyrs du patriotisme vivaient de cette vie morale qui
se consume dans la résignation du devoir. Une mort à peu
près certaine les attendait loin de la patrie, et le nom de la
plupart d'entre eux devait rester ignoré. Que de beaux caractères
dans une classe qu'on ne louera jamais assez ! Oh ! nos ennemis l'ont
mieux appréciée que nous ; ils ont connu que là
était l'honneur et le bouclier de la France... »
Cette même admiration, pour ces hommes d'abnégation et
de devoir, se retrouve sous la plume d'un grand poète - d'Alfred
de Vigny - qui, avant de s'illustrer dans les lettres, avait été
capitaine au 55e régiment d'infanterie de ligne et avait pu apprécier
l'esprit de patriotisme et de dévouement de ses camarades
« Il me fut révélé, dit-il, une nature d'homme
qui m'était inconnue et que le pays connaît mal et ne traite
pas bien. Je la plaçai dès lors très haut dans
mon estime. J'ai souvent cherché depuis, autour de moi, quelque
homme semblable à celui-là et capable de cette abnégation
de soi-même, entière et insouciante. Or, durant quatorze
ans que j'ai vécu dans l'armée, ce n'est qu'en elle, et
surtout dans les rangs dédaignés et pauvres de l'infanterie,
que j'ai retrouvé ces hommes de caractère antique, poussant
le sentiment du devoir jusqu'à ses dernières conséquences,
n'ayant ni remords de l'obéissance, ni honte de la pauvreté,
simples de moeurs et de langage, fiers de la gloire du pays et insouciants
de la leur propre, s'enfermant avec plaisir dans leur obscurité,
et partageant avec les malheureux le pain noir qu'ils paient de leur
sang... »
***
Il semble que, en écrivant ces
lignes, le grand poète ait voulu tracer le portrait même
de La Tour d'Auvergne. Mais non, c'était là et ce fut,
à toutes les périodes de notre histoire, le caractère
de tous ces officiers, humbles héros qui n'ont vécu que
pour la France et qui sont morts pour elle.
La Tour d'Auvergne fut le type le plus accompli de ces soldats patriotes.
Par sa conduite, par ses talents militaires, il eût pu atteindre
aux plus hautes situations dans l'armée ; il eût pu, comme
ses amis Dumas, Moncey, Moreau, commander en chef devant l'ennemi. Il
ne le voulut point et se contenta de poursuivre obscurément son
oeuvre d'héroïsme.
Successivement, il prit part à la conquête de la Savoie
et aux trois campagnes des Pyrénées occidentales, où
il accomplit des actes d'intrépidité qui entraînèrent
des victoires décisives.
Il escalada des pics réputés inaccessibles, prit des redoutes
déclarées imprenables, s'empara, avec une poignée
d'hommes et un seul canon, de la ville de Saint-Sébastien, défendue
par une garnison nombreuse et garnie de cinquante pièces d'artillerie.
A la fin de 1794, après deux années de combats ininterrompus,
Là Tour d'Auvergne, épuisé par les fatigues et
les privations, dut demander sa retraite. Mais le transport de Bordeaux,
qui, le ramenait à Brest, fut pris en mer par la flotte anglaise,
et, au lieu du repos qu'il attendait, le héros des Pyrénées
dut subir les tortures effroyables de la captivité sur les pontons
de Plymouth. Là encore, il fut soutenu dans ses épreuves
par son stoïcisme républicain.
Enfin, il rentre en France,,, mais c'est pour courir à de nouveaux
combats.
Des relations mal informées ont raconté que, en 1797,
La Tour d'Auvergne avait repris du service pour exempter un de ses
fils. Or, c'est là une lourde erreur qu'il convient de relever.
Le héros breton ne se maria jamais et n'eut pas de descendants
directs.
Son acte, d'ailleurs, fut plus noble encore que s'il s'était
agi d'un des siens.
Son ami, son maître, le savant linguiste Le Brigant, avait eu
trois fils tués à l'ennemi. Il ne lui en restait plus
qu'un seul, son Benjamin, et ce fils venait d'être appelé
à la réquisition. Le Brigant vint, tout en larmes, trouver
La Tour d'Auvergne et le supplier de faire exempter son enfant.
- Il n'est pas en mon pouvoir, lui répondit le capitaine, de
soustraire un soldat à la patrie, mais je puis partir à
sa place...
Et il partit. A cinquante-cinq ans, il reprit du service à l'armée
du Rhin-et-Moselle, puis à celle du Danube. Enfin, en 1800, il
revint à l'armée du Rhin. Ce fut sa dernière campagne
: le 4 Thermidor an VIII, au combat de Neuhausen, près de Neubourg,
comme il poursuivait des pandours, l'un d'eux l'étendit raide
mort d'un coup de lance au coeur.
L'armée entière porta le deuil et lui fit de solennelles
funérailles. Longtemps son corps demeura enfermé dans
un tombeau, aux lieux mêmes où il avait succombé,
tandis que son coeur continuait de courir les champs de bataille.
Depuis 1889, la dépouille du vaillant soldat repose au Panthéon,
auprès de celle du grand Carnot, son admirateur et son ami. Son
coeur, depuis 1904, est dans la crypte des Invalides, nécropole
des braves qui ont sacrifié leur vie pour la patrie...
***
Quel enseignement se dégage de
la destinée du héros destinée glorieuse en dépit
même de sa propre volonté !
Toute sa vie, La Tour d'Auvergne refusa les honneurs et repoussa les
avances de la renommée.
Lui mort, la renommée prit sa revanche. Le « premier grenadier
de la République » a deux statues ; - son régiment
conserve pieusement son souvenir, et dans toutes les occasions solennelles,
à l'appel de son nom fait par le capitaine de la compagnie du
drapeau, le plus ancien sergent répond « Mort au champ
d'honneur » ; - ses restes sont conservés dans les temples
de la gloire et du patriotisme ; - et sa mémoire vivra éternellement
au sein de cette armée nationale où subsistent toujours
les nobles traditions de courage, de désintéressement
et de dévouement à la patrie.
Quel contraste entre tant de nos célébrités d'aujourd'hui,
faites de réclames, de puffisme et de vanité, et cette
gloire spontanée, rayonnante, immortelle !
Ernest LAUT.