LA FRANCE PROTÈGE LE DRAPEAU NATIONAL CONTRE L'ANTIPATRIOTISME


On sait quelle indignation a jailli de tous les coeurs à la nouvelle que le drapeau d'un de nos régiments avait été souillé. L'amour du drapeau qui anime tous les bons Français, s'est manifesté à cette occasion avec un élan passionné. C'est ce sentiment que nous avons voulu symboliser dans notre gravure, où l'on voit la France émue et grave tenant haut et ferme le drapeau dont la vipère hervéiste essaie en vain de mordre la hampe.
Nous avons voulu, en outre, consacrer notre « Variété » à l'histoire du drapeau et publier quelques-unes des plus belles pièces de la littérature, en vers et en prose, inspirées par les couleurs nationales.
Nos lecteurs jugeront à coup sûr que c'est là la meilleure réplique à faire aux attaques d'une poignée d'anarchistes et de fous.

 

VARIÉTÉ

Pour la défense et l'amour du Drapeau

Réponse à un acte abominable et à d'odieuses paroles. - Histoire du symbole de la patrie. - Le drapeau inspirateur d'héroïsme.- Cent vingt blessures. - Un trait de générosité. - Comment on inculque à la jeunesse l'amour du drapeau. - Une campagne infâme.

Fanatisé sans doute par les exhortations des sans-patrie, un misérable, ayant volé dans une caserne le drapeau d'un de nos régiments, a commis cet acte abominable et stupide de jeter aux latrines le symbole de la France. Crime anonyme dont la lâcheté a soulevé l'indignation du pays tout entier.
Mais, ce qui est pis, c'est que, quelques jours plus tard, il s'est trouvé deux hommes de nationalité française pour exalter, dans une réunion publique, cette action révoltante et pour déclarer, le premier : « Je suis ravi qu'on ait fait subir au drapeau français les derniers outrages » ; et le second : « Il faut souiller la patrie comme on a souillé le drapeau du 334e ».
A cet acte criminel, à ces paroles infâmes, il n'est qu'une réponse à faire : c'est de rappeler les hauts faits d'héroïsme inspirés aux Français d'autrefois et de naguère par le culte de la patrie et l'amour du drapeau.
Mais le seul récit de ces hauts faits emplirait un volume. Tâchons, du moins, de résumer ici les plus caractéristiques et les plus glorieux.

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Qu'est-ce que le drapeau ?... C'est le vivant symbole de la patrie. Le général Aubert disait :
« Le drapeau, c'est le clocher du village, il abrite le régiment ; on vit sous son ombre et sous son ombre on meurt. Dans ses plis glorieux, il renferme l'honneur de la France. Il est le point lumineux où se rencontrent tous les regards. Loin de la famille et de la patrie, il rappelle la famille et la patrie ; il est la relique, il est l'arbre généalogique du régiment. »
Et il ajoutait :
« Pour ces hommes, si divers, qui composent une armée, hommes venus de pays lointains, parlant vingt langues différentes, professant plusieurs religions, appartenant à des races tranchées, les uns doctes,
les autres ignorants, il est un symbole qui les réunit en un seul faisceau, qui parle à leurs coeurs une langue universelle, c'est le drapeau !... »
C'est pourquoi le drapeau existait avant même que se fît jour chez les peuples le sentiment de la patrie. L'origine de ce symbole national se perd dans la nuit des temps ; et, à toutes les époques, le drapeau a suscité les mêmes enthousiasmes et les mêmes dévouements.
Le mot relativement moderne, nous vient d'Italie. Il fut, paraît-il, rapporté en France par les soldats de Charles VIII. Mais la chose est fort ancienne. Tous les peuples avaient, lorsqu'ils partaient en guerre, leurs enseignes fixées au bout de hampes, afin qu'elles fussent vues et suivies par la foulé des guerriers. Le plus souvent cette enseigne était la représentation de quelque animal symbolique. Les Israélites avaient le lion ; les Égyptiens, l'ichneumon ; les Chaldéens, la colombe ; les Athéniens, la chouette ; les Romains, l'aigle ou la louve ; les Gaulois, le sanglier.
Autour de ces figures sculptées, ou brodées sur des étoffes, les combattants se ralliaient sur le champ de bataille. C'étaient là des équivalents de notre drapeau d'aujourd'hui.
Quelle merveilleuse histoire serait celle de ce symbole national de la France, depuis la chape de Saint-Martin qui menait au combat les soldats de Clovis jusqu'à nos trois couleurs !
Gonfalons du temps de Charlemagne, bannières de Saint-Louis, oriflammes des Valois, cornettes blanches de Henri IV, drapeaux fleurdelisés, étendards aux angles tricolores des demi-brigades, aigles du premier Empire, drapeaux d'à présent aux trois couleurs égales, furent tour à tour, pour nos soldats de France, l'emblème sacré que l'on défend jusqu'à la mort.
Sauver le drapeau, l'empêcher de tomber dans les mains ennemies, tel doit être le but suprême du soldat dans la bataille.
Et combien de Français se couvrirent de gloire, combien firent héroïquement le sacrifice de leur vie pour remplir ce but sacré !
A Mons-en-Puelle, le vaillant chevalier Auseau de Chevreuse est trouvé mort tenant encore l'oriflamme dans ses bras.
A Hoclhstedt, le régiment de Navarre, forcé de capituler, détruit ses drapeaux plutôt que de les livrer à l'ennemi.
A Rivoli, le sergent Bernard, du 14e de ligne, voyant le drapeau de sa demi-brigade enlevé par les Autrichiens, se précipite, leur reprend le trophée et tombe frappé de vingt blessures en criant à ses camarades : « Mes amis, sauvez le drapeau et je meurs content.''
Les mêmes sentiments patriotiques animent nos soldats et nos marins. Le 1er juin 1794, le Vengeur sombre glorieusement. Avant qu'il disparaisse dans les flots, les
matelots ont grimpé à la pointe des mâts et cloué le pavillon tricolore pour empêcher les ennemis de s'en emparer. C'est le dernier acte de leur héroïque résistance que Lebrun a retracé dans une ode vibrante :
Voyez ce drapeau tricolore
Qu'élève en périssant leur courage indompté:
Sur le flot qui le couvre, entendez- vous encore
Ce cri : «Vive la Liberté !»

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Napoléon savait entretenir dans les régiments le culte du drapeau. Ses soldats avaient pour leurs aigles un attachement passionné. On vit des régiments qui avaient perdu leur étendard se faire hacher dans un héroïque désespoir.
Tel le 4° de ligne. Ce régiment, à Austerlitz s'était laissé enlever son aigle. Les soldats, fanatisés par cette perte, avaient accompli des prodiges de valeur et avaient pris six drapeaux à l'ennemi. Cependant, l'empereur passant le lendemain devant le front du régiment, s'écria :
- Soldats, qu'avez-vous fait de l'aigle que je vous avais donnée ?...
Le colonel, sans répondre, s'approcha et lui présenta les six drapeaux pris aux Russes et aux Autrichiens.
- Je sais bien, reprit Napoléon, que vous n'avez par été des lâches, mais vous avez pu être imprudents ; ces six drapeaux ne me rendent pas mon aigle.
A la bataille suivante, le régiment se faisait décimer pour conquérir un nouveau drapeau.
M. Désiré Lacroix qui, dans son « Histoire anecdotique du drapeau français » a rapporté ce trait, reproduit également un passage du vingt-cinquième bulletin de la Grande-Armée dans lequel l'empereur dépeint la joie éprouvée par un autre régiment, le 76° de ligne, retrouvant à Inspruck deux drapeaux qu'il avait perdus au cours d'une campagne précédente.
« Les deux drapeaux que le 76e de ligne avait perdus dans les Grisons, ce qui était pour ce corps le motif d'une affliction profonde, ces drapeaux, sujets d'un si noble regret se sont trouvés dans l'arsenal d'Inspruck : un officier les a reconnus ; tous les soldats sont accourus aussitôt. Lorsque le maréchal Ney les leur a fait rendre avec solennité, des larmes coulaient des yeux de tous les vieux soldats. Les jeunes conscrits étaient fiers d'avoir servi à reprendre ces insignes enlevés à leurs aînés par les vicissitudes, de la guerre...»
Et l'empereur conclut :
« Le soldat français a pour ses drapeaux un sentiment qui tient de la tendresse ; ils sont l'objet de son culte, comme un présent reçu des mains d'une mère. »
Et c'est là ce qui explique tant de traits d'héroïsme, tant de sacrifices accomplis pour sauver le drapeau en péril. En pareil cas, il n'est point de dangers qui comptent pour un soldat français.
Rappelez-vous, dans le récit de la bataille de Solférino, l'histoire du drapeau du 91e de ligne. Ce régiment occupait un plateau après en avoir délogé une batterie ennemie. Le sous-lieutenant Groiseul venait de planter le drapeau au sommet du mamelon quand des réserves autrichiennes opérèrent tout à coup un retour offensif. L'officier porte-drapeau, atteint par une balle, tombe grièvement blessé. Un de ses camarades, le sous-lieutenant Follet, ramasse le drapeau dont la mitraille à brisé la hampe ; mais lui-même est frappé à mort. Alors, le sergent Bourraqui prend le drapeau des mains du mourant : il est blessé à son tour. Mais les débris du régiment parviennent à se rassembler ; une lutte corps à corps s'engage ; l'ennemi est repoussé : le 91e a sauvé son drapeau.
Notre histoire militaire abonde en épisodes de ce genre. Que de fois l'héroïsme des régiments s'inscrivit en traces glorieuses sur les drapeaux !... Citons un seul exemple, celui du drapeau de Mazagran.
Aucun Français n'a oublié la défense fameuse que cent vingt-trois soldats de la 10e compagnie du 1er bataillon d'infanterie légère d'Afrique opposèrent, en 1840, à plus de 8.000 Arabes dans ce petit village de Mazagran. Cette poignée de héros, sous les ordres, du capitaine Lelièvre, tint pendant cinq jours et quatre nuits contre les attaques sans cesse renouvelées de l'ennemi. Le drapeau arboré sur le fortin où ces héros s'étaient réfugiés fut à plusieurs reprises abattu par les projectiles des assaillants. Chaque fois il fut relevé, et jusqu'au bout il flotta sur la redoute. Enfin, la garnison de Mostaganem vint délivrer les assiégés.
On compta alors les blessures du glorieux étendard. Elles étaient au nombre de cent vingt-sept. Le drapeau de Mazagran avait reçu cent vingt balles et quatre boulets ; sa hampe avait été brisée trois fois.
En 1870, enfin, on sait comment plusieurs de nos généraux de l'armée de Sedan se refusèrent à livrer leurs drapeaux à l'ennemi et préférèrent les brûler que de les voir tomber entre les mains des Prussiens.
La gravure a popularisé le fait. Tout le monde se rappelle l'impressionnant tableau dans lequel le général de Lapasset est représenté assistant sombre et tragique à la destruction des drapeaux de sa brigade.
Les drapeaux de la division du général de Laveaucoupet furent également brûlés.
D'autres, notamment ceux du 1er grenadiers et des zouaves, furent détachés de la
hampe, découpés, et les officiers et les soldats s'en partagèrent les morceaux qu'ils gardèrent pieusement, comme les reliques de la patrie vaincue.
Et les hommes pleuraient en recevant ces lambeaux du drapeau sous lequel ils avaient si vaillamment combattu.
L'amour du drapeau, c'est un sentiment profondément ancré au cœur de tous les peuples qui ont une fierté nationale et des traditions. Et c'est un sentiment qui, non seulement crée l'héroïsme, mais aussi la générosité. Qu'on en juge par cet épisode peu connu de la bataille de Waterloo.
C'était à l'attaque de la ferme d'Hougoumont, au début de la lutte de géants qui se déroula le 18 juin 1815 dans les plaines de Waterloo : une rafale de mitraille abat le porte-aigle du 10° léger avec la garde du drapeau. Le régiment est forcé de battre en retraite. Mais, la fumée dissipée, le colonel Cubières, qui commande le 10° léger, voit le drapeau de son régiment gisant à terre auprès de l'officier mort. Or, une colonne anglaise s'avance : le drapeau va être pris par l'ennemi. Le colonel n'hésite pas. Il s'élance seul pour reprendre son aigle et l'officier anglais, qui commande la colonne ennemie, témoin de cet acte d'héroïsme, fait aussitôt cesser le feu pour permettre au colonel Cubières d'aller ramasser son aigle.
N'est-ce pas admirable, au milieu d'une bataille, ce trait de vaillance d'une part, ce trait de générosité de l'autre, tous deux inspirés par l'amour et le respect du drapeau ?

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Cet amour et ce respect, c'est là ce qu'il faudrait inculquer dès l'enfance aux citoyens.
En maints pays, le drapeau national est arboré dans les écoles au-dessus de la chaire du maître. C'est sous son égide qu'on élève et qu'on éduque les générations.
Aux Etats-Unis, dans les classes, on chante chaque jour des chants patriotiques. Une loi de l'État de New-York exige que le drapeau flotte durant les heures d'étude à l'intérieur et à l'extérieur des bâtiments scolaires. Chaque matin, on adresse un salut au drapeau, et tous les enfants répètent devant lui une formule de fidélité. Les autorités américaines assurent que ces cérémonies impressionnent même les enfants de nationalité étrangère, qui deviennent bientôt aussi fiers de l'Amérique et de sa liberté que ceux qui sont nés en Amérique.
En Angleterre, la glorification du drapeau national est aussi un thème fréquemment développé dans les écoles. Et cet enseignement n'est point perdu, si l'on en juge par ce trait de courage et d'abnégation qu'accomplirent de jeunes soldats anglais et dont la presse fit dernièrement le récit :
Un violent incendie venait d'éclater à la caserne du 4° bataillon de fusiliers royaux, à Mullingar, et déjà le mess des officiers
était en flammes. Plusieurs hommes s'élancèrent pour sauver le drapeau du bataillon, qui y était déposé. Ils furent tous cruellement brûlés, et l'un d'eux, nommé Inglefield, reçut de telles blessures qu'il ne tarda à mourir. Mais le drapeau avait pu être retiré des flammes.
Quant à l'Allemagne, on sait de quelle solennité elle entoure le serment de fidélité prêté par les recrues au drapeau.
Ainsi, tandis qu'à travers les siècles et chez tous les peuples, le respect du drapeau demeurait la vertu primordiale, il s'est trouvé chez nous, en ces dernières années - et rien que chez nous, hélas ! - des hommes pour oser insulter à ce sentiment et cracher le mépris sur cet emblème sacré...
Alors qu'au passage du drapeau dans nos villes et nos villages, tous, d'un mouvement spontané, se découvrent, on vit. un jour, au scandale général, un représentant du peuple rester obstinément couvert ; alors que tous ceux qui ont au coeur l'amour du sol natal ne parlent du drapeau qu'avec enthousiasme et vénération, on a entendu un homme, qui fut un éducateur de la jeunesse, M. Hervé, déclarer que l'on devrait « planter le drapeau français dans le fumier ».
Et, depuis lors, cet homme continue librement sa campagne abominable d'injures contre le symbole national, d'outrages contre la patrie.
Cette campagne n'a entraîné, il est vrai, qu'une infinie minorité d'anarchistes. De tels actes et de telles paroles que la démence et la haine seules peuvent inspirer, ne sauraient trouver d'écho dans un pays de saine raison.
L'amour de la patrie demeure en France assez puissant pour garantir l'attachement au drapeau. Nous ne sommes point assez oublieux de notre passé pour renier ce symbole qui flotta tour à tour sur nos splendeur et sur nos ruines; et pour ne point nous souvenir que, suivant un mot célèbre, « le drapeau de la France a fait le tour du monde avec nos gloires et nos libertés ».
Ernest Laut.

Le Petit Journal illustré du 3 Octobre 1909