LES FUNÉRAILLES DU ROI ÉDOUARD VII
DANS LA CHAPELLE SAINT-GEORGES A WINDSOR

Après trois jours d'exposition dans Westminster-Hall,
en ce lieu illustre, témoin de tant de grands faits de l'histoire
d'Angeterre, le corps du roi défunt a été transporté
au château de Windsor. Et c'est là, dans la célèbre
chapelle Saint-Georges, cette merveille de l'art gothique, que s'est
déroulée la dernière phase des funérailles
du souverain.
Sous les voûtes du merveilleux édifice, quelques centaines
d'assistants seulement avaient pu prendre place, mais c'étaient,
outre la famille royale, les plus puissants souverains d'Europe, les
représentants de toutes les nations de l'univers, c'étaient
tous les grands dignitaires du pays.
Cette cérémonie couronna dignement la série des
solennités imposantes auxquelles on peut dire que, non seulement
la Grande Bretagne, mais le monde entier s'associa, en hommage à
la mémoire d'un souverain qui fut un homme de bien, un fervent
ami de la paix, un grand roi.
VARIÉTÉ
Propos variés sur le Tabac
Les fumeurs ne sont pas contents. -
Pourquoi fument-ils ? - Origine diabolique de l'herbe à Nicot.
- Le temps des persécutions. - Les chefs d'État et le
tabac.
Les fumeurs ne sont pas contents : l'État
les brime et les exploite. Ils se plaignent, ils crient, ils font des
meetings, ils jurent de renoncer à leur passion. Mais il en est
de leurs serments comme de la fumée de leurs pipes, de leurs
cigares où de leurs cigarettes : autant en emporte le vent !...
Les fumeurs paieront leur tabac de plus eu plus cher, mais ils fumeront
tout de même... Ces messieurs de la Régie le savent bien,
et ils ne s'émeuvent en aucune façon de la colère
des fumeurs.
La passion du tabac est une des plus impérieuses parmi les passions
humaines.
Et par quoi est-elle justifiée ?... Voilà une question
à laquelle les fumeurs sont généralement hors d'état
de répondre.
Dernièrement, un savant allemand, le docteur Van Vleuten, publia
dans la. revue Nord und Süd les résultats d'une
enquête faite par lui touchant l'influence du tabac sur la production
artistique et littéraire : or, de cette enquête, il semble
résulter que les fumeurs ignorent absolument en quoi peut bien
consister la jouissance que leur procurent la pipe, le cigare ou la
cigarette.
Ceux que le docteur Van Vleuten consulta furent incapables de déterminer
exactement les sensations qu'ils éprouvent lorsqu'ils fument.
« Ce ne sont, dit le savant, que des impressions vagues, des «
il me semble » ou « je me figure » ou bien tout au
plus « je crois pouvoir observer ». N'est-ce pas là,
conclut-il, une démonstration formelle de ce qu'il y a d'insaisissable
dans l'effet plaisant du tabac sur notre organisme ? »
Donc, aucun fumeur ne sait pourquoi il fume. Cependant, la plupart de
ceux qui répondirent à M. Van Vleuten n'hésitèrent
pas à lui déclarer qu'ils consentiraient plus volontiers
à se priver de choses nécessaires à la vie que
d'abandonner leur cigarette.
Ainsi que l'observe fort justement M. T. de Wyzewa, qui nous a donné
la traduction de cette enquête, « i1 y a là un élément
de mystère le plus étrange du monde.»
Voilà quatre siècles que les peuples d'Europe usent du
tabac, et nous en sommes encore à démêler bien exactement
les sensations qu'il éveille en nous.
Pourtant, voyez comme son attrait est puissant et tenace. Le docteur
Van Vleuten rappelle, au début de son étude, tous les
obstacles longtemps opposés à la diffusion du tabac. «
Lorsque, en l'an 1586, les Espagnols ont vu fumer les matelots revenais
du Nouveau-Monde, ils ont trouvé cette coutume indienne profondément
ridicule. Mais la coutume s'est aussitôt répandue avec
une rapidité prodigieuse ; et il n'a servi de rien qu'un roi
anglais se constituât homme de lettres spécialement afin
d'écrire un pamphlet contre le tabac, ni qu'une bulle du pape
Urbain VIII menaçat les fumeurs des foudres de l'Eglise. En Turquie,
on châtiait ces criminels en leur enfonçant leur pipe dans
le nez ; en Russie, un tsar ordonnait que tout homme surpris à
fumer reçût le knout, et eût le nez coupé
au cas de récidive ; tandis que tous les autres États
de l'Europe sévissaient, de leur côté, avec plus
ou moins de rigueur, contre ce qu'ils jugeaient être un danger
public. Tout cela vainement : d'année en année, le tabac
triomphait des mesures de police les plus énergiques ; et aujourd'hui,
la consommation qui s'en fait est incalculable. »
N'est-ce point ce pouvoir mystérieux et irraisonné du
tabac qui lui fit attribuer dans la tradition populaire une origine
diabolique ?...
En maints pays, en effet, le tabac passe pour être une invention
du diable.
M. Paul Sébillot a recueilli à ce sujet quelques croyances
fort curieuses répandues parmi les peuples de l'Europe orientale.
En Galicie, en Bosnie et en Lithuanie, on assure que le tabac poussa
spontanément sur la tombe où fut inhumé Judas.
En Russie, les moujiks croient que l'herbe fatale poussa tout d'abord
sur la tombe d'une nonne morte en état de péché.
Un médecin du pays, homme païen et sans foi, recueillit
l'herbe, la planta dans son jardin. Chaque matin il la respirait ; et
il devenait gai pour tout le reste du jour. Alors, autour de lui, tout
le monde voulut avoir de cette herbe dont le parfum donnait la joie.
On en planta dans tout le district. Ce fut, à plusieurs lieues
à la ronde, une ivresse générale. En vain les évêques
maudirent-ils l'herbe coupable : elle continua de pousser.
Dans l'Ukraine, il y a sur le tabac une légende fort touchante.
Au temps jadis, le fils d'un roi de ce pays aima une dame d'honneur
de la reine. Le mari de la dame découvrit les amoureux et se
plaignit à la justice. Celle-ci était, à ce qu'il
paraît, très sévère pour les amoureux. Elle
condamna le jeune prince à avoir la tête tranchée,
mais elle voulut que sa complice vécut pour regretter sa faute
et pleurer son amant.
La belle dame pleura, en effet. Chaque soir elle s'en venait, habillée
de deuil, s'agenouiller sur le tombeau du jouvenceau, et elle arrosait
la terre d'abondantes larmes. De ces larmes qu'elle versait, une herbe
aux larges feuilles ne tarda pas à pousser. La dame supplia Dieu
de mettre pour cette plante au coeur des hommes l'amour profond que
son coeur de femme avait donné au pauvre prince.
Or, cette plante était le tabac... Et l'on sait si la providence
a exaucé le souhait de l'amoureuse désolée.
S'il faut en croire encore une légende populaire en Poméranie,
le nom même du tabac lui aurait été donné
par le diable. Et voici comment les hommes connurent ce nom :
Certain jour, un paysan poméranien avait aperçu le Démon
planter dans une lande des herbes surnaturelles mais quand il s'était
risqué sur leur nom à interroger Satan, Satan goguenard
avait répondu : « Si tu réussis à découvrir
ce nom, avant trois jours, ce nouveau champ et ses trésors sont
à toi, sinon c'est ton corps et ton âme qui m'appartiennent.
» Le paysan accepta et il courut conter l'aventure à sa
femme.
Celle-ci se dévêtit, se glissa dans un tonneau de goudron
puis se roula dans des plumes et, la nuit venue, alla rôder dans
le champ diabolique. Le diable accourut et cria : « Hors d'ici,
grand oiseau maudit ! ne touche pas à mon tabac ! »
Le mot attendu était lâché ! Le lendemain le paysan
reçut le champ des mains du diable.
Et voilà qui prouve qu'en fait de malice la femme est parfois
capable d'en remontrer au diable lui-même.
***
La vérité, c'est que le nom du tabac vient de Tabago,
la petite île des Antilles où cette plante poussait à
l'état naturel. Les Espagnols l'y découvrirent et l'importèrent
en Europe. En même temps, les Portugais découvraient cette
même plante au Brésil, où les naturels l'appelaient
petum. Longtemps, on la désigna sous l'un et l'autre
nom. Ce n'est qu'au XVIII siècle que le mot tabac triompha définitivement.
Les premières graines de petum furent envoyées
à Paris en 1560 par Jean Nicot, ambassadeur de France en Portugal.
Le tabac fut d'abord employé en poudre et comme médicament.
A la cour de Charles IX on le prenait contre la migraine. Catherine
de Médicis en faisait, paraît-il, un usage constant.
Ce n'est que plus tard qu'on commença à le fumer. Pourtant
cet emploi du tabac était connu déjà depuis plus
d'un demi-siècle. Christophe Colomb, quand il débarqua
à Cuba, en 1492, remarqua que les indigènes fumaient.
Jacques Cartier fit la même observation à son arrivée
au Canada en 1534.
« Les indigènes de ce pays, a-t-il écrit, possèdent
une certaine herbe dont ils font provision : ils en portent une certaine
quantité dans un petit sac pendu à leur cou ; ils s'emparent
d'un morceau de bois creux semblable à un sifflet et placent
l'herbe sèche et même en poudre à l'une des extrémités
de ce sifflet, dont l'autre extrémité est dans leur bouche
; ils placent dessus un charbon, aspirent la fumée et la rendent
par la gorge ; leur narine fait ainsi l'office de la cheminée
des maisons. »
Et il ajoute : « Nous les imitions, mais la fumée, en arrivant
dans notre bouche nous brûle comme du poivre. »
Les matelots d'aujourd'hui ont le palais moins délicat.
Dès la fin du XVIe siècle, on fumait au pays basque. Le
conseiller de Lancre, membre du Parlement de Bordeaux, l'a remarqué
et noté ainsi dans ses mémoires :
« Ils ont, dit-il, en parlant des Basques, un effroyable défaut,
c'est d'user du petum ou nicotiane. Ils tirent de
cette plante une fumée dont ils se servent pour se décharger
le cerveau et se soutenir contre la faim. Cette fumée leur rend
l'haleine et le corps si puants qu'on ne peut les souffrir. »
Et ce conseiller à l'odorat si délicat compare les fumeurs
basques à des sauvages.
C'est dans des termes pareils que beaucoup d'écrivains d'autrefois
parlent du tabac. L'herbe à Nicot, ainsi qu'on l'a vu plus haut,
fut d'abord assez mal accueillie.
Les fumeurs furent persécutés, car tous les souverains
d'Europe se piquaient de partager sur le tabac l'opinion de Jacques
Ier d'Angleterre, qui le déclarait « répugnant à
la vue autant qu'à l'odorat, dangereux pour le cerveau, malfaisant
pour la poitrine, et lui reprochait de répandre des odeurs aussi
infectes, que si elles sortaient des antres infernaux... »
Mais, en dépit, ou peut-être même à cause
de ces persécutions, la passion du tabac continua de se répandre
à travers l'Europe, et bientôt tous les gouvernements la
tolérèrent en attendant d'en tirer profit.
***
Il est pourtant des pays où la liberté d'user du tabac
ne fut conquise que fort tard. A Berlin, ce n'est que depuis 1832 qu'il
est permis de fumer dans la rue et au Thiergarten. Jusqu'à cette
date, il était défendu « par égard pour les
convenances publiques ne de se montrer dehors la pipe ou le cigare aux
lèvres, et les délinquants étaient passibles d'une
amende de deux thalers, et même de la prison, s'il y avait récidive.
Aujourd'hui, les gouvernements, loin de défendre l'usage du tabac,
ont intérêt à le développer. Chez nous, le
monopole a rapporté à l'état plus de 15 milliards
en un siècle. En Angleterre, le commerce est libre, mais il est
interdit de récolter le tabac. Toute la consommation est importée,
et le droit prélevé par l'État sur les importations
lui rapporte chaque année plus de 250 millions de francs.
En Allemagne, la culture du tabac est autorisé, mais le planteur
est soumis à un impôt qui rapporte de fortes sommes au
budget de l'État.
Bien loin d'imiter les souverains d'autre fois, qui condamnaient les
fumeurs à mort, les chefs d'état d'aujourd'hui leur donnent
l'exemple.
Le roi Édouard VII, qui vient de mourir état un grand
fumer devant l'Éternel. Il avait presque toujours un gros cigare
aux lèvres. Mais, sur son yacht ou dans son parc de Windsor,
il fumait volontiers la pipe ; et sa pipe était généralement
une modeste bouffarde enracine de bruyère.
La bourrait-il lui-même ?... je l'ignore.
Toujours est-il qu'il aurait pu la faire bourrer par un fonctionnaire
spécial le « bourreur des pipes du roi ».
Vous savez que la cour d'Angleterre est celle où sont conservées
le plus grand nombre de ces fonctions extraordinaires : il y a le fonctionnaire
aiguise-couteaux, le découpeur en chef du roi, le grand serveur,
le grand. maître du garde-manger, le porte-sandales, le porte-coiffures
; il y avait le bourreur des pipes du roi.
L'origine de cette institution remontait, paraît-il, à
Charles II. Ce prince avait contracté l'habitude de fumer la
pipe. Mais les pipes, de cette époque étaient grossières,
incommodes et mal façonnées ; une attention très
soutenue était indispensable pour les en remplir. Un page fut
donc appointé spécialement pour cet office. Il lui fut
alloué traitement annuel de 100 livres, soit 2.500 francs. Dans
un moment de générosité . Charles II, par un décret
en règle, fit un fonctionnaire de l'État du préposé
à l'entretien de son attirail de fumeur. L'emploi fut héréditaire
jusqu'en 1765, dans la famille des ducs de Grafton. Il passa ensuite
à un négociant, nommé Harrison, qui le transmit
à ses descendants.
Il se peut que la fonction existe encore... En Angleterre, rien ne se
perd. Mais j'imagine que le roi Édouard VII en avait fait une
sinécure.
Guillaume II fut autrefois un grand fumeur de pipes et de cigares. Des
menaces de laryngite le forcèrent à renoncer au tabac.
Le tsar fume la cigarette ; le roi de Grèce également.
Il en est de même pour Alphonse XIII et le jeune roi Manoël
de Portugal.
L'empereur d'Autriche, malgré son grand âge, fume encore
sa pipe et ne s'en porte pas plus mal.
M. Roosevelt -- parlons de lui, puisqu'on le traite toujours en chef
d'État - fume surtout la pipe. Victor Emmanuel est le plus petit
fumeur du Gotha : la moitié d'une cigarette de temps en temps,
cela suffit à satisfaire ses goûts pour le tabac.
Quant à la gracieuse reine Wilhelmine, on prétend qu'elle
grille volontiers quelques cigarettes dans l'intimité... Et dame,
il n'y a pas de mal à cela.
Les présidents de notre République ne furent pas toujours
des amis du tabac. M. Thiers l'avait en horreur ; le maréchal
de Mac-Mahon en était devenu l'adversaire à la suite d'une
grave maladie et n'en usa jamais durant sa présidence. Grévy
avait cessé de fumer en prétendant que le tabac lui occasionnait
des absences de mémoire. Carnot ne fumait pas et détestait
l'odeur de la pipe, du cigare ou de la cigarette. Casimir-Perier en
grillait une de temps en temps, bien rarement.
Avec Félix Faure revint le règne du tabac. Il fumait beaucoup
et avait un faible pour le cigare. M. Loubet partageait son temps entre
Marianne et sa pipe. Enfin M. Fallières, très modérément,
fume le cigare à Paris et la pipe au Loupillon, en surveillant
ses vignes. Et c'est bien le moins, n'est-il pas vrai, que le premier
magistrat de la République donne l'exemple en un pays où
le tabac est un si ferme soutien du budget national.
Ernest LAUT.