LA CRAINTE DU CHÂTIMENT


Par 330 voix contre 201, la Chambre des députés a décidé le maintien de la peine de mort.

Le symbole exprimé par cette gravure est trop clair pour qu'il soit nécessaire de la commenter. La décision prise par la Chambre de maintenir la peine capitale dans nos codes est de nature à faire réfléchir les malfaiteurs. La pensée du châtiment final peut arrêter le bras de l'assassin. Quoiqu'en prétendent certains abolitionnistes, les preuves abondent de l'effet de cette crainte salutaire.
Nos lecteurs en trouveront quelques unes des plus caractéristiques dans notre « Variété ».

VARIETE

LA CRAINTE DU CHÂTIMENT

Le maintien de la peine capitale. - Arguments des abolitionnistes. - La peine de mort est-elle exemplaire ? - Pressentiments de Quesnel. - Opinion de Lacenaire. - Ce que pensent les aumôniers des prisons. - La torture de deux condamnés. - Le seul châtiment que redoutent les malfaiteurs.

Enfin, la Chambre a réglé la question de la peine capitale. Sous la pression de l'opinion publique, exaspérée par l'accroissement incessant de la criminalité, nos députés ont fermé l'oreille aux objurgations des humanitaires et triomphé d'une obstruction qui, depuis plusieurs mois, retardait la solution nécessaire. La peine de mort reste inscrite dans nos codes. Les jurés de cours d'assises ne seront plus, désormais, dans la situation de gens qui prononcent un verdict qu'ils savent purement platonique, Et il y a tout lieu de penser que, après un vote qui reflète les sentiments de l'immense majorité du pays, les grâces ne seront plus accordées systématiquement, comme elles l'étaient depuis plus de deux ans, à tous les condamnés indistinctement, sans souci des volontés et des justes indignations du pays.
Cette campagne pour la suppression de la peine de mort, qui vient d'échouer par un vote de la Chambre, constitue la principale manifestation d'un esprit de sensiblerie et d'humanitarisme qui, depuis quelques années, s'étend sur tout notre système pénal, et auquel nous devons la légende, qui s'est répandue parmi les criminels, de la prison-palace et du bagne-éden.
A vrai dire, cette légende n'est point dénuée de fondement. N'avons-nous pas vu bâtir des maisons de détention où les condamnés trouvent, dans des cellules bien chauffées en hiver, bien aérées en été, tout le confort moderne ?... N'est-il pas vrai qu'on travaille de moins en moins dans nos prisons et que la nourriture donnée aux détenus est infiniment plus abondante, plus variée et plus saine que celle de nos soldats ?
Quant au bagne, n'apparaît-il pas, à la plupart des forçats, comme le pays lointain où ils vont, pleins de confiance et d'espoir, se refaire une nouvelle vie ?
Rappelez-vous les projets d'avenir que faisait Soleilland avant son départ pour la Guyane... II entrevoyait l'époque où i1 deviendrait colon, où il aurait sa terre et son chalet. Et il invitait ses parents à venir le rejoindre dans sa concession où l'on vivrait heureux, en famille, dans l'oubli du tragique passé.
Eh bien, ces espérances sont celles de presque tous les misérables qu'un crime conduit aujourd'hui vers les pénitenciers de la Guyane, vers ces pénitenciers qui, jadis, séjours de crainte et d'horreur, sont presque devenue aujourd'hui des séjours convoités.

***
Les adversaires de la peine capitale élèvent contre elle les arguments suivants:
La société, disent-ils, n'a pas le droit de donner la mort ; la peine capitale est irréparable; enfin, elle n'est pas moralisatrice.
Je passe sur les deux premières objections, la société n'a pas le droit de donner la mort. Elle a, en tout cas, un droit indiscutable : c'est celui de se protéger contre le criminel, et il est des cas où le seuil moyen d'assurer cette protection, c'est de supprimer les assassins.
La peine de mort est irréparable. Oui, mais le devoir de la justice est d'entourer les procès de toutes les précautions nécessaires pour éviter les erreurs. Et l'on ne peut dire qu'elle manque à ce devoir. Ne lui reproche-t-on pas quelquefois, au contraire, la lenteur de ses instructions ?... En tout cas, si quelque doute subsiste, même après la condamnation, le président de la République n'a-t-il pas le droit de grâce dont il peut faire bénéficier le condamné ?... Les abolitionnistes pourraient-ils citer, parmi les condamnés de ce temps-ci, un seul exemple d'erreur ?... Au contraire, un aumônier de la Roquette disait : « J'ai assisté bien des condamnés à mort. Je n'ai pas eu une seule fois l'impression d'avoir devant moi un innocent. »
Troisième argument : la peine capitale n'est pas moralisatrice ; elle n'est pas exemplaire... Ici, les abolitionnistes me paraissent s'élever contre l'expérience même.
La peine de mort est exemplaire, quoiqu'ils en disent, car elle est la seule que craignent les malfaiteurs.
A plusieurs reprises, depuis deux ans, on a noté, à ce propos, l'attitude indifférente ou gouailleuse de certains condamnés contre lesquels la peine de mort venait d'être prononcée. L'un d'eux, auquel on demandait s'il n'avait rien à ajouter, ricanait :
- J'sais bien que c'est de la frime et qu'on ne me guillotinera pas.
Un autre, le nommé Joseph Zapesch, se refusait obstinément à revêtir la camisole de force imposée par le règlement aux condamnés à la peine capitale.
- On ne m'exécutera pas, disait-il, je le sais. Il n'y a donc nul danger que je me suicide. Je suis plein de confiance en l'avenir, plein de la joie de vivre. Ne me mettez pas cette camisole faite pour protéger le prisonnier contre ses désespoirs...
Mais le règlement de la Conciergerie est formel et Zapesch dut subir la consigne.
- C'est tout de même drôle de préparer un homme à une opération qu'on ne doit pas lui faire, murmurait-il pendant qu'on lui attachait les courroies.
Par contre, la crainte de voir rétablir la peine de mort avant qu'ils fument jugés et graciés suivant la coutume a, ces temps derniers, causé d'épouvantables terreurs a des détenus accusés de crimes récents et qui n'ont point encore vu le grand jour des assises.
Ainsi, pendant les derniers jours de l'instruction du crime atroce qui fut commis à Antony sur Mlle Larrieu, la directrice du pensionnat, on a remarqué, au Palais, l'attitude lamentable de Quesnel, l'un des trois assassins.
- C'est un sentimental que ce bandit, disaient quelques-uns. Entraîné par Louis Larrieu et Dutoy, pour cambrioler, il regrette le crime qu'il a commis ; le remords le ronge...
La vérité est un peu différente et ce n'est point le remords qui ronge Quesnel et enfièvre ses nuits, mais la crainte de la peine de mort. C'est une obsession constante et, dernièrement encore, il disait à son défenseur textuellement ceci :
- Moi, je suis un « guignard » ! La peine de mort n'était plus appliquée, et vous allez voir qu'on va l'appliquer au moment où je vais passer aux assises, et qu'on me coupera la tête ! Ah ! si j'avais su que je risquais cela, je n'aurais pas accepté de
« marcher » dans cette affaire !
Quesnel prévoyait juste en pensant que la peine de mort serait rétablie avant son procès... Mais croyez-vous que cet aveu d'assassin n'est pas de nature à embarrasser fortement ceux qui prétendent que la guillotine n'est pas un épouvantail pour certains criminels ?
Il n'est pas douteux que la perspective de la guillotine a retenu souvent sur la pente du crime des misérables qui, sans cette crainte, s'y seraient laissé glisser délibérément.
Et, à ce propos, il est une opinion des plus probantes : celle de l'assassin Lacenaire, que je ne saurais mieux faire que de rapporter ici.

***
En 1835, Lacenaire venait d'être condamné à mort pour de nombreux assassinats. Fort lettré, et même poète de quelque talent, il fut visité dans sa prison par plusieurs personnages d'importance et notamment par d'éminents magistrats.
Déjà, à cette époque, certains philosophes battaient en brèche le principe de la peine de mort. Lacenaire, sollicité de donner son avis sur la question, exprima à ses visiteurs sa surprise de voir contester l'utilité et l'efficacité des exécutions capitales. Et il leur raconta qu'il avait naguère imaginé un crime, souvent réédité depuis, et qui devait être très fructueux, tout en offrant de grandes chances d'impunité.
Il s'agissait de tirer une traite payable, un jour de forte échéance a la Banque, dans une chambre louée pour un mois et payée d'avance, d'attendre le garçon recouvreur, de le tuer, d'enlever la sacoche bien garnie et de détaler en laissant le cadavre sous clef.
- Eh bien, disait Lacenaire, ce crime si tentant, je l'ai proposé pendant plus de six mois à des mauvais sujets que j'avais connus à la maison centrale de Poissy et sur lesquels, grâce à mon instruction, j'exerçais un véritable ascendant. Dès que j'arrivais à leur dire qu'il fallait nécessairement tuer le garçon de banque pour faire disparaître l'unique témoin du crime, tous me filaient dans les doigts en déclarant qu'ils ne voulaient pas risquer leur tête. Et tous étaient pourtant des gredins déjà condamnés à des peines infamantes...
Une pareille déclaration venant d'un pareil homme ne démontre-t-elle pas que la peine de mort, alors qu'on l'appliquait, devait empêcher bien des crimes ?... Les abolitionnistes prétendent le contraire ...A leur aise !... Mais il me semble que l'opinion, plus que désintéressée, d'un condamné aussi expert en la matière et aussi intelligent que Lacenaire est infiniment plus convaincante que toutes les théories de leur sentimentalisme enfantin.

***
Vous faut-il d'autres témoignages ? Voici celui de M. le pasteur Arboux, aumônier des prisons, qui disait, il y a quelque temps :
« Si je consulte mon expérience, je déclare que la peine produit l'intimidation. Je l'ai toujours vu et je ne puis dire que j'aie vu des exemples contraires.
» J'ajoute que depuis que les criminels ne se sentent plus menacés (depuis qu'on n'exécute plus), ils écoutent avec curiosité, mais sans trop s'émouvoir, ce qu'on peut bien dire sur la nécessité d'un changement de vie...
» Je me rappelle avoir vu le règlement d'une bande d'apaches. Les articles n'étaient pas nombreux : une douzaine ; et ils n'étaient pas compliqués. Il n'y avait qu'une peine la mort ! Pourquoi ? Parce que c'est le seul châtiment qui leur fasse peur ; il n'y en a pas d'autre pour eux. »
L'opinion des hommes qui ont vécu parmi les condamnés est unanime sur ce point. L'abbé Croze, aumônier de la Roquette, disait :
- Quoi qu'on fasse, la pensée de la mort, dont chaque jour approche le terme, ne quitte jamais ces malheureux.
Le même prêtre, qui assista Gilles et Abadie, rapporte, dans ses Mémoires, que ces deux misérables entraient réellement en agonie tous les matins et ne retrouvaient d'assurance que le soir.
Et, tenez, voici quelques mois, Lorton et Hardy, deux criminels condamnés à mort par les assises de Seine-et-Oise et enfermés à la prison de Versailles, subissaient la même torture.
C'étaient deux abominables brutes qui avaient assassiné une femme dans des conditions d'ignoble cruauté. Ils n'étaient dignes d'aucune pitié, et, cependant, on en était arrivé à les plaindre tant les affres qu'ils ressentaient à l'idée du dernier supplice les affolaient.
Pendant près de trois mois ils attendirent, à la prison de Saint-Pierre, la grâce présidentielle. Désespérant de l'obtenir, ils en étaient arrivés à un état d'angoisse indescriptible. Leurs nuits étaient peuplées de cauchemars sinistres. Ils avaient sans cesse la fatale machine devant les yeux.
Le dimanche qui suivit la Fête nationale, l'un d'eux, même, tenta de se suicider.
A cause du mauvais temps, quelques-unes des réjouissances du 14 Juillet avaient été remises à ce jour-là. Toute la nuit, la rue où se trouve la prison fut emplie du tumulte de la population en fête. Les deux misérables, la sueur aux tempes, l'oeil hagard, entendaient monter jusqu'à eux la rumeur populaire. Ils crurent que ce bruit provenait de la foule assemblée pour leur exécution prochaine. Alors ils devinrent blêmes. L'épouvante s'empara d'eux. Hardy fut en proie à une effroyable crise de terreur..
Les gardiens avaient beau leur répéter qu'il s'agissait d'une fête. Ils n'écoutaient pas. Rien ne pouvait calmer leur angoisse. Et soudain, Lorton, qui s'était couché, se mit à râler. On se précipita. Le misérable était en train de s'étrangler avec son mouchoir. Il préférait ce suicide atroce à la mort sous le couteau.
Oui, la guillotine est la seule crainte de ces misérables. Elle seule peut les faire réfléchir et retenir leur bras à l'instant de frapper. Tous, tous, même ceux qui crânent devant la sinistre machine, tous ont, auparavant, ressenti les mêmes affres.
A la Roquette, Montcharmont était poursuivi sans cesse par l'idée du supplice :
- Oh ! ce couteau, s'écriait-il, ce couteau que je vois toujours !...
Gamahut n'était pas moins épouvanté. Il passait ses nuits dressé sur sa couchette, écoutant en tremblant si l'on venait. Campi, lui-même, Campi qui déclarait après sa condamnation que la mort ne l'effrayait pas et refusait de signer son pourvoi, Campi perdit son assurance les derniers jours.
- Jamais, disait l'abbé Moreau, l'aumônier, jamais je n'oublierai l'égarement, la pâleur cadavérique dont ce visage fut envahi au réveil, quand il comprit. Il était devenu livide. Un tremblement nerveux secouait tous ses membres. Il fit plusieurs fois le geste de l'agonisant qui ramasse ses draps...
Or, cette peur de la guillotine, pour certains criminels qui ne l'ont qu'à l'instant d'expier, combien d'autres l'ont eue et combien l'auront encore désormais avant de commettre leur crime?
Quoi qu'en disent les abolitionnistes, la peine capitale est donc exemplaire par la crainte qu'elle inspire aux malfaiteurs. Et la supprimer, ç'eût été renoncer au seul châtiment qu'ils redoutent et désarmer la défense sociale contre les pires attentats.

Ernest-LAUT.

Le Petit Journal Illustré du 27 Décembre 1908