UNE CURIEUSE CÉRÉMONIE
A BOULOGNE-SUR-MER
Les Grenadiers à cheval de la République
Argentine assistent à l'inauguration du monument du général
José de San-Martin, libérateur des républiques
sud-américaines.
Le général José de San-Martin
est le héros de l'indépendance des républiques
de l'Amérique du Sud. Après avoir servi l'Espagne dans
sa jeunesse, il revint dans l'Argentine et en 1812, lors de la guerre
de l'Indépendance, il fut chargé du commandement des forces
de ce pays.
Quatre ans plus tard, ayant traversé les Andes, il descendit
dans les vallées du Chili, attaqua les forces espagnoles; les
culbuta à Charabuco et fit une entrée triomphale à
Santiago.
Ayant assuré l'indépendance du Chili, il passa au Pérou,
qu'il délivra également du joug espagnol.
Ainsi, successivement, les trois grandes républiques lui durent
leur liberté.
Son oeuvre achevée, il refusa toute récompense, renonça
à tous les honneurs et partit pour l'Europe. En 1824, il vint
s'établir à Boulogne-sur-Mer, où il vécut
jusqu'en 1850, très aimé de la population dont il se montra
l'inlassable bienfaiteur.
Un monument érigé à sa mémoire a été
inauguré dimanche. Et, détail curieux, un escadron des
grenadiers argentins - les grenadiers de San-Martin - est venu assister
à l'inauguration.
Ces grenadiers dont le nom perpétue le souvenir du glorieux libérateur
de l'Argentine, n'ont presque pas modifié l'uniforme qu'ils portaient
à l'époque de l'Indépendance. Et, comme l'observait
justement un de nos confrères, ce fut une évocation singulière
que ce défilé de soldats vêtus d'un uniforme du
temps du 1er Empire, à Boulogne, sur l'emplacement même
du camp de la Grande Armée.
VARIÉTÉ
Les Agents sont de braves gens
Et des gens braves. - La liste des victimes
du devoir. - Comment se faisait autrefois la police à Paris.
- Création du corps des « sergens de ville » . -.Haines
révolutionnaires. - Un martyr. - Le manuel du sergent de ville.
- Courage, dévouement et esprit de sacrifice.
De braves gens et des gens braves. Oui, certes,
les agents sont l'un et l'autre. Et jamais ils ne le prouvèrent
mieux qu'en ce temps où Paris doit être tour à tour
protégé contre l'audace des apaches et contre les excès
des révolutionnaires.
L'un de ces gardiens de la sécurité publique tombait ces
jours derniers encore, victime de l'émeute et victime de son
devoir. Il tombait, comme tant d'autres sont tombés avant lui,
sous le revolver de quelque misérables fanatisé par les
excitations des fauteurs de troubles ; et un nom nouveau s'inscrivait
sur les plaques de marbre où l'on conserve, à la préfecture
de police, le souvenir de tous ceux qui ont donné leur vie pour
la cause de l'ordre et pour la défense des honnêtes gens.
Cette liste si longue, si douloureuse, et si glorieuse pourtant, est
pour nos agents un objet de légitime fierté. C'est le
livre d'or du dévouement et de l'abnégation. -
C'est à partir de 1832 que l'on y trouve les noms des gardiens
de la paix victimes du devoir.
Le corps, en effet, est de création relativement récente.
Il ne date encore que de quatre-vingts ans. C'est en 1829, par ordonnance
du 12 mars, qu'il fut constitué par le préfet de police
Debelleyme.
Auparavant, la police de Paris avait été assurée
tour à tour par l'élément militaire et l'élément
bourgeois, par l'armée, par le guet, par la garde nationale,
mais aucun corps spécial n'avait été créé
dans ce but.
Au moyen âge, c'étaient les compagnies d'archers et d'arbalétriers
qui veillaient sur la ville puis ce soin fut confié aux gardes
suisses, aux gardes françaises. La nuit, le guet bourgeois, cet
ancêtre des gardes nationales, faisait des patrouilles par les
rues. Et ce guet, à ce qu'il semble, n'était pas très
redouté des noctambules et des malfaiteurs. Au XVIII siècle,
rosser le guet était un des passe-temps favoris des jeunes viveurs
mis en gaîté par les fumées des joyeux soupers.
Boileau nous dit que, sous le grand roi, Paris était un coupe-gorge.
Rappelez-vous les vers de la célèbre satire :
Le bois le plus funeste et le moins fréquenté
Est, au prix de Paris, un lieu de sûreté...
Et Boileau n'exagère pas. Dès
la nuit tombée, la ville appartient aux voleurs. On attaque les
gens dans la rue, on pille. Les archers sont impuissants à maintenir
l'ordre... Que dis-je ?... Ils concourent eux-mêmes au désordre.
Ils sont si mal payés que parfois ils arrêtent les Parisiens
attardés et ne les relâchent que contre rançon.
Comment les voleurs ne voleraient-ils pas, alors que la police leur
donne l'exemple ?...
Bref, l'insécurité de Paris est telle que le roi se décide
à organiser la police. Il crée la charge de lieutenant
de police, augmente l'effectif du guet et divise la ville en vingt quartiers
sur chacun desquels un commissaire est chargé de veiller. C'est,
en somme, le principe de l'organisation actuelle des commissariats.
Tant bien que mal cette organisation suffit jusqu'à la Révolution.
Alors, le guet est supprimé et ce sont les bourgeois qui se chargent
de la surveillance de la capitale.
Sous l'empire, la police des rues reste entre les mains de l'élément
militaire. Ce n'est qu'à la veille de l'avènement de Louis-Philippe
qu'elle devient municipale, par la création du corps des «
sergens de ville ».
***
Le préfet de police Debelleyme, en créant ce corps, lui
donna un uniforme composé d'une redingote, d'un pantalon et d'un
gilet bleus et d'un haut bicorne en bataille. Le jour, les « sergens
de ville » avaient une canne à pomme blanche ; la; nuit,
ils portaient le sabre.
Leurs attributions étaient à peu près ce qu'elles
sont aujourd'hui. Ils étaient chargés d'assurer l'ordre
dans la rue, de veiller à l'exécution des arrêtés
municipaux, d'arrêter les malfaiteurs en cas de flagrant délit,
et ils pouvaient, disait l'ordonnance préfectorale, « requérir
main-forte auprès des citoyens, qui étaient tenus d'obtempérer
à leur réquisition ».
Les « sergens de ville » remplirent leurs fonctions jusqu'en
1848. Paris fut calme. L'histoire de la monarchie bourgeoise ne parle
pas de l'insécurité des rues durant cette période.
Il semble que l'action de la police municipale fut des plus efficaces
et préserva la capitale des entreprises des malfaiteurs.
Pourtant, la révolution de 1848 supprima les « sergens
de ville ». Les révolutions furent de tout temps impitoyables
pour !es gens de police. Des bandes révolutionnaires se chargèrent
du soin de veiller sur la ville. Puis, on s'aperçut bientôt
qu'une police régulière était nécessaire.
On créa le corps des gardiens de Paris. Ce corps avait un superbe
costume d'opérette : tunique rouge, chapeau tyrolien ; et il
était armé de couteaux de chasse.
Mais des gardiens de Paris n'eurent que de courtes destinées.
L'année suivante, le corps des sergents de ville était,
rétabli.
Il subsista pendant tout le second empire. Mais, de nouveau, la révolution
de 1871 l'abolit. Je parlais tout à l'heure de la haine instinctive
et féroce des révolutionnaires pour les gardiens de l'ordre
: jamais cette haine ne se manifesta plus implacable qu'à l'époque
du siège et de la commune. Que de malheureux agents en furent
alors les victimes.
Un exemple entre cent :
Sur la plaque où sont inscrits les noms des agents victimes du
devoir, on peut lire celui du brigadier Vincensini Bernardez. Cet homme
subit de la part de la foule révolutionnaire un véritable
martyre. Le 26 février 1871, sur la place de la Bastille, des
gens le signalèrent à la colère populaire.
- C'est un Prussien ! criaient les uns... C'est un sergent de ville
déguisé ! criaient les autres. En un instant, une horde
farouche l'entoura.
A l'eau, à l'eau ! criait-on.
M. Ciaretie, dans son Histoire de la révolution de 1870-71
a fixé le souvenir de ce drame affreux.
« Toute la foule, dit-il, ,avait couru de ce côté.
Les cris sauvages retentissaient.
» Des enfants, des femmes - mais quelles femmes ! - avaient la
joie dans les yeux « Il ne l'a pas volé ! A l'eau ! »
» Chose incroyable, il y avait là, sur cette place, vingt
mille personnes peut-être ceux qui demandaient la mort de cet
homme n'étaient pas plus de cinq cents, et pourtant, on laissa
faire.
» Des chasseurs à pied demandaient à la foule si
elle permettait au prisonnier qu'ils tenaient au collet, de se brûler
la cervelle avec son revolver : « -Non ! Non ! A l'eau ! »
» On garrotta l'homme sur le quai Henri IV et, jambes et bras
attachés, on le jeta, on le lança dans la Seine. Le courant
emportait le corps. On lui jetait des pierres.
» Des pilotes de bateaux-mouches voulaient sauver le malheureux.
On les menaça à leur tour. Cette agonie dura deux heures
et le corps ne fut point retrouvé. »
Combien d'autres agents furent, en des circonstances pareillement tragiques,
victimes de la folie révolutionnaire ! Combien, à la même
époque, périrent aussi en défendant Paris aux avant-postes.
A Montrouge, à Issy, à Vanves, au Moulin-de-Pierre, les
sergents de ville formant un corps spécial firent des prodiges
de valeur. Un certain nombre d'entre eux qui avaient servi dans l'artillerie
formèrent un corps de canonniers qui rendit les plus grands services
à la défense.
La guerre finie, la Commune vaincue, la police municipale fut reconstituée.
Avant 1870, le nombre des agents n'atteignait pas deux mille. Ce nombre
fut augmenté progressivement au fur et à mesure que croissait
le chiffre de la population de Paris et que les difficultés de
la circulation augmentaient dans la capitale. Il dépasse aujourd'hui
huit mille.
Et, si considérable qu'il paraisse, ce chiffre apparaît
insuffisant pour assurer la tranquillité de la rue et répondre
à toutes les nécessités du service.
***
C'est que les fonctions et les devoirs de l'agent sont aujourd'hui extrêmement
multiples et complexes.
Il est le véritable juge de paix du pavé. Il doit d'abord
assurer la liberté et la sécurité de la circulation,
réprimer tout embarras sur la voie publique, renseigner les gens
embarrassés, conduire les ivrognes au poste, mener chez le pharmacien
les victimes des accidents. Que de choses encore !... Et dans tout cela,
il doit rester calme, et ne jamais perdre patience.
Un commissaire de police dressé une sorte de catéchisme
à l'usage à des gardiens de la paix.
A la lecture de ce manuel, on se rend compte de la dose de philosophie
qu'il faut à nos agents pour accomplir leur devoir suivant des
exigences de l'administration.
« La mission des gardiens de la paix, dit ce petit livre, consiste
à veiller au maintien de l'ordre, de la tranquillité et
de la sécurité sur la voie publique. Ils ne doivent jamais
se livrer à des actes de violence ou à des écarts
de langage. Ils doivent concilier les exigences de leur service avec
la protection due à chaque citoyen. Ils ne doivent ni trop défendre,
ni trop permettre, mais toujours veiller. Ce qui n'exclut en aucune
façon la fermeté nécessaire pour agir énergiquement,
quand un intérêt sérieux est menacé. »
Autrement dit, il faut qu'un gardien de la paix ait une patience d'ange
jointe à un tact de diplomate.
Mais ce n'est pas tout que de veiller sur autrui : il faut que l'agent
veille sur lui-même et donne l'exemple des bonnes moeurs :
L'homme chargé de faire respecter la loi, doit commencer par
se respecter soi-même. Il doit donner l'exemple de l'obéissance,
due à l'autorité publique ; être de moeurs irréprochables,
d'une probité intacte, avoir de la conduite, de la prudence,
du zèle et de l'activité. Il doit se comporter de manière
que le respect qu'il inspire pour sa mission, annonce l'autorité
en vertu de laquelle il agit. L'intelligence et la prudence doivent
diriger sa surveillance et le zèle animer son autorité,
le souci du bien public et de ses devoirs, alimenter son courage.
»Dans sa vie privée, il doit se conduire aussi bien que
dans le service, de manière à mériter l'estime
de tous par la régularité et la dignité de sa conduite.
»
Ce n'est pas tout. L'agent doit être toujours poli, affable avec
tous. Il ne doit jamais oublier qu'il est « gardien de la paix
» c'est-à-dire qu'il est chargé d'une mission pacifique.
Du sang-froid avant tout. Défense de répondre aux injures
par des injures, aux coups par des coups.
Il doit être secourable aux vieillards, aux infirmes. Et chacun
sait à Paris qu'il n'y manque pas. Que de fois n'avons-nous pas
vu par nos rues las agents aller prendre par le bras des personnes peu
ingambes et faire arrêter la file des voitures pour les aider
à traverser les carrefours. L'an dernier même, à
ce propos, une bonne dame, justement reconnaissante, légua une
somme de mille francs aux braves agents qui l'aidraient à traverser
sa rue lorsqu'elle sortait de chez elle . Et ce fut un témoignage
de gratitude bien dû à ces dignes soldats du devoir qui
semblent être, à notre époque de « panmuflisme
», les derniers gardiens des bonnes traditions de la vieille politesse.
Ce sang-froid, cette patience qui leur sont recommandés dans
la surveillance du pavé, leur sont également imposés
dans les bagarres. On sait hélas ! en quelle posture d'infériorité
nos agents se trouvent vis-à-vis des apaches. Alors que les malandrins
n'hésitent jamais à jouer du couteau et du revolver, les
agents, eux, ne doivent pas se servir de leurs armes... Étonnez-vous
donc que depuis quelques années, la liste des victimes du devoir
se soit grossie de tant de noms.
C'est que le sergent de ville n'hésite jamais à risquer
sa peau. Le dévouement fait partie intégrante des exigences
de son métier. Un cheval s'emballe : c'est l'agent qui, au risque
de se faire mettre en pièces, se jette à sa tête
et se fait traîner sur le payé. Un incendie éclate
: c'est l'agent qui s'élance le premier dans les flammes. Un
désespéré se jette à l'eau : c'est l'agent
qui se précipite pour le sauver. Dans les accidents, dans les
sinistres, il est là, toujours là, au premier rang.
On sait, par ailleurs, que de traitement de ces dévoués
serviteurs de l'ordre est loin d'être en rapport avis les services
qu'ils rendent. Le maximum que puisse atteindre un agent est de 2.300,
plus une indemnité d'habillement; pour le sous-brigadier, 2.500;
pour le brigadier, 3000... Comparez la situation de notre gardien de
la paix avec celle de son collègue, le policeman Londonien qui
touche au minimum (salaire des policemen de 3e classe) trois livres
sterling, soit 75 francs par semaine.
Et pour les maigres émoluments qui sont ceux de nos agents, nous
avons des hommes admirables; scrupuleusement honnêtes respectueux
de leur devoir, et toujours prêts à sacrifier leur vie.
Rendons leur donc au moins la justice qui leur est due.
Ernest Laut