EXÉCUTION D'UN INSURGÉ DE BARCELONE DANS LES FOSSÉS DE LA PRISON DE MONJUICH


La répression des troubles de Barcelone se poursuit en Espagne. Les insurgés arrêtés pendant les journées de l'insurrection sont jugés par les conseils de guerre. Plus de quatre cents prisonniers étaient enfermés à la prison de Monjuich. Un certain nombre d'entre eux ont été remis en liberté, leur culpabilité n'ayant pas été établie. D'autres, condamnés pour rébellion et profanation de cadavres dans les couvents de la ville, ont été fusillés dans les fossés de la prison.
C'est le tableau d'une de ces exécutions tragiques que reproduit notre gravure.

VARIÉTÉ

SOYONS PROPRES

L'hygiène à l'école. - La propreté de nos ancêtres. - Les gens du moyen âge se lavaient, quoi qu'on en ait dit.- Les étuves. - Combien coûtait un bain au XIIIe siècle. - Comment se perdit l'habitude de se baigner. - La sous-préfecture où l'on ne prend pas de bains. - Mens sana in corpore sano.

Nos collégiens ont regagné leurs collèges. Dans combien de ces établissements trouveront-ils l'hygiène, les soins de propreté si nécessaires à la santé ?... Je n'ose répondre à la question ; mais, si j'en crois tous ceux que j'ai eu l'occasion d'interroger là-dessus pendant les vacances, je crois pouvoir avancer que les maisons d'éducation où l'on a le vrai souci de la propreté sont encore en minorité chez nous.
Pour quelques lycées modernes, bâtis suivant les préceptes de l'hygiène, combien de vieux « bahuts » incommodes, sombres, poussiéreux, où il n'y a ni piscine de natation, ni salles de douches, où il n'y a pas même de baignoires.
Jusqu'en ces dernières années, l'Université a témoigné sur ce point de la plus parfaite indifférence. Il fallut que se dessinât nettement le goût en faveur de l'éducation anglo-saxonne, pour qu'elle se décidât à rompre avec cette inertie. Les grands lycées de Paris ont aujourd'hui les installations nécessaires à la propreté des élèves, mais cette petite révolution dans les moeurs universitaires ne s'accomplit pas sans peine. Plus d'un proviseur pourrait conter là-dessus des choses fort typiques. On y verrait une fois de plus la lutte de l'esprit moderne contre la routine administrative.
Chaque fois qu'un directeur de collège réclamait une installation de bains-douches, on lui faisait la même objection :
- A quoi bon ?... Il y a des lavabos, n'est ce pas ?
- Oui, mais pour se laver la figure... Et encore !... Mais le reste ?...
- Le reste, répliquait l'administration, ça regarde les familles. Si elles veulent que leurs enfants prennent des bains, elles n'ont qu'à leur en faire prendre les jours de sortie. Ça n'est pas notre affaire.
C'est ainsi que, par la faute de l'administration. l'éducation de la propreté fut si longtemps négligée dans nos grandes écoles, et demeure encore parfaitement ignorée dans des petites.

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Il faut bien nous l'avouer à nous-mêmes : nous fûmes longtemps un peuple malpropre, et nous ne sommes pas encore un peuple propre.
Pourtant, les Français d'autrefois - je parle de ceux du moyen âge - avaient, en matière d'hygiène, d'excellentes habitudes que leurs descendants auraient bien dû perpétuer et qu'ils eurent le grand tort de laisser peu à peu s'affaiblir et se perdre. Ils se lavaient quoi qu'on en ait dit et même ils se lavaient souvent.
On a été injuste pour ces Français d'avant le XVIe siècle. Beaucoup d'historiens ont prétendu qu'ils étaient sales. Cela est faux de tous points. Les recherches modernes ont démontré que les gens du moyen âge eurent au contraire beaucoup de soin de leur corps.
Dans son livre si intéressant et si document sur la Vie aux Bains, qui constitue la seconde série de ses études sur les « Moeurs intimes du passé », le docteur Cabanès en apporte maintes preuves.
Nous y voyons que les monastères avaient tous des salles de bains. En 803 le concile d'Aix-la-Chapelle décrète qu'il sera fait d'amples provisions de baignoires pour les couvents et que les religieux y laveront leur corps en particulier, se rendant les uns aux autres les soins nécessaires. Le bain était donc une obligation imposée par la règle des monastères.
Dans la seconde partie du moyen âge, les bains froids et chauds sont tellement entrés dans les habitudes de toutes les classes, que les établissements balnéaires sont soumis à des droits seigneuriaux, à l'instar des moulins, des forges, des débits de boissons. Dans les franchises des villes on spécifie le privilège de tenir des bains, et sur ceux-ci l'on impose des redevances héréditaires.
Nobles et bourgeois se baignent régulièrement. La plupart prenaient leur bain quotidien. Les chambres souterraines des donjons servaient de salles-de-bains. Les baignoires, il est vrai, étaient sans luxe ce n'étaient que des baquets fabriqués en merrain par les tonneliers. Mais si la baignoire était grossière, le bain était souvent assez raffiné : on l'aromatisait avec toutes sortes d'herbes et de parfums.
« On se baignait à toute occasion, dit le docteur Cabanès, et souvent pour le seul, plaisir : le matin, au lever ; au cours d'une maladie comme remède ; après un long et pénible voyage. Parfois, il prenait fantaisie à un seigneur de se plonger dans la cuve après son repas ; pratique peu hygiénique et dont celui qui s'y livrait ne paraît cependant pas avoir été souvent incommodé.
« Dans les châteaux, il y avait presque toujours la chambre des bains ; l'étuve qui contenait une piscine de pierre, qu'on remplissait d'eau tiède, et dans laquelle plusieurs personnes pouvaient se baigner ensemble : il existe encore, dans quelques villes du Nord de l'Angleterre des piscines construites de cette façon. »
La preuve de l'usage courant des bains au moyen âge, c'est la mention qui en est faite à chaque instant dans les romans et les contes de cette époque.
Dans le conte de la Borgoise d'Orléans, nous voyons une bonne femme qui, soignant son. mari qui a été battu, lui prépare un bain aromatisé :

De bonnes herbes lui fist baing....
Le Roman de Gérart de Nevers ou de la Violette, du commencement du XIIIe siècle, nous montre une élégante du temps, la belle Euriante, ne laissant pas passer une semaine sans prendre un bain. Et dans le Dict de la contenance des fames, on lit ces vers :

Or est lavée, or est peigniée,
Or est coifée, or est tréciée
Et moult le tendroit à desdain
S' elle n'avoit souvent le bain.
Enfin, Eustache Deschamps, énumérant ce qu'il faut aux nouveaux mariés pour monter une maison, cite entre autres objets « chaudière, baignoire et cuviaux » comme choses essentielles.
Voilà donc la preuve qu'on avait, dès cette époque des baignoires chez soi.

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Peut-être m'observerez-vous que ces soins de toilette devaient être réservés aux gens aisés, aux nobles et aux bourgeois. Mais le peuple ?...
Eh bien le peuple avait, lui aussi, toutes facilités pour soigner son corps. Toutes les villes de quelque importance avaient des étuves - ainsi appelait-on les établissements de bains. A Paris tous les quartiers en étaient pourvus. Il y avait des étuves pour hommes et des étuves pour femmes.
Sous le règne de Saint Louis, il existait à Paris un nombre assez grand d'étuves publiques, pour qu'on ait réuni en corps de métier ceux qui, sous le nom d'étuveurs ou d'étuviers exploitaient ces établissements. En 1292, on comptait dans la capitale vingt-cinq étuveurs et une étuveresse.
Tous les matins, ces étuveurs faisaient annoncer par la ville l'ouverture de leurs étuves, et leurs crieurs s'en allaient clamant par les rues :

Seignor, qu'or vous allez baingnier
Et estuver sans délaier (sans délai)
Li bains sont chaut, c'est sans mentir.
Certains indiquaient dans leur cri l'établissement qui devait avoir les préférences du baigneur :

C'est à l'image Saint James
Où vont les femmes se baigner ;
Baigneux, aux étuves allez,
Vous y serez bien servis
De valets et chambrières ;
De la dame bonne chère ;
Allez, tous les bains sont prêts.
Et les « baigneux », éveillés par le refrain des étuveurs, s'empressaient d'aller au saut du lit dégourdir leur corps à la maison des bains.
Mais, me direz-vous, le prix de ces bains était-il à la portée de toutes les bourses ? Vous allez voir qu'il fallait être bien pauvre pour ne pas pouvoir se payer de temps à autre une visite aux étuves.
D'après les statuts d'Etienne Boileau, prévôt des marchands, ceux qui « s'étuvaient » seulement, c'est-à-dire qui se contentaient du bain de vapeur, devaient payer deux deniers parisis, soit un peu moins de vingt centimes de notre monnaie. - Vous voyez que le moyen âge a connu avant nous les bains à quatre sous. - S'ils se baignaient après s'être étuvés, ils devaient payer quatre deniers qui équivaudraient actuellement à 39 centimes.
Pour moins de huit sous on avait bain de vapeur et bain d'eau chaude. Avouez que ce n'était pas trop cher.
Aussi, dès le XIVe siècle, constate-t-on chez le peuple des habitudes de propreté, et une véritable recherche dans les soins de toilette. Dans toutes les villes d'une certaine importance l'usage des bains est fort répandu. Il y a même de simples hameaux qui ont leurs étuves. En outre, chaque habitation un peu aisée est pourvue de sa cuve à baigner.
Un grand nombre de nos vieilles cités ont encore une rue qui s'appelle rue des Etuves. C'est là que se trouvaient, jadis, les établissements de bains.
Malheureusement, les étuves ne se contentèrent pas de remplir une fonction purement hygiénique. Peu à peu, elles devinrent des lieux de récréation trop bruyante. Après le bain, les clients prirent l'habitude d'y boire et d'y manger, de se réconforter en vidant à petits coups des hanaps remplis d'un vin épicé. Bientôt ces établissements se transformèrent en salles de festins. Alors, suivant l'expression d'une contemporaine, « on oyoit crier, hutiner, saulter tellement qu'on estoit . étonné que les voisins le souffrissent, la justice le dissimulât et la terre le supportât. »
Il y eut des orgies, des rixes, des meurtres. Si bien que les étuves furent, ou bien fermées par l'autorité, ou bien désertées par leur clientèle. Et c'est ainsi que dès le début du XVIe siècle l'usage des bains publics commença à se perdre en France.

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Dès lors, nous entrons dans la période où la négligence, quant aux soins du corps, va aller s'affirmant sans cesse, pour aboutir à l'abominable saleté qui règna en France jusque dans les classes les plus élevées, au temps du Grand Roi.
Montaigne, au milieu du XVIe siècle, constate et déplore que les bonnes habitudes de propreté d'autrefois soient déjà perdues.
« J'estime, on général, écrit-il, le baigner salubre et croy que nous encourons nos légères incommodités en notre santé pour avoir perdu cette coutume qui estoit généralement observée au temps passé, quasi en toutes les nations, et est encore en plusieurs de se laver le corps tous les jours ; et je ne peux pas imaginer que nous ne vallions beaucoup moins de tenir ainsi nos membres encroutez et nos corps estoupez de crasse... »
Mais le bon moraliste ne fut pas entendu. Au lieu de revenir à l'usage de l'eau, les élégantes adoptèrent la mode italienne des pâtes, des onctions et des poudres parfumées. Elles prirent, suivant une expression fort juste, « l'habitude de se salir avec son art. »
L'utilité du bain, chose inouïe, fut même à cette époque niée par les médecins. A la fin d'un long traité d'hygiène, Gazius, l'un des praticiens les plus célèbres de ce temps, ne craignait pas d'écrire ceci :

« Il me reste à parler des bains, ce que je ferai brièvement, car l'usage n'en existe pas chez nous, et, d'ailleurs, c'est un plaisir qui ne va pas sans danger ; peut-être vaudrait-il mieux ne pas en parler de peur de paraître y pousser. Moi qui n'ai jamais pris un bain, je ne m'en porte pas plus mal, grâce à Dieu. »
Ce préjugé contre la nécessité du bain a subsisté, il faut bien le dire, jusqu'en ces dernières années. Il n'est pas bien sûr même qu'en certains coins perdus de notre France il ne subsiste pas encore. Un de nos confrères rapportait l'an dernier que, se trouvant un jour d'été dans une petite sous-préfecture qu'il ne nomme pas, il se rendit à l'unique établissement des bains. Pas un seul client. Alors il interviewa la tenancière qui, tristement, lui confia que dans cette ville on n'aimait pas les bains.
« - C'est en 1872, lui dit-elle, que nous avons créé ces bains, mon mari et moi, et, pour attirer la clientèle, nous donnions dix cachets à prix réduit. Croyez-vous, monsieur, que je reçois encore chaque année, un ou deux de ces cachets ! C'est vous en dire assez, et vous comprenez que notre situation ne fut pas prospère. Pendant les premières semaines quelques personnes vinrent poussées par la curiosité. Mais elles entraient et elles sortaient en se cachant. Elles ne voulaient pas qu'on pût les accuser d'avoir pris un bain. Des femmes disaient devant moi : « Il faut être bien impudique ou bien malpropre pour se planger ainsi dans l'eau ! » Elles me regardaient avec froideur et bientôt elles ne me cachèrent plus leur mépris... »
Et la pauvre dame confiait à notre confrère que lorsqu'elle voyait des clients c'étaient uniquement des étrangers, des touristes. Quant aux gens de la ville ils n'avaient aucun goût pour les bains.
D'aucuns trouveront peut-être l'interview invraisemblable, amis ceux qui ont habité naguère certains coins de la province n'en seront nullement étonnés. Il est certain qu'il y a eu jadis beaucoup de sous-préfectures de ce genre en France et qu'il y en a peut-être encore quelques-unes aujourd'hui.

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Voilà quels préjugés absurdes il faut achever de déraciner. Et le meilleur moyen c'est d'imposer aux Français dès l'enfance l'éducation de la propreté.
Il faut qu'avant d'apprendre à lire, l'enfant apprenne à se laver ; la théorie du tub et la pratique du bain doivent passer avant la grammaire et l'arithmétique. Les parents qui mettent leurs enfants en pension ont le droit d'exiger que les établissements scolaires soient munis de toutes les ressources de l'hygiène moderne. Les municipalités des villes où subsistent de vieux collèges malsains et dépourvus de salles de bains et de douches, ont le devoir d'y remédier au plus tôt. Il y va de la santé de la jeunesse française. Orandum est ut sit mens sana in corpore sano, disait Juvénal.
- Il faut souhaiter d'avoir toujours un esprit sain dans un corps sain. - Or, l'esprit ne peut être sain si le corps est malpropre. Voilà ce qu'il faut avant tout apprendre à nos enfants.
Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 17 Octobre 1909