LA PANTHÈRE NOIRE


Le nouveau feuilleton de Maxime Villemer,
publié par le Petit Journal.

PORTRAIT DE L'HEROINE

La Panthère noire, c'est l'héroïne du nouveau feuilleton, de Maxime Villemer, dont le Petit Journal commence la publication. C'est la femme fatale ;c'est la figure étrange et tragique qui plane sur l'oeuvre nouvelle du fécond et talentueux romancier dont chacun des romans publiés par le Petit Journal fut un retentissant succès.
Comme il advint pour tous ces romans aux péripéties si variées et si captivantes, les aventures de la Panthère noire ne manqueront pas de passionner nos lecteurs.
Aussi, avons-nous tenu, au moment où commence la publication de la Panthère noire, à leur donner le portrait idéal de l'héroïne, que Mme Frédérique Vallet-Bisson, l'une des plus célèbres pastellistes de ce temps-ci, a composé et rendu avec un sentiment, un caractère et un relief dignes de son admirable talent.


VARIÉTÉ

Le respect des paysages


A propos du Mont-Saint-Michel. - Autrefois et aujourd'hui.— La « merveille » se tressera bientôt sur un océan de prés et de champs. - Les méfaits de la digue. - Ce qu'il faut faire pour sauver le Mont. - Les sociétés pour la protection des sites et des paysages.- L'oeuvre patriotique qu'elles accomplissent.

On parle beaucoup du Mont-Saint-Michel, depuis quelque temps. Tous les fervents du passé, tous les admirateurs du pittoresque se Liguent pour sauver cette merveille, dont Victor Hugo disait qu' « elle est pour la France ce que la Grande Pyramide est pour l'Egypte. »
Ce n'est point que l'abbaye elle-même soit menacée. Au contraire, d'intelligentes restaurations lui rendent peu à peu sa physionomie d'autrefois et réparent les dégâts commis par les prisonniers au temps où une administration imbécile avait fait de ce prodigieux édifice une maison de réclusion. Mais, si l'abbaye , confiée aux services des Beaux-Arts, n'a rien à craindre de nos modernes Vandales, on n'en saurait dire autant du Mont lui-même, du Mont qui, si l'on n'y prend garde, aura perdu, dans quelques années, tout son pittoresque, toute sa grandeur, toute sa beauté.
Victor Hugo, qui semblait prévoir les effets du vandalisme actuel, avait encore écrit ceci :
« Il faut que le Mont-Saint-Michel reste une île... Il faut conserver à tout prix cette double oeuvre de la nature et de l'art. »
Eh bien ! tandis que l'oeuvre de l'art est soigneusement préservée de la ruine, celle de la nature est menacée de destruction prochaine, car, bientôt, le Mont-Saint-Michel ne serra plus une île.
C'était naguère un merveilleux spectacle que celui du flux et du reflux dans cette baie du Mont-Saint-Michel, où la mer, lors des grandes marées d'équinoxe, se précipitait avec une vitesse plus grande que celle d'un cheval au galop. Le Mont qui, à marée basse, dominait une plaine immense de sables mouvants, se trouvait, en quelques minutes, transformé en une île qu'entournaient de toutes parts les flots agités. Aujourd'hui, le Mont n'est déjà plus qu'une presqu'île; et encore, certains points de ses remparts ne sont-ils plus battus par des flots que lors des grandes marées. Bientôt, si l'on n'arrête point l'envahissement des sables, dans quinze ans, dans dix ans peut-être, le Mont-Saint.-Michel ne sera plus qu'une éminence perdue au milieu des champs et des prairies. Alors, c'en sera fait à tout jamais de ce site, le plus imposant, le plus merveilleux de nos côtes.

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Jusqu'au milieu du XIX siècle, il n'était venu à l'idée de personne de convertis en pâturages les grèves de la baie du Mont-Saint-Michel, pas plus que de joindre pair une digue le Mont à la côte. L'accès n'en demeurait possible qu'à marée basse, et encore était-il prudent de se faire accompagner de guides habiles, car des fondrières dangereuses se dissimulaient sous les sables mouvants et l'imprudent qui s'aventurait sans prendre cette utile précaution risquait de subir le sort tragique du sire de Ravensten de la Fiancée de Lammermoor, qui disparut ainsi avec son cheval dans les sables d'une plage trop fluide pour supporter le poids de l'homme et de l'animal.
On contait alors, au Mont-Saint-Michel, que dans les dernières années du XVIIIe siècle, un bateau échoué dans la baie s'était enfoncé si profondément qu'il avait disparu tout entier, jusqu'à la pointe du grand-mât, et que le propriétaire de ce bâtiment ayant fait tailler en cône une pierre du poids de 300 livres, et l'ayant fait poser la pointe en bas sur le sable, cette pierre s'enterra si bien en l'espace d'une nuit, qu'on ne put même retrouver le bout d'une corde de 40 pieds qu'on y avait attachée.
Ces difficultés d'accès, ces dangers, joints à la rareté des moyens de transport, avaient contribué à garder au Mont-Saint-Michel son aspect de grandiose sauvagerie. Le village, alors, était un vrai village de pêcheurs. M. Marius Vachon, dans un intéressant travail publié par le « Comité des sites et monuments pittoresques » du Touring-Club, a donné des vues fort curieuses du Mont-Saint-Michel à cette époque, comparées à d'autres vues des mêmes parties du Mont à l'époque actuelle.
Il y a soixante ans, la porte du Roi, par laquelle on accède dans la rue qui monte à l'abbaye, était entièrement visible. Aujourd'hui, une affreuse maison en briques la cache en grande partie. La Tour du Roi est entièrement masquée par cette inesthétique bâtisse.
La rue elle-même, au lieu d'être bordée de maisons quelconques, sans style, et toutes bariolées de laides enseignes de restaurants et de cabarets, n'avait que de ces vieilles maisons normandes si originales avec leurs poutres apparentes. Enfin, cette rue n'était point encore transformée comme elle l'est à présent en une espèce de foire permanente où se débitent mille souvenirs du goût le plus médiocre et où les traiteurs se disputent le client.
En 1856, le gouvernement de Napoléon III porta le premier coup au Mont-Saint-Michel en concédant toute la partie Sud de la baie, soit plus de 4,000 hectares, à une compagnie de polders qui se proposait de transformer ces grèves en terres de labour.
En vain tous les habitants de la région protestèrent-ils contre cette concession qui menaçait de les ruiner en les privant de la pêche et des engrais provenant de la mer le gouvernement fit la sourde oreille.
D'immenses travaux commencèrent. Mais les flots, plus forts que la volonté impériale, enlevaient les digues au fur et à mesure que la société les élevait. Il fallut renoncer à colmater toute la partie Est de la baie. Les efforts de la compagnie se limitèrent à la partie Ouest. Et encore lui fallut-il non plus seulement l'appui, mais l'aide matérielle du gouvernement. Et c'est avec l'argent des contribuables qu'on poursuivit la ruine de la plus pure merveille naturelle de la France.
Bien mieux on appela à la rescousse l'administration des Ponts et Chaussées, et l'on décida la construction de la digue qui, en facilitant l'accès du Mont, devait entraver le libre jeu des marées et favoriser le colmatage de la baie.
La construction de cette digue, décidée en 1869, ne fut exécutée que dix ans plus tard. Depuis lors, les polders gagnent sans cesse sur la mer, et chaque jour qui s'écoule nous rapproche de l'époque où se dressera piteusement au milieu des prairies et des champs de pommes de terre.
Ce jour-là, ces messieurs des Ponts et Chaussées triompheront : ils auront fait les affaires d'une compagnie privée, mais ils auront ruiné toute une région. Les pêcheurs de la côte auront perdu leur gagne-pain ; les agriculteurs seront privés de la « tangue », engrais maritime d'une grande puissance fertilisatrice qui ne leur coûtait presque rien et leur assurait de belles récoltes. Quant aux habitants du Mont, ils perdront le bénéfice qu'ils tiraient des cent mille touristes et artistes qui, bon an mal an, vont visiter cette double merveille de l'art et de la nature...
Déjà, ceux qui ont vu le Mont-Saint-Michel avant la digue, au temps où les flots le battaient de toutes parts, éprouvent un désir fou de s'enfuir lorsqu'ils voient au pied des murailles fumer la cheminée d'une locomotive. Qui donc, je vous le demande, voudra aller contempler ce malheureux Mont lorsqu'il aura perdu la ceinture d'émeraude que la mer étend autour de ses remparts ? ...
Pour assurer au Mont-Saint-Michel sa conservation en tant qu'île, il suffirait pourtant de bien peu de chose.. Arrêter les travaux de colmatage et laisser faire la mer qui se chargera bien de détruire rapidement l'oeuvre lente et coupable des hommes. Quant à la digue, les défenseurs du Mont ne réclament même pas sa suppression. Ils demandent qu'au lieu de la conserver entièrement massive, telle qu'elle est aujourd'hui, on la fasse en partie dans la moitié ou même un tiers de sa longueur sur pilotis, de façon que le flot puisse librement circuler au lieu de venir se briser contre ses flancs de granit. Et si cela ne suffisait pas, il faudrait alors couper la partie la plus rapprochée du Mont et la remplacer par un pont roulant comme celui qui fait communiquer Saint-Malo et Saint-Servan.
Ces desiderata ne sont pas excessifs. Leur réalisation coûtera infiniment moins cher à l'État que ne lui ont coûté les travaux criminels qu'il a autorisés et accomplis lui-même pour la destruction du Mont.
Et, a ce propos, je ne saurais mieux faire que de reproduire l'éloquente objurgation de M. Marius Vachon, dont je citais plus haut l'excellent travail sur le Mont-Saint-Michel :
« Le gouvernement n'a pas le droit de laisser détruire un site et un monument qui sont un des joyaux de la parure artistique de la France ; il a au contraire, le devoir le moins imprescriptible de les préserver à tout prix de tout ce qui peut, non seulement les exposer à la ruine, mais leur porter la plus légère atteinte, leur faire perdre une parcelle de leur intérêt et de leur beauté.
» Pendant un demi-siècle, il a oublié ce devoir et s'est arrogé ce droit, donnant, dans le même temps, l'exemple inouï d'une contradiction stupéfiante d'actes et de décisions : d'un côté, il dépensait des millions à restaurer le Mont-Saint-Michel, et, de l'autre, il en dépensait plus encore à le ruiner par le colmatage de la baie.
» Depuis quelques années, par suite du développement du tourisme, par suite de la propagande incessante faite par des associations telles que le Touring-Club, l'Automobile-Club, la Société de protection des paysages français, les sociétés provinciales d'art public et d'archéologie, les idées de la défense des richesses artistiques et naturelles de notre pays contre le vandalisme public et privé ont fait d'immenses progrès. Ce qui, il y a un demi-siècle, restait ignoré, et il y a vingt-cinq ans, n'émouvait guère que des écrivains et des artistes, soulève actuellement l'indignation du pays tout entier.
» Le Mont-Saint-Michel est aujourd'hui, non plus, comme disaient nos aïeux, au péril de la mer, mais au péril...de la terre.
Il y a extrême urgence à le sauver.»

***

J'ai parlé longuement du Mont-Saint-Michel parce que sa conservation est en ce moment une question réellement nationale, mais en combien d'autres régions de France ne pourrions nous pas signaler, contre les sites et les paysages, des actes de vandalisme volontaire ou inconscient qui pour être moins retentissants, n'en sont ni moins déplorables ni moins criminels.
Les associations pour la protection des paysages sont de fondation relativement récente, mais elles ont déjà rendu de grands services et elles auront à faire longtemps encore une rude besogne. Le mercantilisme moderne ne respecte plus rien. L'industrie, si digne de respect et d'encouragement lorsqu'elle n'attente pas aux beautés naturelles qui sont le patrimoine de tous, ne se plie pas toujours, hélas ! à ce devoir. Enfin, l'État lui-même, qui devrait donner le bon exemple, est parfois parmi les plus effrénés destructeurs. L' administration des Ponts et Chaussées s'est signalée souvent par son acharnement à sacrifier des sites que leur beauté eût dû préserver.
Il y a une vingtaine d'années, un véritable vent de destruction souffla sur nos vieilles villes fortifiées du Nord. Arras, Douai, Cambrai, Valenciennes, Bouchain virent en même temps tomber leurs remparts. Les sociétés de protection des paysages n'existaient pas encore... Quel dommage !... Elles auraient eu là de quoi exercer leur influence et leur activité. On détruisit non seulement les fortifications de l'époque de Vauban qui, à défaut de valeur d'art, avaient au moins celle du pittoresque, mais encore maints vestiges de l'art militaire des siècles antérieurs. Et, dans l'une de ces villes, voici le fait qui se passa.. Un petit châtelet du temps de Charles - Quint subsistait, admirablement conservé. Vauban l'avait respecté quand il construisit ses remparts. Les érudits de la ville demandaient qu'on le gardât ; c'était aussi le voeu de la municipalité et de la population. On l'avait donc dégagé avec soin. Mais Monsieur l'Ingénieur des Ponts et Chaussées arriva et déclama qu'il fallait le jeter bas parce que le boulevard prévu dans ses plans écornait ledit châtelet de quelques centimètres. On lui fit observer qu'il pouvait bien détourner un peu son boulevard pour permettre la conservation de ce rare vestige des fortifications de la Renaissance. Il s'y refusa formellement et le châtelet fut anéanti.
Si les amis des monuments, des sites et des paysages eussent été unis en ce temps là comme ils le sont aujourd'hui, que de merveilles du temps passé n'eussent-ils pas sauvées !... L'union. fait la force, surtout quand il s'agit de lutter contre les intérêts puissants de certains industriels que n'arrêtent point des sentiments d'art et des scrupules de beauté, ou contre des administrations chez lesquelles le mépris de l'art est élevé à la hauteur d'une institution.
Les amis des monuments, des sites et des paysages sont maintenant unis et leur action généreuse se fait sentir chaque jour. Depuis moins de huit ans qu'elle existe, que de services la Société pour la protection des Paysages de France n'a-t-elle pas rendues ? Récemment encore elle s'élevait contre l'enlaidissement de la côte si sauvagement pittoresque de Ploumanach, que méditait l'administration des Ponts et Chaussées, et elle sauvait des griffes de quelques bâtisseurs sans vergogne l'admirable parc de la maison de Nagent-sur-Marne où mourut le grand peintre Watteau .
Le Comité des sites et monuments pittoresques du Touring-Club n'a pas moins de titres à la reconnaissance des artistes et des bons Français.
Il faut donc encourager ces associations qui veillent avec tant d'activité à la conservation de tout ce qui fait le charme et l'intérêt de nos villes et de nos campagnes. Les sociétés similaires qui fonctionnent en Suisse s'appellent « Ligues pour la Beauté » ou « Ligues pour la protection de la Patrie ». Ce sont là des titres que les nôtres méritent et devraient porter. Le sentiment de la patrie n'est pas seulement une idée, un principe, un symbole il vit en nous par la fierté que nous avons de la beauté et de la grandeur de notre pays.
Saluons donc ceux qui préservent de la ruine et du vandalisme nos merveilles naturelles et nos richesses d'art, et encourageons-les dans leur tâche. C'est une oeuvre profondément patriotique qu'ils accomplissent. ,
Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 7 Mars 1909