S. M. ÉDOUARD VII, ROI D'ANGLETERRE QUI VIENT DE MOURIR

LE ROI GEORGES V, SON SUCCESSEUR, ET LA NOUVELLE REINE


Le deuil qui vient de frapper l'Angleterre a été cruellement ressenti dans notre pays. Le roi Édouard VII était une figure bien parisienne et un grand ami de la France. Nul n'ignore qu'il fut d'artisan de l'entente cordiale entre les deux pays et le plus ferme soutien de la paix du monde. Malgré la brièveté de son règne (Édouard VII ne monta sur le trône qu'en 1901, à la mort de la reine Victoria, sa mère), la figure du roi défunt dominera l'histoire de ce temps, comme l'une des plus vigoureuses et des plus vigoureuses et des plus bienfaisantes.
Le nouveau roi, Georges V, n'a pas cette rondeur, cette bonne humeur, cet entrain, cette vivacité d'esprit qui distinguaient son père. C'est un timide et un sensible. Il est, avec sa femme, la reine Marie de Teck, la providence des pauvres et des malades. C'est. aussi un esprit réfléchi. Ses sujets ont pleine confiance en lui. « Le caractère sérieux du roi Georges, disait le Times, au lendemain de la mort d'Édouard VII, et la connaissance qu'il possède des affaires de l'Empire, nous donnent: grand lieu d'espérer que le vaisseau de l'État sera conduit sagement et fermement à travers tous les dangers. »

VARIÉTÉ

La peur des Comètes

La fin du monde. - Des gens qui veulent mourir joyeusement. - Vieilles superstitions.
- Ambroise Paré et les comètes.- Avis de savants. - Dormons tranquilles.

Donc, à l'heure où - si j'ose dire - paraîtront ces lignes, le monde n'existera plus. La comète nous aura balayés de sa queue, empoissonnés de son cyanogène... Pauvres de nous, qu'allons devenir ?...
Croyez vous à cette calamité suprême ?...
Non, vous n'y croyez pas. Pour des gens menacés de la pire catastrophe, nous sommes plutôt calmes. L'approche de la terrible comète n'a guère ému le monde... Il est vrai que, si, nous devons succomber, nous succomberons tous ensemble : et c'est une consolation.
Mais la science affirme que nous n'avons rien à craindre; et nous vivons en un temps où la science, en toutes choses, a le dernier mot. Elle a remplacé la foi, et les plus ignorants croient en elle aveuglément.
Or, la science nous rassure :
Oui, dit-elle, nous rencontrerons la queue de la comète, mais nous n'en subirons nul dommage, la densité de ladite queue étant infiniment plus faible que celle de notre atmosphère. Donc, ce n'est pas la queue de la comète qui nous entamera, c'est nous qui entrerons en elle. Et nous y entrerons sans effort comme le couteau entre dans une motte de beurre.
Un savant a comparé cette rencontre à celle du pot de terre et du pot de fer. Or, c'est nous qui jouons ici le rôle du pot de fer .Pauvre comète, quelle imprudence est la sienne !
C'est assez dire que nous n'avons rien à redouter ni du choc, ni de ce perfide cyanogène qui devait nous asphyxier jusqu'au dernier... La comète est plus inoffensive qu'un épouvantail à moineaux.
N'empêche que, chez certains peuples naïfs, son approche n'a pas été sans causer quelque trouble. Il reste encore de-ci de-là quelques traces des superstitions ancestrales.
Les paysans hongrois se sont distingués à cette occasion. Dans un village de ce pays, à Nagy-Saint-Nicolas, on était depuis quelques semaines fort inquiet sur la venue de la comète. Les paysans avaient la ferme conviction que l'arrivée de l'astre amènerait la fin du monde. Or, l'une de ces dernières nuits, le veilleur du clocher aperçut tout à coup une vive lueur empourprant l'horizon. Embouchant aussitôt son porte-voix, il se mit à clamer de toute la force de ses poumons : « Debout « debout ! Voilà la comète ! Le dernier jour est arrivé !... » En un clin d'oeil tout le village fut réuni sur la place publique. Chacun préférait mourir là que de demeurer sous les ruines de sa maison. Le curé lui-même sortit de son presbytère et ayant contemplé le ciel, il affirma qu'en effet cette lueur rouge était annonciatrice de la catastrophe finale.
- Prions, mes frères, s'écria-t-il.
Ah ! bien oui, prier ! les paysans songeaient infiniment moins à se préparer les joies du ciel qu'à s'offrir les derniers plaisirs terrestres. Puisqu'il fallait mourir, on mourrait gaiement. Un immense feu de joie fuit allumé sur la place : on dressa des tables, on sortit des victuailles, on vida les caves. En un instant, on revint à l'état de nature. Puisque le monde allait finir, à quoi bon les réserves hypocrites !... Quand le jour parut, le village tout entier cuvait son vin et ses plaisirs. Mais au réveil, la joie d'avoir échappé à la catastrophe n'alla pas, comme bien vous pensez, sans quelque honte.
En certaines régions de la Russie, l'approche de la comète a ému non moins profondément les populations. Dans le Nord de l'Autriche, les terreurs furent telles que le ministre de l'Instruction publique dut prendre des mesures pour éviter que les populations ne se livrassent à des actes contraires à leurs intérêts. Beaucoup de gens, surtout parmi les classes populaires, croyant à la fin du monde, abandonnaient terres et biens pour se procurer le maximum de jouissances pendant le court laps de temps qu'ils croyaient avoir encore à vivre. Et, bien entendu, des gens plus avisés qu'eux, étaient là tout prêts à profiter de ces craintes puériles.
C'est pourquoi le ministre intervint et invita les instituteurs et les prêtres à donner, les uns à l'école, les autres du haut de la chaire, des renseignements exacts sur le caractère inoffensif de la prochaine apparition de la comète.

***
Ce sont là les restes de superstitions millénaires et qui, jadis, en des occasions pareilles, faisaient peser sur les peuples les plus folles terreurs.
L'apparition des comètes a vivement frappé, de tout temps l'imagination des humains. Les anciens les redoutaient comme des présages de malheur. Elles ne terrifiaient pas moins les gens du Moyen-Age et ceux de la Renaissance. La peur des comètes agissait à ce point sur l'esprit de nos aïeux qu'elle leur faisait voir dans ces astres une foule de figures épouvantables que leur imagination seule enfantait. Ils y distinguaient des épées de feu, des poignards enflammés, des croix sanglantes, des dragons horribles. Les comètes leur apparaissaient toujours couleur de sang.
On se demande si l'on rêve quand on voit un grand savant comme Ambroise Paré partager ces hallucinations et quand on lit dans son chapitre sur les Monstres célestes cette description fantastique qu'il fit de la comète de 1528.
« Cette comète, dit-il, étoit si horrible et si épouvantable et elle engendroit si grande terreur au vulgaire, qu'il en mourut aulcuns de peur ; les autres tombèrent malades. Elle apparaissoit estre de longeur excessive, et si estoit de couleur de sang. A la sommité d'icelle on voyoit la figure d'un bras courbé, tenant une grande épée à la main, comme s'il eust voulu frapper. Au bout de la pointe il y avait trois estoiles. Aux deux costés des rayons de cette comète, il se voyoit grand nombre de haches, cousteaux, espées colourés de sang, parmi lesquels il y avoit grand nombre de fasces humaines hideuses avec les barbes et les cheveux hérissez... »
Voilà ce que le « père de la chirurgie » voyait dans une comète. Or, Paré était un savant, un homme habitué à l'expérience, à l'observation, et par conséquent, peu enclin à se laisser emporter par la « folle du logis ». Jugez, par l'impression que produisait sur lui la vue d'une comète, des terreurs insensées qu'une telle apparition devait déchaîner dans l'imagination du vulgaire.
Une comète était pour nos pères un présage de toutes les calamités : guerre, famine peste, etc.
Cette comète dite de Halley, dont la queue va nous effleurer, est celle-là même qui apparut en l'an 837 et plongea l'Europe dans la terreur. Louis le Débonnaire, persuadé qu'elle annonçait sa mort, donna force biens aux monastères, se livra avec ses fils et toute sa cour à de longues mortifications. Il ne mourut que trois ans plus tard ce qui n'empêcha pas les chroniqueurs d'affirmer que cette mort était le résultat de l'apparition de la comète,
L'astre, comme vous voyez prévenait son monde assez longtemps a l'avance.
C'est la même comète qui reparaît en 1066, au moment où les Normands de Guillaume le Conquérant mettent à la voile pour envahir d'Angleterre. Les chroniqueurs assurent à l'envi que l'astre a été envoyé pour servir de guide aux envahisseurs.
Il y a à Baveux une tapisserie qui passe pour être l'oeuvre de la reine Mathilde, femme de Guillaume le Conquérant. Dans cette tapisserie on voit un groupe de spectateurs contemplant avec étonnement une représentation naïve de la comète. Et l'astre se trouve au-dessus du palais de Harold, le vaincu de Hastings, comme pour lui présager le sort que va lui infliger Guillaume de Normandie.
En 1456, les Musulmans assiégeaient Belgrade défendue par les Hongrois. Une comète apparaît. C'est encore la comète de Halley. Les deux armées, prises d'une même terreur, n'osent plus s'attaquer. Cette crainte est d'ailleurs aussi vive dans toute d'Europe. Le pape Calixte III partage la frayeur générale. Il ordonne des processions, des jeûnes et des prières publiques et lance contre l'astre un terrible anathème. C'est à cette occasion que fut établie la prière dite « Angelus de midi » dont l'usage s'est perpétué depuis lors dans toutes les églises catholiques.
On sait que l'apparition d'une comète hâta probablement la mort de Charles Quint. Quand il apprit qu'un astre chevelu venait de se montrer au ciel, il dit aux moines du monastère de Saint-Just, chez lesquels il s'était retiré : « L'heure approche pour moi du jugement de Dieu. »
Même après que les travaux de Newton eurent fait connaître la nature des comètes, le préjugé subsista. Vers 1775, une comète était annoncée qui devait s'approcher de la terre. Lalande annonça qu'il ferait à l'Académie des Sciences une communication à ce propos et démontrerait que notre globe n'avait rien à craindre d'une rencontre avec ces astres errants. Aussitôt, la population s'émut et crut qu'un cataclysme a menaçait. L'archevêque de Paris fit des prières de quarante heures pour détourner la colère céleste. Bien mieux, Lalande fut invité à garder sa communication pour lui.
Ce n'est pas la première fois qu'on nous menace d'un heurt de comètes. La comète d'Encke, qui parut dans le ciel en 1818, devait réduire notre globe en poussière. Elle se contenta d'y semer la terreur comme de coutume. On considéra cette apparition comme un présage de famine, de peste et de recrudescence de la guerre qui avait si longtemps désolé l'Europe.
En 1835, la comète de Halley fut accusée déjà de vouloir nous bousculer au passage. A la vérité, elle passa à quatre-vingts millions de lieues de nous. Il y avait de la marge, comme vous le voyez. J'ai là sous les yeux un journal de cette époque qui dit « La comète reparaîtra en vue de la terre vers l'an 1912 ...» Le confrère se trompait de deux ans. Et il ajoutait : « Quelques-uns de nos jeunes enfants la pourront voir. »
J'imagine qu'ils ne doivent pas être très nombreux ceux qui pourront se vanter d'avoir vu deux fois la comète de Halley.
En 1857, il y eut encore force terreurs déchaînées à travers le monde par l'annonce de l'apparition d'une comète. Mais cette comète-là était une bonne farceuse qui, après avoir affolé la terre, se plut à la mystifier. Elle manqua au rendez-vous, et le monde respira.

***
En 1865, enfin. nouvelles prédictions de la fin du monde. Le prophète du malheur était un très savant astronome, le professeur Neumayer, de Munich, auteur d'un remarquable travail sur la lumière zodiacale qu'il était allé observer et étudier dans les régions australes.
Or, en étudiant cette lumière, le professeur Neumayer affirmait avoir vu au bout de son télescope une certaine comète dont il avait calculé les évolutions sinistres et il annonçait avec le plus grand sérieux que ladite comète, à son prochain voyage, s'approcherait assez de la terre « pour l'absorber ou être absorbée par elle, comme deux gouttes de mercure s'absorbent entre elles ».
« Si, par hasard, ajoutait le professeur Neumayer, la terre évitait cette absorption mutuelle, l'éclatante lumière de la queue flamboyante de la comète l'inonderait, et pendant trois nuits, produirait une clarté plus éclatante que le jour. »
Mais il en fut de la comète du professeur Neumayer comme de celle de 1852 : nous attendons toujours sa visite. Elle est sans doute égarée dans les espaces célestes.
L'opinion publique ne s'émut même pas de ces menaces. Quant aux savants ils malmenèrent un peu leur imprudent collègue.
L'un d'eux, un Italien, l'astronome Pieraggi, fit observer, d'un ton goguenard que le professeur Neumayer n'avait même pas signalé tous les malheurs que devait provoquer la visite de cette comète à notre globe. Et-il remarqua, comme on l'a fait ces jours-ci, à propos de la comète de Halley, que la terre était menacée non seulement d'un choc qui la transformerait en pluie d'aérolithes, mais encore d'une infection gazeuse qui asphyxierait tous ses habitant. D'autres se contentèrent de rappeler l'opinion optimiste émise naguère par Arago sur les possibilités d'une pareille catastrophe :
« Est-il possible, s'était demandé Arago qu'une comète vienne choquer notre globe ? »
Et il avait répondu ;
« C'est possible, mais excessivement improbable.
» L'évidence de cette proposition, ajoutait-il, sera complète, si l'on compare au petit volume de la terre et des comètes l'immensité de l'espace dans lequel ces globes se meuvent. »
Toutefois, la rencontre ayant lieu, Arago se demandait quels en seraient les effets.
« Si, écrivait-il, l'astre avait un noyau solide et un grand diamètre, les effets du choc seraient effroyables.
Supposons de mouvement de translation de la terre aéanti, aussitôt tout ce qui n'est pas adhérent à sa surface, comme les animaux, les eaux, en partiraient avec une vitesse de huit lieues à l'heure... »
Ce serait un beau spectacle. Mais l'astronome s'empressait de le déclarer impossible. Ayant démontré que les comètes ne sont qu'un amas de matière presque éthérée, il concluait que, non seulement la rencontre d'un de ces astres avec la terre n'occasionnerait aucun bouleversement dans cette dernière, mais encore que, sans doute, elle s'effectuerait sans que personne s'en aperçût.
C'était également l'avis d'un autre astronome célèbre, M. Faye, qui disait : « La moindre toile d'araignée opposerait peut-être plus d'obstacle à une balle de fusil. »
Et, en même temps, un troisième savant non moins illustre, M. Babinet, établissait par ses calculs que notre atmosphère, attendu son extrême densité, même à sa limite supérieure, comparativement à celle de la matière cométaire, serait absolument impénétrable à celle-ci.
De tels arguments exprimés par de tels hommes étaient de nature à rassurer les plus poltrons.
Que ceux qu'inquiéterait désormais l'approche d'une comète en fassent leur profit. Ils dormiront ensuite sur leurs deux oreilles.
Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 23 Mai 1910