LE DÉFILÉ DES FUSILIERS MARINS A LA REVUE DU 14 JUILLET


L'amiral de Lapeyrère a eu l'heureuse idée d'associer la marine à la revue de Longchamp. Les Parisiens ont vu défiler à la revue, au milieu des troupes métropolitaines et coloniales, un bataillon de fusiliers marins, avec leur artillerie de campagne et leur matériel de débarquement. Ce n'est pas la première fois que le fait se produit : il y a une vingtaine d'années, les marins ont paru, à la revue mais la tradition s'en était perdue. Espérons que, cette fois, elle sera conservée.
Nos braves mathurins ont reçu un accueil enthousiaste. Même après quarante ans passés, Paris n'a pas oublié quelle part glorieuse les fusiliers marins ont prise à sa défense en 1870-71 ; il sait l'héroïsme qu'ils ont déployé, Bretons, Normands, Provençaux; pendant le terrible bombardement qu'eurent à subir les forts de la capitale et dans les divers combats livrés sous les murs de la place, au Bourget, où le corps de marine engagé fut presque anéanti, au plateau d'Aviron, à Saint-Denis, à Châtillon.
Le bataillon qui défila le 14 juillet venait de Lorient ; il comprend quatre cents hommes et est sous les ordres du capitaine de frégate André Fouet, un brave qui a fait brillamment ses preuves dans la dernière campagne du Maroc.

VARIÉTÉ

LA SAISON DES EAUX

Triste saison. - Stations thermales d'autrefois. - Renaissance des villes d'eaux au XVIIe siècle. - L'attrait du jeu. - Les plaisirs de Bade. - Une eau qui fait engraisser ou maigrir au choix.

Peut-on dire que la saison des eaux bat son plein ? Le cliché, cette année, ne s'impose guère. A la vérité, la saison des eaux est languissante. De toutes nos stations thermales, les plaintes affluent contre le mauvais temps qui retient les baigneurs au logis. Les eaux célestes font tort aux eaux minérales. Il a tant plu, il a fait si froid que beaucoup d'égrotants n'ont pas osé quitter le coin de leur feu pour aller chercher au loin, sinon la santé, du moins l'espoir de quelque adoucissement à leurs souffrances.
Or, savez-vous qu'il y a en France 392 établissements thermaux où l'on soigne toutes les maladies qui désolent notre pauvre humanité. Tel est le chiffre que nous donne la dernière statistique, laquelle nous apprend encore qu'on exploite dans ces établissements 1,927 sources, dont 784 ne sont utilisées qu'en boisson, 396 en boisson et en bains, et 243 consacrées exclusivement à ce dernier usage.
La statistique ajoute que les départements les mieux partages au point de vue thermal sont : le Puy-de-Dôme, les Vosges, l'Ardèche et les Pyrénées-Orientales ; le premier a 94 sources, le dernier 54.
Vous jugez quel concert de malédictions s'élève de ces trois cent quatre-vingt-douze stations thermales contre l'inclémence du temps et la trop grande abondance des célestes cataractes. Car il n'y a pas que les établissements thermaux qui souffrent de cette température anormale : il y a les hôtels; les casinos et tout le commerce de ces villes qui vivent uniquement des baigneurs et doivent faire en quatre mois le profit de leur année.
L'industrie balnéaire représente aujourd'hui des intérêts considérables. Tout le monde va peu ou prou dans les villes d'eaux ou aux bains de mer. La facilité des communications a développé le goût de ces villégiatures. A la veille de la Révolution, on mettait dix-sept jours pour se rendre dans les villes d'eaux des Pyrénées.
Quelques heures suffisent aujourd'hui, et le coût du voyage est dix fois moindre qu'il y a cent vingt ans.
Il est vrai que le séjour est dix fois plus coûteux qu'alors. On vivait à peu près pour rien dans les stations balnéaires françaises éloignées de Paris... Nous sommes loin, hélas ! du temps où Mme de Sévigné écrivait de Vichy à sa fille qu'elle achetait « deux poulets pour trois sols. » et que le reste était en proportion. La vie aux eaux est ruineuse aujourd'hui, et elle le sera d'autant plus que le mauvais temps, comme il est advenu cette année, rendra la saison favorable plus courte, et que les tenanciers d'établissements thermaux, de casinos, d'hôtels, auront moins de temps pour tirer le profit qu'ils escomptent de leurs exploitations.

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La mode des saisons thermales n'est point, comme d'aucuns se l'imaginent, une pratique de notre civilisation moderne. Elle remonte même plus haut, beaucoup plus haut que le XVIIe siècle, qui en vit, non point la naissance, mais la renaissance.
Nos lointains ancêtres les Gaulois appréciaient la vertu des eaux thermales et la mettaient à profit. Ils connaissaient la plupart des stations aujourd'hui célèbres et en fréquentaient même quelques autres qui disparurent au cours des siècles par suite de catastrophes naturelles : tremblements de terre, éruptions de volcans, avalanches, etc., et aussi par le fait du vandalisme des hommes.
L'invasion des Romains en Gaule ne fit qu'y développer l'exploitation des eaux thermales. Les conquérants apportaient aux vainqueurs leurs connaissances sur la matière. Depuis longtemps, en effet, les sources d'Italie étaient scientifiquement exploitées.
Des archéologues ont recherché par toute la France thermale les traces de nos ancêtres. Ces traces sont nombreuses. Les Romains connurent Uriage, Aix-les-Bains, Plombières, Luxeuil, Bourbonne, maintes autres stations encore, que les Gaulois, d'ailleurs, avaient fréquentées avant eux.
Certaines de ces stations étaient même, à l'époque gauloise, le siège d'un culte spécial en l'honneur de divinités qui, dans le panthéon de nos ancêtres, symbolisaient l'influence bienfaisante des eaux thermales. Le docteur P. Rodet, dans un savant travail sur ce sujet, nous dit que la principale de ces divinités était un dieu nommé Borvo, du celtique Berw, qui signifie « bouillant ».
Borvo, devenu Borm en latin, était adoré à Aix-les-Bains, à Aix-en-Provence, Bourbon, Bourbonne, la Bourboule sont autant de noms de lieux dérivés du nom du dieu Borm ou Borvo.
Une cure thermale se doublait alors d'un acte religieux. On invoquait la divinité tout en utilisant les eaux sur lesquelles s'étendait sa protection. Dans l'espoir de la guérison, on dédiait au dieu des inscriptions louangeuses et on lui faisait des offrandes votives, statuettes, pièces de monnaie, etc. C'est ainsi qu'on a retrouvé dans le fond d'un grand nombre de piscines antiques tant de souvenirs du passé. C'étaient les ex-voto que les égrotants jetaient dans la source en offrande au dieu pour se le rendre favorable.
MM. Bonnard et Percepied, deux archéologues qui ont, dans un ouvrage sur la « Gaule thermale », dressé la liste des sources et stations thermales et minérales de la Gaule à l'époque gallo-romaine, signalent ce fait curieux que certaines des stations les plus fréquentées par les Romains sont aujourd'hui tout à fait secondaires, et qu'il en est même qui ont totalement disparu.
Ainsi, Moind, près de Montbrison, était une station à la mode. Il y avait un théâtre, une immense hôtellerie, dont on a retrouvé les ruines. Les thermes avaient une importance considérable. Et tout autour se développait une grande ville pleine de monuments. C'était là, assure un historien de cette localité aujourd'hui réduite à l'état de bourgade, un peu ce qu'était Baïes pour Rome, une ville de plaisir, le Vichy du temps. Lors d'une invasion, au IIIe siècle, cette grande cité périt par le feu, et jamais elle ne se releva de ses ruines.
Les invasions des Barbares semèrent la destruction parmi les villes d'eaux gallo-romaines. Ces villes étaient toutes florissantes, ornées de monuments superbes, peuplées de riches habitants. Elles devaient exciter la convoitise des envahisseurs.
Ceux-ci, disent les auteurs de la « Gaule thermale », entrent en scène dès 213. Tout de suite les villes thermales attirent « ces peuples innombrables et féroces », comme les appelle saint Jérôme. Les hordes passent, pillent d'abord, détruisent ensuite. Les monuments sont saccagés, puis brûlés. « Luxeuil semble avoir été détruit par Attila en 451, après avoir beaucoup souffert en 275. En 590, saint Colomban n'y trouva que des ours, des buffles et des loups, au milieu des restes des thermes et des statues. Il prit d'ailleurs son parti de ces quadrupèdes, ne voyant dans les ruines que les signes de la disparition du « culte exécré des païens ». A Néris, il y a eu deux destructions, avec réfection intermédiaire. Evaux aussi a été brûlé ; le Mont-Dore, écrasé et saccagé ; Balaruc, saccagé ; Rennes-les-Bains, brûlé ; Aix-en-Provence, pillé et brûlé, de même que Royat, une des plus riches stations des Gaules. » Ce fut un recul au point de vue médical. Les Romains avaient acquis des connaissances sur les indications thérapeutiques des eaux : elles furent perdues. Ils ne voyaient pas uniquement dans les sources des réservoirs d'eau chaude fournie gratuitement par la nature : Pline, Hérodote, Salien, Aëtius savaient les effets particuliers des diverses sources ; déjà, à l'époque romaine, c'est à Vichy que les goutteux et les surnourris allaient soulager leurs reins, leur goutte, et leur tube digestif ; c'est à Luchon, à Amélie, et au Mont-Dore qu'on allait pour les maladies respiratoires ; à Aix, Evaux, Royat, la Bourboule, Plombières, Bourbon, pour les douleurs, les plaies, les affections de la peau ; à Néris, pour les nerfs... »
Certaines stations oubliées par les Barbares furent victimes de cataclysmes naturels. Menthon, sur le lac d'Annecy, était une station importante des Romains. Ce n'est qu'en 1865 qu'on a retrouvé l'établissement et la source, perdus depuis dix-huit siècles. Menthon fut probablement enfoui sous une avalanche de terre et de rochers.
Saint-Galmier fut ravagé par une inondation ; Aulus fut noyé également. Ydes, dans le Cantal, paraît avoir été précipité dans un trou.
Aix-les-Bains était parmi les grandes stations gallo-romaines. Son établissement fut détruit par la chute d'un amas de boue et de rocs tombé du mont Revard. En 1776, on l'a remis au jour et, dans une baignoire antique, on a trouvé le squelette d'un baigneur qui, venu là pour chercher la guérison de ses maux, n'y trouva que la mort. La catastrophe dut être si soudaine que le malheureux n'eut même pas le temps de sortir de sa baignoire. Il y demeura plus de quinze siècles.

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Victimes de la nature et du vandalisme humain, la plupart des stations thermales passèrent de longs siècles enfouies sous leurs ruines. Elles traversèrent ainsi la nuit du moyen âge.
Ce n'est guère qu'au XVIIe siècle qu'elles s'éveillèrent de leur long sommeil et qu'on vit renaître la saison des eaux.
A cette époque, plusieurs médecins, notamment le fameux Delorme en qui Mme de Sévigné avait toute confiance, se mirent à ne jurer que par la vertu des eaux. Quelle que fût la maladie pour laquelle on les appelait, ils envoyaient leur malade en quelque station thermale. Ce fut la renaissance de la plupart des villes d'eaux qu'avaient connues les Romains et qui sont aujourd'hui parmi les plus fréquentées. Vichy, Plombières, Spa, Bourbon-Archambault, le Mont-Dore, maintes autres encore, commencèrent dès lors à se développer. Paris même se paya le luxe d'être ville d'eaux. Il y avait à Passy des sources très fréquentées et, à Auteuil, une autre source « vitrioleuse et ferrugineuse » qu'on disait « apéritive, détersive, laxative, désopilant surtout le foie et la rate ».
En ce temps là, on n'allait guère aux eaux que pour se reposer et se soigner. Ce n'est que dans le premier tiers du XIXe siècle que, dans certaines villes d'eaux, on s'avisa d'ajouter aux charmes de la nature et aux espérances de guérison, les attraits du jeu.
Bade fut dans ce genre la station type. Ce n'était qu'une modeste bourgade lorsqu'en 1837 le gouvernement français interdit les jeux de hasard. Il y avait alors à Paris, boulevard Montmartre, un grand établissement de jeu, nommé Frascati, qui dut fermer ses portes. Le fermier des jeux de cet établissement, le sieur Bénazet, se demanda alors où il irait planter ses pénates. On lui fit à Bade quelques ouvertures ; et il partit, émigrant avec sa clientèle et emportant dans la petite ville de la Forêt Noire la roue de la Fortune qui, suivant le mot spirituel d'un Parisien du temps, « n'était qu'une roulette entre ses mains ».
Dès lors, la prospérité de Bade ne cessa de s'accroître. Elle dura jusqu'en 1870. Ce fut la station élégante au temps de Louis-Philippe et surtout du second empire. Il fallait aller à Bade comme il faut aujourd'hui aller à Trouville, sous peine de n'être pas du Tout-Paris.
On ne voyait là que des Français ; en n'y parlait que français. Un guide disait de Bade : « C'est une ville française située en Allemagne et où l'on peut voir Paris tout l'été ».
Alfred de Musset, qui fréquenta Bade comme tout bon dandy de son temps, nous en a fait une description pittoresque et narquoise :

Bade est un parc anglais fait sur une montagne,
Ayant quelque rapport avec Montmorency

Vers le mois de juillet, quiconque a de l'usage
Et porte du respect au boulevard de Gand,
Sait bien que le bon ton ordonne absolument
A tout être créé, possédant équipage,
De se précipiter sur ce petit village,
Et de s'y bousculer impitoyablement

Les dames de Paris savent, par la gazette,
Que l'air de Bade est noble et parfaitement sain.
Comme on va chez Herbault faire un peu de toilette,
On fait de la santé là-bas : c'est une emplette

On y faisait autre chose que de la santé.
On y faisait aussi de la misère et du drame.
Les salons de jeu y étaient ouverts à tout venant

L'abreuvoir est publie et chacun y vient boire,

disait encore Musset. Et les incidents tragiques troublaient souvent les joies des baigneurs.
La guerre de 1870 marque la fin des succès de Bade... Depuis lors, d'ailleurs, le Français qui veut perdre son argent sur le tapis vert n'a plus besoin de passer la frontière.

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Il y a des gens qui ne croient pas à la vertu des eaux. Ceux-là, j'imagine, prendront quelque plaisir à lire une jolie anecdote que rapporta jadis Alphonse Karr. Leur scepticisme s'en réjouira. Citons-la leur en terminant :
« L'acteur Perlet , raconte le spirituel pamphlétaire, était triste et malade ; quelques personnes lui conseillèrent les eaux d'Enghien. Perlet alla trouver le docteur Bouland, médecin des eaux, et lui exposa piteusement sa situation en lui demandant franchement son avis.
» - Croyez-vous, lui dit-il, que vos eaux me donneront un peu d'embonpoint ?...
» - Certainement, monsieur, certainement ; baignez-vous et vous engraisserez.
» Perlet se baigne, se baigne, et n'engraisse pas ; il se plaint au docteur.
» - Oh ! mais, monsieur Perlet, il faut de la persévérance, il faut un peu de temps; baignez-vous, monsieur, baignez-vous, et vous engraisserez.
» Mais un jour que, conformément aux conseils du docteur Bouland, Perlet était dans sa baignoire, il entend parler dans le cabinet voisin et reconnaît la voix du docteur.
» - Certainement, monsieur, disait le docteur.
» - Mais, répondait l'interlocuteur, j'ai beau me baigner, je ne maigris pas. Je crois que je suis plus énorme encore qu'à mon arrivée.
» - Ah ! mais, monsieur, il faut de la persévérance, il faut du temps ; baignez-vous et vous maigrirez.
» Perlet se leva effrayé, jeta un regard sur lui-même ; il lui semble qu'il était maigri. Il se précipita hors de son bain et s'enfuit. »
Ernest LAUT

Le Petit Journal illustré du 24 Juillet 1910