UNE NOCE EN VOITURE A BRAS


Un mariage très original a été célébré ces jours derniers à la mairie du XIIe arrondissement.
Un jeune ébéniste du faubourg Saint-Antoine épousait sa voisine, une charmante jeune fille de vingt ans.
Le marié, qui est un fantaisiste, imagina à cette occasion un cortège d'un genre nouveau.
Le sourire aux lèvres, il s'installa, à l'heure dite, dans une démocratique voiture à bras. Des bouquets de lilas au parfum pénétrant garnissaient brancards et côtés.
La fiancée amusée de l'aventure, s'assit auprès de lui. Les témoins, les parents, occupèrent d'autres voitures pareilles.
Et le cortège pittoresque s'ébranla, au milieu d'une foule égayée. Des amis, à la musculature puissante, s'époumonnaient à tirer les voitures de la noce.
Plus de six cents personnes garnissaient le perron de la mairie quand les mariés arrivèrent. L'adjoint les unit. Une demi-heure après les voitures à bras emmenaient la noce chez un marchand de vins où le repas nuptial fut des plus joyeux.

VARIÉTÉ

La disparition des hirondelles

Quelle en est la cause ? -- L'oiseau des jolies légendes. - Pourquoi l'hirondelle a les ailes noires. - L'utilité des oiseaux. -- Saint Druon et l'agriculteur. - La pêche aux hirondelles. - Une campagne nécessaire.

D'année en année, on constate le retour de plus en plus tardif des hirondelles dans la région parisienne, et l'on observe que le nombre de ces « messagères du printemps » va sans cesse diminuant.
A quoi faut-il attribuer ce double phénomène... Les hirondelles nous quittent-elles pour voler vers des climats plus hospitaliers ? Les printemps glacés, les étés pluvieux que nous subissons depuis quelques années justifieraient cet exode. Mais il n'en est rien. Les jolis oiseaux nous reviennent fidèlement en dépit des mauvais temps ; seulement, pour arriver jusqu'à nous, les hirondelles doivent échapper à trop d'embûches ; elles y succombent en masse. Seules les plus favorisées du sort atteignent nos régions septentrionales. Les autres tombent sous le plomb ou meurent sous les filets que les paysans méridionaux tendent sur leur passage.
Voilà pourquoi les hirondelles sont chez nous de plus en plus rares, et pourquoi, si l'on n'y met bon ordre, nous sommes menacés de perdre à tout jamais ces protectrices de nos maisons, ces amies si précieuses de nos jardins et de nos champs. Naguère, l'hirondelle était chez nous un oiseau sacré. On croyait qu'elle portait bonheur au toit sous lequel elle avait fait son nid. Elle lui portait bonheur, en effet, car le bonheur naît souvent de l'abondance et l'hirondelle y contribue en protégeant les récoltes contre les insectes destructeurs.
Cette tradition défendait l'oiseau contre la cruauté de l'homme. Mais notre époque ennemie des préjugés, notre époque où règnent les esprits forts, fait bon marché des vieilles croyances populaires. C'était bon pour les gens d'autrefois de croire à de telles billevesées. Combien de traditions si sages et si dignes d'être conservées, sous lesquelles nos pères dissimulaient habilement les plus utiles enseignements ont été impitoyablement ruinés par l'éducation d'aujourd'hui
L'hirondelle est l'oiseau des jolies légendes. S'il faut ajouter foi à une croyance populaire qui remonte aux premiers temps du christianisme, elle avait autrefois les ailes grises, et voici comment ces ailes devinrent noires:
Un jour, au pays de Nazareth, l'enfant Jésus, tout petit, jouait devant la porte de ses parents. Avec de la terre et de l'eau, il pétrissait de petites figurines représentant des oiselets qu'il posait devant lui, les ailes déployées. Passe un méchant Pharisien qui, de son pied brutal, a écraser les oiseaux. Mais Jésus l'a devancé. Il frappe ses mains mignonnes l'une contre l'autre, et soudain les bestioles d'argile s'animent et s'envolent. Les hirondelles étaient nées. De leurs ailes grises elles gagnèrent le toit sous lequel vivait Jésus avec ses parents, et elles y construisirent leur nid de la même terre dont l'enfant Dieu les avait formées. Puis elles se multiplièrent, et, toujours, elles choisissaient la demeure de l'homme pour y bâtir leur nid. Elles y vivaient libres, respectées, aimées ; leur présence était un talisman contre le malheur. Longtemps après, quand l'Enfant divin, devenu homme, marcha vers le Golgotha, les hirondelles désolées le suivirent en poussant de petits cris de douleur. Jésus, étendu sur la croix, allait mourir. De son front, déchiré par la couronne d'épines, le sang coulait à flots sur sort visage. Alors les hirondelles, voletant autour de la croix, vinrent une à une arracher les épines qui se clouaient à l'auguste front. Et quand vint l'heure suprême, quand le crucifié, dans une dernière plainte, rendit l'âme, on entendit les oiselles pousser un gémissement de détresse et l'on vit soudain leurs ailes changer de couleur. De grises, elles étaient devenues noires : les hirondelles avaient pris le manteau de deuil que, depuis, elles n'ont jamais quitté. Cette jolie légende, et maintes autres non moins touchantes, avaient fait de l'hirondelle un oiseau sacré aux temps lointains où régnait la foi: A présent que la foi s'est allée, et que les légendes ne défendent plus l'hirondelle contre la cruauté des hommes comment les protéger ?...Ce devrait être là le souci constant des éducateurs de l'enfance. Il faudrait montrer sans cesse aux écoliers les oiseaux de nos champs dans l'exercice de leur fonction de protecteurs de l'agriculture, et leur redire à tout propos :
- Ne tuez pas ces bestioles innocentes elles sont vos collaboratrices les plus précieuses ; sans elles, votre blé serait dévoré en herbe, vos arbres ne donneraient ni feuilles ni fruits.
Il faudrait leur montrer que parmi les oiseaux ceux-là mêmes qui prélèvent la dîme sur les jardins et les champs, ne se nourrissent de graines et de fruits que faute de mieux et mangent infiniment plus d'insecte, que de grains.
J 'ai fait autrefois l'expérience avec des moineaux familiers : on leur offrait d'une part des graines, de l'autre des hannetons, et je vous prie de croire qu'ils n'hésitent pas un instant. Ils dédaignaient les graines et se ruaient sur l'insecte : il fallait les voir l'étourdir à coups de bec et lui arracher ensuite les élytres, les ailes, les pattes, la tête et le corselet. Cela fait, ils s'envolaient, tenant dans leur bec la partie succulente, c'est-à-dire l'abdomen, dont ils allaient se régaler dans leur nid.
Tant qu'on leur offrait ce mets délicat, les moineaux ne songeaient pas à toucher aux grains et aux fruits.
Au surplus, je voudrais, à propos de l'utilité des oiseaux, de tous les oiseaux, vous citer encore une légende, une bonne vieille légende septentrionale qui fut recueillie naguère par un savant écrivain du Nord, Henry Berthoud.
Le héros de cette légende est un bienheureux qui fut longtemps et qui est encore en grand renom dans tout le Nord de la France. Ce saint, fort peu connu hors de la Flandre et de l'Artois, jouissait s'il faut en croire la tradition populaire, du privilège de se dédoubler, de sorte que, tout en vaquant aux soins de son évêché d'Arras, il pouvait aller par les champs visiter ses ouailles.
Que fois n'ai-je pas, dans mon enfance, entendu de braves gens, qu'on appelait de divers côtés à la fois, s'écrier :
- Eh ! je ne peux pas être, comme Saint Duron, aux champs et à la ville !
Donc un jour, au moment des semailles, Saint Druon s'était ainsi dédoublé. Tandis que d'une part il célébrait sa messe en sa cathédrale, son double se promenait à quelques lieues de là par la campagne. Et, comme il marchait au bord d'un champ, près d'un village, il fit la rencontre d'un paysan dont une bande d'oiseaux pillait le champ récemment ensemencé.
- Qui me délivrera de ces maudits pillards qui détruisent l'effet de mon travail et ne laisseront pas un grain de blé dans mes sillons, s'écriait l'agriculteur. Je donnerais ma part de paradis pour qu'un oiseau n'approchât pas de ma ferme à vingt lieues à la ronde.
- Qu'à cela ne tienne, dit l'évêque en s'approchant. Et point n'est besoin de blasphémer pour obtenir pareille faveur.
Puis ayant tracé dans l'air un grand signe
- Mon ami, fit-il, vous serez exaucé.
Et, cela dit, il s'éloigna en silence.
Un an après, il revint dans le village et il trouva le paysan assis à l'entrée de sa chaumière l'air sombre et le front tristement appuyé sur ses mains.
- Qu'avez-vous donc, mon ami ? lui demanda l'évêque
- Ce que j'ai, répondit l'autre avec colère ; ce que j'ai ?... J'ai que vous êtes la cause de mon malheur. Les insectes dévorent mes récoltes, parce que les oiseaux ne viennent plus manger les chenilles et les vers de toute espèce ; les mulots bouleversent mes terres où ils ne laissent plus une seule racine parce que les hiboux et les milans ne leur font plus la guerre. Enfin, tout est triste et morne autour de moi parce que je n'entends plus jamais le chant du rossignol.
Saint Druon sourit et lui dit :
- Il a un an vous vouliez donner votre part de paradis pour qu'aucun oiseau n'approchât de vos champs à vingt lieues à la ronde, et voici maintenant que vous vous désespérez d'avoir été exaucé. Soyez donc plus sage une autre fois .Ayant ainsi parlé, le prélat fit de nouveau un grand geste, et tout aussitôt les oiseaux accoururent du fond de l'horizon et recommencèrent à virer dans les airs avec mille cris joyeux.

***

Je ne me flatte pas que ces histoires naïves puissent convaincre les ennemis de la gent ailée. Les apologues n'ont plus tant d'influence sur les esprits. Et la moindre loi pour la protection des oiseaux des champs vaudrait mieux aujourd'hui que toutes les paraboles du monde.
Mais, d'ailleurs, cette loi existe. Le malheur est qu'on ne la fait pas respecter ou qu'on laisse aux préfets le droit de l'appliquer ou non suivant leur bon plaisir.
Or, pour des raisons sur lesquelles point n'est besoin d'insister, il est maints départements où, par un simple arrété préfectoral, la chasse aux petits oiseaux est autorisée, au mépris de la loi. Et cette chasse s'opère par tous les moyens, le fusil, les lacets la glu... Ce n'est plus une chasse, c'est un massacre.
Voilà la principale raison du retard et de la rareté croissante des hirondelles dans nos régions.
Et ces deux phénomènes ne se manifestent pas seulement de cette année. L'an dernier, à pareille époque, M. Cunisset-Carnot les signalait déjà dans une de ses chroniques du Temps :
« Il est certain, disait-il, que les pauvres hirondelles sont bien cruellement traitées. Quoiqu'elles fassent généralement deux couvées par an, et quelquefois trois, leur nombre, loin d'augmenter, diminue sans cesse. Ou n'a qu'à regarder pour le voir ; d' année en année il s'amoindrit. Beaucoup de maisons de mon voisinage, qui abritaient autrefois huit, dix, quinze nids d'hirondelles et, quelquefois plus encore, n'en possèdent que deux ou trois, parfois même plus un seul. Les conditions de la vie, pour ces charmants oiseaux, n'ont pas changé ; elles sont aujourd'hui ce qu'elles étaient il y a un siècle. Notre climat n'est pas plus rude, les provisions de bouche sont aussi abondantes, elles le sont même plus, car on n'était pas jadis assailli par autant d'insectes qu'on l'est maintenant. Les ennemis naturels de l'hirondelle n'étaient pas autres qu'ils ne sont actuellement, ni plus actifs ni plus entreprenants, et l'oiseau sait leur échapper tout aussi bien qu'anciennement. Il faut voir la situation comme elle est, et reconnaître la honteuse vérité : c'est la stupide cruauté de l'homme qui fait tout le mal, en massacrant pour la satisfaction imbécile de puérils caprices, ces oiseaux charmants... »
Oui, voilà la vraie cause de la disparition des hirondelles, le massacre, l'impitoyable massacre. Les pauvres bestioles passent toujours la mer en aussi grand nombre, mais une foule d'entre elles n'arrivent pas jusqu'à nous. Leurs petits corps jonchent les campagnes méridionales.
Là-bas , on les traque de toutes parts, on va jusqu'à les pécher à la ligne comme les poissons. Un correspondant de M. Cunisset-Carnot lui rapporte ceci
« Dans certains villages, les vieilles femmes qui ne peuvent plus travailler aux champs et qui restent à la maison pour des occupations sédentaires, tendent par la fenêtre un roseau qui porte un fil léger au bout duquel est un hameçon muni d'un brin de plume ; le vent agite cet appât, l'hirondelle le prend pour un insecte et avale l'hameçon. Il n'y a plus qu'à la décrocher et à lui tordre le cou. Une pêcheuse qui a un bon poste, dont la maison est placée sur le passage des hirondelles, en prend dix, quinze, dans sa journée, pendant la saison... »
Et que fait-on, me direz-vous, de ces malheureuses bestioles ?... On les mange...
Oui on les mange !... Mais tandis qu'ils se repaissent des produits de cette chasse barbare, les paysans imprévoyants ne songent pas au préjudice qu'ils se causent à eux-mêmes et qu'ils causent à l'agriculture nationale. Ils ne se doutent pas de ce que leur coûtera et de tout ce que coûtera au pays cette maigre chère.
Plus les hirondelles disparaîtront et plus pulluleront les insectes. Quand nous, n'aurons plus d'oiseaux en France, il nous arrivera ce qu'il advint au cultivateur dont Saint Duron exauça le voeu téméraire. Les cultures seront dévorées jusque dans la racine, les arbres ne donneront plus de fruits; la vigne et les oliviers qui sont les deux éléments de la richesse méridionale deviendront improductifs ; et les mouches et les moustiques, véhicules de toutes les maladies contagieuses se multiplieront à l'infini et nous rendront l'existence insupportable. Je ne veux pas même exploiter l'argument de sensibilité, demander grâce pour nos hôtes ailés en raison de leur beauté, de leur grâce de la douceur de leurs chante, je sais trop, hélas, combien peu cet argument a de poids. Naguère les amis des oiseaux en firent l'expérience, au temps où la mode sacrifiait par milliers les pauvres bestioles de nos champs et de nos bois pour en décorer les chapeaux féminins. Les amis des oiseaux protestèrent alors et s'adressèrent à la pitié des femmes. Rien n'y fit ; il n'y eut pas un cadavre de moins. La sensibilité féminine, à ce qu'il paraît, n'agit que si les lois de la mode, le lui permettent. Autrement, elle est lettre morte.
Aujourd'hui, par bonheur, et momentanément du moins, la mode n'exige plus ces sacrifices. Ce n'est point par pitié, évidemment, mais par sentiment d'esthétique; Le corps d'une pauvre petite hirondelle serait trop menu pour décorer les immenses chapeaux d'à présent. Nous n'avons donc plus à combattre de ce côté, mais il reste à vaincre l'esprit de destruction qui anime contre les oiseaux, certaines populations rurales. Et c'est en éveillant chez ces destructeur inconscients le sentiment de leur responsabilité vis-à-vis de la prospérité nationale c'est en leur montrant les résultats de leur actes sur leurs propres biens ; c'est enfin en exigeant sur tous les points de la France indistinctement, l'application de la loi la protection des oiseaux utiles à l'agriculture que l'on conjurera le danger que courait notre pays du fait de la disparition de ces hôtes utiles et charmants de nos campagnes et de nos bois.

Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 15 Mai 1910