LA CATASTROPHE DE LONGJUMEAU
L'ENLÈVEMENT DES MORTS ET DES BLESSES
C'est par douze morts et une trentaine de blessés
que se chiffre le triste bilan de la collision qui s'est produite dans
la banlieue de Paris, près de Longjumeau, la jolie petite ville
qui, jusqu'ici, ne devait sa célébrité qu'au joyeux
souvenir de son postillon fameux.
Un train-tramway de la ligne Odéon-Arpajon, rempli de voyageurs
qui venaient de passer à la campagne un dimanche magnifique,
et brûlant, a été tamponné à l'arrière
par un train de marchandises suivant la même ligne et qui portait
vers les Halles parisiennes les fruits et les légumes des maraîchers.
Le choc fut terrible, et, dans l'horreur de la panique et des ténèbres,
on releva onze cadavres. Il fallait malheureusement compter, encore
une trentaine de blessés, dont l'un ne devait pas tarder à
succomber.
Ajoutons que les habitants de Longjumeau, sont accourus à la
nouvelle de la catastrophe et ont procédé au sauvetage
avec un admirable dévouement.
VARIÉTÉ
L'époque du tourisme. - La bicyclette
et l'auto. - voies romaines. - histoire de la route. - Louis XVIII et
le pavé du roi. - L'institution des cantonniers. - Décadence
et renaissance de la route. - L'auto dévastatrice. - Goudronnage
ou pavé ? . - Les plus belles routes du monde.
La route, en ce moment, vit d'une vie intense.
C'est l'époque du tourisme. D'un bout de la France à l'autre
bout, l'auto vertigineuse et l'agile bicyclette couvrent les Chemins.
La route leur doit, à toutes deux, sa renaissance. Après
des siècles d'activité, invention des chemins de fer l'avait
fait déserter : le tourisme lui a rendu l'existence, une existence
un peu fébrile, agitée, houleuse, mais pleine de pittoresque
et d'imprévu.
La toute aussi loin qu'on remonte dans l'histoire du monde, apparaît
comme l'indice et le véhiculé des civilisations. Les grands
empires d'Assyrie et de Chaldée, l'Egypte des Pharaons, l'Inde,
étaient sillonnés de routes nombreuses à la construction
et à l'entretien desquelles étaient employés les
prisonniers faits à la guerre.
Aucun peuple ne comprit mieux que les Romains l'importance de la route
dans l'organisation et l'administration d'un grand empire. De Rome partaient
sept grandes voies qui rayonnaient dans tous les sens, allaient jusqu'aux
confins des possessions romaines. L'une de ces grandes routes allait
jusqu'en Macédoine, une autre menait jusque dans la Gaule Belgique
et faisait communiquer directement Bagacum, la capitale, avec la Ville
Éternelle.
C étaient de merveilleux travaux d'art que ces routes romaines..si
merveilleux que les ingénieurs modernes n'ont jamais inventé
de procédé de construction plus parfait que celui qu'employaient
les conquérants de la Gaule. On en trouve encore en France de
nombreux vestiges fort bien conservés.
Ce sont des routes aux fondations solides composées d'un dallage
profond sur lequel s'étageait une triple assise de pierres supportant
un revêtement de dalles. La solidité d'un tel sol était
à toute épreuve. Ni la marche des innombrables légions
militaires, ni le sabot des chevaux, ni les roues des chars ne pouvaient
l'entamer, C'est à l'organisation de ce merveilleux réseau
de routes que Rome dut si longtemps le maintien de sa puissance guerrière.
Sans cesse, ces voies étaient parcourues par les courriers qui
portaient des ordres aux armées. Les Romains, devançant
de quinze siècles une initiative de Louis XI avaient même
inventé la poste et fractionné les routes en relais afin
de rendre aussi rapides que possibles les communications entre le pouvoir
centrale et les chefs militaires.
Mais ces routes, qui avaient servi à édifier la puissance
romaine, contribuèrent à la ruiner. C'est par elles que
se déversa sur la Gaule et sur l'Italie l'invasion des Barbares.
Dès lors l'admirable réseau des voies romaines était
condamné. Plus de réfection, plus d'entretien : l'herbe
poussa entre les dalles la route ne tarda pas à disparaître
sous la végétation.
Au temps des rois mérovingiens, la France n'avait même
plus ses chemins de terre battue que les Romains y avaient trouvés
lors de leur première invasion. C'était une terre en friche
à peine traversée çà et là par des
sentiers à travers champs pour les cavaliers.
Les gens du Moyen âge ne voyageaient guère qu'à
cheval. Les transports de matière lourdes se faisaient par les
rivières. C'est ainsi qu'ils méconnurent l'utilité
de la route.
Il faut aller jusqu'au règne de Louis XI pour voir renaître
la chaussée nettement dessinée comme au temps de l'occupation
romaine. La création de la poste a entraîné celles
des routes. Mais ces routes sont primitives : la moindre pluie d'orage
les transforme en fondrières. Les chariots s'y embourbent ; certaines
se perdent dans les champs ou sont coupées de marécages.
Même aux environs de Paris, ses routes n'existent guère.
Sous Louis XIII encore, le voyage de Paris à Versailles est une
dangereuse aventure.
***
Mais Colbert arrive. Il va créer se superbe réseau de
chaussées des environs de Paris dont nous pouvons contempler
aujourd'hui encore les imposants vestiges. Voici le pavé du roi..ce
pavé formidable, énorme et raboteux, bien fait pour nous
donner une haute idée de la résistance physique de nos
aïeux. Sur les routes garnies de ces cubes de granit, les carrosses
des belles dames et des beaux seigneurs de la cour roulaient à
bride abattue, et je vous laisse à penser dans quel état
de fatigue les voyageurs secoués dans ces voitures mal suspendues,
devaient arriver à destination.
Le pavé du roi fut établi tout autour de Paris dans une
moyenne de huit à dix lieues à la ronde. Colbert en fit
garnir aussi les grandes routes de la Champagne et du Soissonnais.
Les voies de communication ainsi construites étaient solides,
mais tellement rudes qu'on ne pouvait s'y permettre une vitesse de plus
d'une lieue et demie à l'heure sans courir le risque d'y mettre
en pièces les voitures les plus résistantes et d'être
secoué soi-même de la plus pénible façon.
Jusqu'au jour où le chemin de fer vint remplacer les moyens de
transport sur route, le pavé du roi fit, le désespoir
de tous !es Parisiens qui aimaient à villégiaturer aux
environs. Un seul homme se plut lui à se faire cahoter sur ces
terribles chaussées : le roi Louis XVIII. Chacun sait que sait
que ce monarque obèse et goutteux avait le plus bel appétit
du monde. Il mangeait comme un ogre et ne dépensait pas.«
De l'exercice ! de l'exercice. ! » lui répétaient
ses médecins. Mais comment prendre de l'exercice avec un ventre
énorme et des jambes atteintes d'éléphantiasis
?... Louis XVIII avait trouvé la solution. Il montait chaque
jour dans une calèche dont il avait fait enlever les ressorts
de derrière et se faisait véhiculer au grand trot de ses
meilleurs chevaux sur son pavé - le pavé du roi. La promenade
durait deux heures. Quand le monarque en revenait, il avait pris, et
au delà, l'exercice recommandé par la faculté.
L'un des hommes qui firent le plus pour la route en France, ce fut -
qui le croirait ? Law, le trop fameux financier de la Régence.
Le premier, il voulut que les grandes routes, celles que nous appelons
aujourd'hui les routes nationales, eussent une largeur uniforme. Il
avait fixé cette largeur à 60 pieds, et fait entreprendre
partout de grands travaux pour cette unification des grandes chaussées
de France. La banque du. Mississipi fournissait en partie les fonds
nécessaires. Mais la banque du Mississipi fit faillite ; ce fut
le plus beau krach des temps passés. Et les chaussées
rêvées par l'aventureux banquier demeurèrent inachevées.
L'ingénieur Perronnet reprit, sous Louis XV, l'oeuvre interrompue.
Les grandes routes furent terminées et garnies de ces énormes
pavés pareils à ceux dont Colbert avait couvert les grandes
voies des environs de Paris.
Un peu plus tard, un autre ingénieur, Trésaguet, inventa
pour la construction des routes, un système qui les rendit infiniment
plus résistantes que pare le passé. Jusqu'alors, on faisait
la fondation de la même façon que la faisaient les Romains,
avec des dalles plates. Ces dalles, n'étant pas reliées
les unes aux autres, avaient l'inconvénient de se déplacer.
Trésaguet, au lieu de mettre ces dalles à plat, les posa
de champ, fortement assujetties les unes contre les autres, et versa
sur ce champ deux couches de cailloux battus à la masse qui,
pénétrant dans les moindres vides laissés entre
les dalles, donnèrent à la route une résistance
inconnue jusque là.
C'est grâce à cette amélioration apportée
dans la construction des chaussées, qu'on put bientôt améliorer
également les services de transports et qu'on vit naître
successivement la chaise de poste pour les parcours rapides et la diligence
pour les longs voyages en commun. A la fin du XVIIIe siècle,
la chaise de poste faisait jusqu'à douze kilomètres à
l'heure, et la diligence ne mettait, pour aller de Paris à Lyon,
que cinq jours en été et six jours en hiver. C'étaient
là des progrès qu'on devait au bon état des routes
ainsi améliorées par l'invention de Trésaguet.
Cet ingénieur, que Louis XVI avait nommé inspecteur général
des ponts et chaussées de France, a encore à son actif
une création des plus utiles à laquelle personne n'avait
songé avant lui. Jusqu'alors, on faisait des routes, mais on
ne se souciait guère de leur entretien. On comptait pour cela
,sur la « corvée ». Or, la corvée, cette prestation
d'autrefois, ne s'effectuait pas partout de la même façon.
L'entretien des routes souffrait de cette irrégularité.
Trésaguet, pour y remédier, créa le cantonnier.
Le système dont cet ingénieur était l'inventeur
demeura en faveur jusqu'en 1830. A cette époque fut introduit
en France le mode d'empierrement et de cylindrage des chaussées
connu sous le nom de macadam, et dont l'inventeur, l'Ecossais Mac-Adam,
était alors inspecteur général des routes du Royaume-Uni.
Inutile d'insister sur se procédé qui, depuis lors, est
employé sur toutes les routes de France et qui satisfit aux besoins
de tous jusqu'au jour où apparut l'automobile.
***
Pendant un demi-siècle, d'ailleurs - le demi-siècle durant
lequel le triomphe de la voie de fer ne laissa de place à aucun
autre moyen de transport - la route fut à peu près abandonnée
par le tourisme. La disparition des diligences, des chaises de poste,
des berlines de voyage l'avaient laissée silencieuse et presque
déserte. Fini le bruit joyeux des sonnailles, des claquements
de fouet, des cris des postillons. Sauf aux environs des villes où
le passage des lourds charrois avait fait conserver le gros pavé
de granit, la route n'était plus guère fréquentée
que par les carrioles villageoises. Les vieilles hôtelleries où
jadis se tenaient les relais de la poste, l'Ecu de France et
le Cheval blanc, le Coq hardi, et le Lion d'or
avaient fermé leurs portes faute de voyageurs. La route
était à peu près abandonnée.
Et puis, un beau jour, elle commença à s'éveiller
de son long sommeil. La bicyclette apparut, glissant, silencieuse et
rapide, sur le macadam, un vrai chemin fait pour elle. Mais bientôt
surgit un autre véhicule soufflant, cornant, ronflant, soulevant
sur son passage des flots de poussière, pulvérisant le
sol sous le double effort de sa vitesse et de son poids.
La route allait renaître grâce à l'automobile, mais
se nouveau mode de transport ne lui rendait la vie que pour mieux la
détruire. Nul n'ignore en effet, que le plus sollide macadam
ne résiste pas longtemps au passage des autos.
Le jet d'air engendré par la vitesse pulvérise le sol,
arrache la route morceau par morceau, parcelle par parcelle désagrège
la chaussée et la transforme bientôt en un océan
de poussière dont les tourbillons soulevés au passage
des voitures vont s'abattre de tous côtés, gâtant
les récoltes, salissant les maisons, aveuglant les passants.
De sorte que des deux genres de chaussées que nous avons en France,
l'un, le gros pavé, ne convient: pas aux automobiles dont la
carrosserie et le moteur ne résistent pas aux cahots ; l'autre,
le macadam, n'offre pas assez de résistance et se dégrade
en rien de temps.
Que faire ?... En imaginer un troisième qui convienne à
la locomotion nouvelle et ne soit pas détruit par elle... C'est
à quoi pensent nos ingénieurs. On a, l'an dernier, réuni
un congrès dont les membres venus de tous les points de la terre
-, il y avait même des congressistes de Pense, pays où
la route est chose à peu près inconnue- ont longuement
et copieusement palabré. Deux systèmes, depuis lors, sont
en présence, deux systèmes qui se partagent les sympathies
des spécialistes : d'une part, le macadam rendu plus compact,
plus aggloméré, mieux amalgamé et, par conséquent,
plus résistant, au moyen du goudronnage; de l'autre, le pavé
non le pavé bombé, l'énorme et raboteux pavé
du roi, mais un petit pavé plat en granit posé en éventail
sur un fond de béton. L'automobile - puisque fatalement, la solution
du problème est subordonnée aux convenances de la locomotion
nouvelle- l'automobile paraît devoir s'arranger également
de l'un et l'autre systèmes.
Or, le goudronnage est peu solide, mais aussi peu coûteux ; le
pavé, au contraire, est très résistant, mais coûte
fort cher. Lequel est préférable ?... On fait des essais,
on discute, on ne prend pas de décisions. Et pendant ce temps,
nos belles routes se désagrègent, se détériorent
et nous risquons de perdre là encore notre supériorité
sur les autres pays du monde.
***
Car chacun sait que les plus belles routes, de tout temps, furent en
France. Aucun peuple n'a dépensé autant que nous pour
l'établissement et l'entretien de ses voies de communication.
La France possède près d`un kilomètre de route
par kilomètre carré de superficie, exactement 930 mètres.
La, Belgique n'en a que 830 mètres. l'Angleterre, 660, l'Allemagne
54, la Suisse 320. Nous avons à l'heure actuelle en France plus
de 550.000 kilomètres de routes qui représentent une dépense
de plus de 4 milliards. C'est là un capital qu'on ne doit pas
laisser péricliter. Qu'on y veille !.. Les pays voisins font
de grands sacrifices pour améliorer leurs voies de communication.
Les routes anglaises notamment sont fort. bien entretenues. L'Allemagne
plante ses routes nouvelles d'arbres fruitiers, se que leur donne un
charme de plus. On a construit dans le Nord de l'Italie des voies excellentes.
Jusqu'ici, il est vrai, aucun pays ne possède des routes aussi
nombreuses. et aussi bonnes que les nôtres. Mais, de toutes parts
on fait des efforts pour nous dépasser ; et ce serait désastreux,
en vérité, pour notre rôle dans l'histoire de la
civilisation moderne si l'on pouvait dire quelque jour que la France
ne possède plus les plus belles routes de l'univers.
Ernest LAUT