UN MAIRE TUE DANS UNE SALLE DE VOTE


Ce drame, eut pour cause non la politique mais la jalousie. Il se déroula dans un village de la Charente. Un habitant de cette commune nommé Dallemagne avait divorcé parce qu'il accusait sa femme de le tromper avec le maire. Mais le divorce ne lui suffisait pas. Il s'était juré de se venger. Le jour des élections, alors que le maire présidait aux opérations du vote, Dallemagne s'avança tenant son bulletin à la main. Tandis que le maire s'apprétait à glisser le bulletin dans l'urne, le meurtrier tirait soudain un revolver de sa poche et le déchargeait sur son rival. Le maire, s'affaissa sur l'urne. Il avait été tué sur le coup.

VARIÉTÉ

Humour d'aujourd'hui
et d'autrefois

Mark Twain, -- Petites histoires macabres. - L'humour et l'esprit-- Un calembouriste. - Les bons mots du marquis de Bièvre. - Défense d'être sérieux.

L'Amérique a perdu Mark Twain. C'était le plus illustre de ses humoristes. La gloire de ce pince-sans-rire avait même franchi les mers et gagné la vieille Europe, où on l'admirait de confiance, dans l'impossibilité où l'on était, le plus souvent, de comprendre ses plaisanteries.
Les Histoires de Mark Twain, en effet, sont peut-être pleines de sel pour un Yankee; mais nous autres, au pays de Rabelais, de Molière et de Voltaire, nous sommes un peu plus difficiles. Ce genre d'humour ne se contente pas toujours de nous ennuyer, il lui arrive de nous attrister, car il a souvent quelque chose de douloureux, de cruel et même de macabre.
L'histoire la plus drôle et peut-être la plus originale de Mark Twain n'échappe pas à cette règle. Vous la connaissez peut-être : on l'a souvent racontée. C'est celle qui s'intitule l'Interview.
Un journaliste interroge l'humoriste sur sa famille :
- Etiez-vous fils unique ?
- Non, j'avais un frère, répond Mark Twain ; il s'appelait William. Nous étions jumeaux et nous nous ressemblions comme deux gouttes d'eau.
Et votre frère est mort ?...
- Je ne sais pas.
- Comment vous ne-savez pas ?...
- Oui, je ne sais pas si c'est lui qui est mort ou si c'est moi.
Le journaliste ouvre des yeux effarés. Alors Mark Twain explique :
- Voilà ce qui est arrivé : Quand nous étions tout petits, on nous a mis dans la même baignoire. L'un de nous deux a été noyé; et on n'a jamais su si c'était William ou si c'était moi.
Tel est le modèle du genre. Et cette plaisanterie, en dépit de sa fantaisie macabre, a-t-elle du moins de l'imprévu. Mais toutes les histoires de Mark Twain ne possèdent point cette qualité. Il en est qui manquent d'originalité autant que de tact.
Le tact, au surplus, ne paraît pas être la qualité dominante de l'humour anglo-saxon. On a souvent cité de Mark Twain cette autre histoire qui eut en Amérique, parait-il, un grand succès :
Il s'agit d'un voiturier qui transporte dans sa voiture une longue caisse dans laquelle il croit qu'un cadavre est enfermé. Or, en réalité, cette caisse n'est autre chose qu'une caisse de fromages. Et le voiturier, incommodé par l'odeur, peste tout le long du chemin :
- J'ai pourtant, s'écrie-t-il, voituré bien des macchabées dans ma vie mais jamais aucun n'a pué comme relui-ci.
Eh bien, croyez-vous que l'homme qui raconterait de pareilles histoires, passerait chez nous pour un homme d'esprit ?...
Vous ne serez sans doute pas étonnés, après ces deux simples citations, que Mark Twain n'ait pas été fort bien compris par tout le monde en France. On en a conclu que nous n'étions pas un peuple apte à goûter l'humour. En quoi on s'est trompé. La preuve en est que nous avons eu, nous aussi nos humoristes et que, pour n'en citer qu'un, Alphonse Allais, qui amusa plusieurs générations, usait volontiers de l'humour d'allure grave et philosophique à la manière des Anglo-Saxons. Mais dans les fantaisies d'Alphonse Allais, l'humour s' allie toujours à l'esprit et n'est jamais exempt de gaîté. Le macabre, chez nous, ne prête point à rire.
***
Il faut reconnaître, d'ailleurs, que les traductions, si fidèles soient-elles, permettent mal de goûter l'esprit des auteurs étrangers. Mark Twain, qui nous tenait rigueur du peu d'enthousiasme que mous manifestions pour son oeuvre, nous reprochait volontiers d'être incapables de la lire dans le texte. «Le Parisien, disait-il, ne connaît d'autre langue que la sienne, ne lit pas d'autre littérature que la sienne. Aussi a-t-il l'esprit étroit et très suffisant. »
Mark Twain était injuste et sévère. Ses oeuvres ont été traduites à plusieurs reprises en français. Le Parisien les a lues de bonne foi. S'il n'en a pas goûté toute la saveur ce n'est peut-être pas entièrement de sa faute. Mark Twain eût pu se dire cela. Mais les auteurs sont, aussi bien en Amérique-qu'en France, gens impitoyables pour qui ne les admire pas sans réserves.
Le genre humoristique est, d'ailleurs, celui qui résiste le moins, non seulement à la traduction, mais encore au temps et aux variations du goût. Pour un Rabelais, dont la gaîté est éternelle ; pour un Molière, dont le génie comique est impérissable ; pour un Voltaire, dont, l'esprit est de tous les temps, que d'auteurs tombés dans l'oubli parce que leur inspiration et leur forme ne reflétaient que le goût d'une époque !... Essayez donc de lire telles ou telles productions qui firent la joie de nos pères : les Lunes du Cousin Jacques, par exemple, ou les Janotades de Dorvigny, qui eurent autrefois le plus extraordinaire succès. Vous n'y comprendrez goutte et vous vous demanderez à coup sûr « Comment a-t-on pu s'amuser de ces fadaises ? »
Je feuilletais ces jours derniers un fort curieux ouvrage que vient de publier M. Georges Mareschal de Bièvre sur son ancêtre : « Le marquis de Bièvre », et j'y trouvais un exemple fort typique de cette fragilité des choses de l'esprit.
Le marquis de Bièvre fut, à la fin du XVIIIe siècle, le roi du calembour. Ses fantaisies eurent une vogue étonnante. On s'arrachait les petits livres dans lesquels il accumulait les jeux de mots, les «pointes » comme on disait alors, et les coq-à-l'âne. Aujourd'hui, par le fait seul des modifications du langage, nous avons besoin de commentaires pour comprendre le sens de la plupart de ces calembours.
Prenons un exemple dans le premier ouvrage publié par le marquis de Bièvre. Cela s'appelle : Lettre écrite à Mme la comtesse Tation par le sieur de Bois-Flotté, étudiant en droit-fil, ouvrage traduit de l'anglais. - En voici le début :
« Oui, madame la comtesse, écrit Bois Flotté j'ai su l'intérêt vif et sensible que vous avez pris aux faits et gestes de main, et à la mort du Bacha Bilboquet, vous et beaucoup d'autres dames polonaises connues par leur goût éclairé pour les contes de Lyon à dormir debout et de crachat ; c'est ce qui m'engage à vous offrir la vie de l'abbé Quille, son neveu, que nous venons de perdre bien malheureusement. Le rapport d'estomac qu'il a avec son oncle m'a fait croire que vous y prendriez la même part de gâteau. C'est pourquoi, sans balancer, j'ai été prendre ma chaise de poste, je me suis mis à mon secrétaire du roi, j'ai demandé une plume de héron et un cornet de dragées... etc., etc. »
Or, la plupart des « pointes » contenues dans ce texte sont pour nous, comme vous pouvez vous en rendre compte, absolument incompréhensibles. Et cela par les seules variations du langage. M. Georges Mareschal de Bièvre le constate comme nous :
« Il est curieux d'observer, dit-il avec raison, combien se sont modifiées les expressions courantes de la conversation, depuis le règne de Louis XV : la plupart des équivoques employées par Bois-Flotté se comprennent difficilement. Les Parisiens d'aujourd'hui ont oublié qu'un damier s'appelait « un jeu de dames polonaises », que les chanoines de Lyon possédaient tous le titre de « comte », ou qu'un encrier se nommait un « cornet ».
Allez donc, dans ces conditions, goûter tout le sel des plaisanteries d'autrefois !
Vous voyez quel était le procédé du marquis de Bièvre : il le définissait ainsi dans un article que Diderot lui demanda pour l'Encyclopédie sur le calembour :
« Kalembour ou calembour, écrivait-il, c'est l'abus que l'on fait d'un mot susceptible de plusieurs interprétations, tel que le mot pièce, qui s'emploie de tant de manières : pièce de théâtre, pièce de plain-pied, pièce de vin, etc... »
Le procédé nous paraît enfantin aujourd'hui, C'est un peu celui des plaisants qui s'abordent en se disant : « Comment vas-tu-yau de poële ?... » Nous sommes devenus plus difficiles. Mais nos aïeux ces gens qui passaient pour les plus spirituels de la terre - s'en contentaient. Les fantaisies de Bièvre avaient un succès fou.
Après sa lettre à Mme la comtesse Tation, le calembouriste - ainsi le désignait-on - s'avisa d'écrire une tragédie dans ce style saugrenu. Et là, vraiment, il eut des trouvailles de drôlerie qui amusent encore aujourd'hui. Cette tragédie s'appelait Vercingétorix. On y trouve des vers dans le goût que voici :
Vercingétorix, au début, réunit ses plus vieux conseillers et leur dit :
Dans ces lieux à l'anglaise où ma voix vous amène,
Il faut de nos malheurs rompre le cours-la-reine,
Amis, vous dont l'esprit est plus mur mitoyen,
Donnez-moi des conseils dignes d'un citoyen.
Un officier se plaint de la famine :
Nous mangeons des chevaux tout crus sur leur parole,
Des souris gracieux et des rats de Saint-Maur.
Un autre propose de se nourrir du corps des lâches qui refusent de combattre et ne sont là que pour faire nombre :
Dévorons les soldats qui, dans leur défaillance.
Ne sont que pour la montre à répétition.
La jeune héroïne Sylvie, au moment de quitter le guerrier Convictolitan, son amant, qui vole aux remparts, lui dit tendrement :
Ton image en mon coeur sera peinte ou chopine !
Et la même, dans une scène tragique, s'écrie :
Une secrète horreur me glace au chocolat.
Vercingéorix, vaincu, exprime des pensées de résignation :
Il plut à verse aux dieux de m'enlever ces biens.
Hélas ! sans eux brouillés que peuvent les humains ?
Enfin, au dénouement, l'héroïne demeurée seule - tout le monde est mort prend le parti de mourir elle aussi. Et voici comment elle exprime sa résolution :
Je vais me retirer dans ma tente ou ma nièce.
Et j'attendrai la mort de la faim de la pièce.
Cela dit, -elle fait la révérence et la toile tombe.
Voilà de quoi s'amusaient follement nos aïeux.
Le marquis de Bièvre, encouragé par le succès de ces fantaisies, s'y lança à corps perdu. Il écrivit l'histoire des Amours de l'Ange Lure, où l'on trouvait des personnages qui s'appelaient la Fée Néantise, l'Ange Ine, l'Ange Oleur, l'Ange Ambée, l'Ange Eu, la Fée Roce, la Fée Rute et la Fée Condité. Tout cela était d'un esprit qui nous paraît à présent plutôt facile et pourtant tout cela divertissait Paris. Mais ce qui amusait la foule bien plus que les ouvrages du marquis de Bièvre, c'était ses mots, ses calembours d'actualité; ses «pointes » sur les hommes et sur les événements du jour.
Sur ce point. le calembouriste ne tarissait. Il est d'ailleurs probable qu'on lui en prêtait plus encore qu'il n'en faisait. Mais on ne prête qu'aux riches.
C'est à partir de l'année 1769 que, suivant l'expression de M. Georges Maréchal de Bièvre, le calembouriste commence à jalonner de jeux de mots l'histoire de Versailles et de Paris. Un jour Bièvre apprend que l'abbé Terray, dont en méconnaissait les capacités économiques, est nommé contrôleur général des finances : « Ah !s'écrie-t-il, le roi va enfin pouvoir payer ses dettes : il a trouvé un trésor enterré (en Terray).»
Une autre fois, on avait joué à la Comédie française une mauvaise pièce qui s'appelait le Persiffleur et qui n'eut aucun succès.
«. Hélas ! s'écria Bièvre en sortant de la première, ce père siffleur avait bien des enfants au parterre ».
A l'Opéra on jouait une tragédie lyrique non moins mauvaise, Adèle de Ponthieu, dont le poème était du marquis de Saint-Marc. Quand on demanda à Bièvre son avis sur la pièce il leva les épaules: «C'est, dit-il, un opéra de Saint~Marc (cinq marcs) qui ne vaut pas une once. »
Le lieutenant de police Le Noir fréquentait beaucoup chez une demoiselle Le Blanc « Que peuvent-ils faire ensemble ? » demanda-t-on un jour au marquis de Bièvre. « Une oeuvre pie, n'en doutez pas », répondit-il.
Il y en a comme cela des centaines. Tous ces mots couraient Paris et amusaient la cour et la ville. Le roi lui-même à ce qu'assure la tradition, prit à cette folie générale le goût du calembour. Un jour, il appela le marquis de Bièvre.
- Dites-moi donc, mon cher marquis, savez-vous de quelle secte sont les puces ?
Bièvre demeura coi.
- Eh bien, reprit Louis XVI, sachez qu'elles sont de la secte d'Epicure.
Et, tout heureux d'avoir confondu le faiseur de calembours, le roi s'en fut en riant, mais Bièvre le rattrapa.
- Pardon, sire, pourriez-vous me dire à votre tour de quelle secte sont les poux.
Ce fut à Louis XVI de demeurer interdit.
- Eh bien, sire, reprit Bièvre triomphant, sachez que si les puces sont de la secte d'Épicure, les poux sont de la sert d'Épictête.
Le spirituel marquis avait toujours le dernier mot.

***
Malheureusement, il lui advint ce qui advient toujours aux gens dont la réputation de drôlerie et d'esprit est trop solidement assise. Il ne put plus ouvrir la bouche sans qu'on cherchât le calembour. Demandait-il des épinards au dîner, un convive lui disait : « Ah ! mon cher, je ne comprends pas celui-là... » Un jour qu'il disait à une dame : « J'ai été me promener...», celle-ci fit mine de réfléchir : « J'ai été me promener, fit-elle, c'est peut-être fort piquant, mais je ne saisis pas... »
Le pauvre marquis était condamné au calembour à perpétuité.
Mark Twain subit naguère le même inconvénient. L'humoriste américain avait des prétentions à la morale et à la haut philosophie. Un jour, ayant écrit un poème philosophique, il voulut le lire aux étudiantes d'une université américaine. Après quelques mots de préambule, Mark Twain dit : « Mesdames, je vous demande la permission de vous lire un de mes poèmes » Un immense éclat de rire accueillit cette phrase. « C'est un poème très sérieux », continua-t-il. Nouvelle tempête de rires.
Froissé par ce malentendu, l'humoriste occasionnellement austère, remit son manuscrit en poche, en déclarant : « Jeunes personnes, puisque vous ne me jugez pas capable de réflexion philosophique, je ne vous lirai pas mes vers.
Ces paroles n'eurent d'autre résultat que de soulever des convulsions d'hilarité.
Voilà ce que c'est que d'avoir une étiquette. Quand un menteur dit-la vérité on ne le croit pas ; quand un humoriste veut parler sérieusement on lui rit au nez. Bièvre fit plus tard d'agréables comédies ; elles sont oubliées. Seuls survivent ses calembours. Mark Twain a peut-être écrit de fort beaux poèmes philosophiques nous n'en saurons jamais rien. La postérité ne se souviendra que de ses petites histoire de pince-sans-rire.
Ainsi est fait l'esprit simpliste du public
Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 5 Mai 1910