ARRIVÉE A PARIS DE MOUSSA
AG AMASTANE
AMENOUKAL DES TOUAREG HOGGARS

Nous disons plus loin, dans notre « Variété
» ce qu'est ce grand chef Targui qui honore en ce moment la France
de sa visite. Moussa ag Amastane est un fidèle ami de notre pays
et notre plus précieux auxiliaire au Sahara.
En récompense des services qu'il n'a cessé de nous rendre,
le gouvernement lui ayant fait demander quelle récompense lui
ferait le plus grand plaisir, Moussa demanda l'autorisation de visiter
la France. Et le colonel Laperrine l'emmena à Paris.
Moussa est accompagné de deux de ses cousins, son, khalifa Souri
ag Chekkal, et le brigadier Ouenni ag Mennir, un des premiers Touareg
ralliés à notre cause.
Son voyage a été un long émerveillement. Le paquebot
qui l'amena à Marseille, l'automobile qui le promène à
Paris, la hauteur des maisons, la belle ordonnance des troupes qu'il
a vu manoeuvrer, le fonctionnement de la télégraphie sans
fil qui lui permit de communiquer de Marseille à Alger avec le
général Bailloud, tout cela le plongea dans une admiration
et un étonnement profonds. Et le grand chef targui résuma
ses sentiments par un mot qui est le plus bel éloge qu'un homme
primitif puisse faire de notre civilisation.
« Les hommes qui ont fait tout cela, s'est-il écrié,
sont aussi puissants que Dieu ».
VARIÉTÉ
Au Pays de Moussa ag Amastane
La visite à Paris d'un grand
chef targui. - Comment nos officiers pacifièrent le Sahara. -
L'oeuvre du colonel Laperrine, - origine et moeurs des Touareg. - Des
musulmans qui ont le respect de la femme. - L'influence française
au Sahara.
Cette visite de l'amenoukal, ou grand chef des
Touareg Hoggar à Paris, marque une date dans l'histoire de la
pénétration française au Sahara.
Il y a quelques années encore, ces « pirates du désert
», comme on appelait les Touareg, étaient considérés
comme des ennemis irréductibles. Et, de fait, ils avaient fort
mal accueilli les premières tentatives de l'expansion française
dans l'océan de sables qui est leur domaine.
Pourtant, des explorateurs sans escorte avaient pu les approcher. L'Anglais
Richardson avait visité leurs tribus. En 1861 le Français
Duveyrier vécut pendant plusieurs mois avec eux. L'année
suivante, un de leurs chefs signa même un traité de commerce
avec le commandant des troupes françaises à Ghadamès.
Mais, ces bonnes dispositions ne durèrent pas. Successivement
plusieurs missions furent assaillies par eux dans le désert st
massacrées. Ainsi tombèrent sous la lance des Touareg,
les explorateurs Drumaux-Duperré et Joubert, en 1874, Flatters
en 1880 ; en 1881, les pères blancs Richard et Kermabon ; en
1896, le marquis de Morès.
En 1899, les explorateurs Foureau et Lamy instruits par ces massacres
successifs, se mirent en route à travers le Sahara avec une escorte
nombreuse ; les Touareg les attaquèrent et subirent un sanglant
échec.
Cette première manifestation de notre puissance fit réfléchir
les « pirates du désert ». D'autre part, notre occupation
progressive du Tidikelt, du Gourara, du Touat, nous mettait chaque jour
en contact plus direct avec les Touareg Hoggar. Et, ceux-ci commençaient
à s'apercevoir que nous n'en voulions pas à leur indépendance.
Ils apprenaient à nous connaître.
Déjà, un parti s'était formé parmi eux en
faveur de la paix. Moussa ag Amastane, notre hôte d'aujourd'hui,
en était le chef.
Mais le plus grand nombre n'avaient pas désarmé. Nos postes
étaient sans cesse sous la menace d'une attaque ; et les caravanes
qui traversaient le désert devaient payer de lourds tributs aux
Touaregs sous peine se se voir assaillies et décimées
par eux.
Il fallait frapper un coup et réduire ces pillards. En 1902,
un rezzou ayant fait une incursion sur notre territoire, le lieutenant
Cottenest fut envoyé à sa poursuite avec 130 hommes de
la compagnie du Tidikelt. Il parcourut tout le territoire des Hoggars
et ayant rencontré à Tit, 300 Touareg, il leur infligea
une sanglante défaite.
Ce combat marque, dans nos rapports avec les Touareg, la fin de la période
d'hostilité.
Dès lors commença l'ère des négociations.
Nos officiers s'y révélèrent diplomates aussi habiles
qu'ils s'étaient montrés auparavant bons soldats. Ils
ne laissèrent échapper aucune occasion de témoigner
aux Touareg nos intentions pacifiques tout en leur laissant voir que
nous étions de force à les réduire le cas échéant.
Peu à peu, ils gagnèrent la confiance de ces voisins soupçonneux
et turbulents. Moins d'un an après le combat du Tit, le lieutenant
Besset entreprenait une exploration dans les régions occupées
par les Touareg et en revenait sans avoir été inquiété.
De cette époque date l'oeuvre admirable de pénétration
pacifique entreprise par le colonel Laperrine. C'est à cet officier
aussi prudent que brave que la France doit pour la plus large part,
cette conquête des lointaines oasis.
Dès son premier voyage chez les Touareg, le colonel Laperrine
put constater que les « pirates du désert » s'accoutumaient
à notre contact. Il parcourut le pays en toute sécurité
et revint avec les promesses de soumission d'une partie de la tribu
des Hoggars.
Cette politique de conciliation avait, au sein même du pays targui
des résultats presque immédiats. Le parti de la paix et
de l'alliance avec la France s'augmentait de jour en jour. L'aménoukal
ou grand chef des Hoggars Tissi ag Chikat, notre ennemi irréductible,
qui se flattait d'avoir massacré Flatters de sa main, avait dû
fuir, et Moussa ag Amastane avait été appelé à
le remplacer.
Le premier acte de Moussa fut de faire des avances aux autorités
françaises. Dès lors, la pacification de la région
était assurée.
Mais nos officiers voulaient obtenir du chef des Hoggars une démarche
qui impressionnât ses tribus et leur inspirât dorénavant
confiance absolue dans la France. Ils voulaient que Moussa vînt
en personne à In-Salah apporter la soumission de son peuple.
Moussa y vint, malgré les craintes des Touareg qui s'imaginaient
que les Français ne leur rendraient pas leur aménoukal.
Il fut reçu solennellement par le colonel Laperrine qui le nomma
commandant de territoire ; et il prit l'engagement de maintenir le pays
dans l'ordre le plus parfait.
Dans l'accord qu'il signa avec le colonel Laperrine, Moussa tint à
inscrire de sa main cette phrase où se marquait sa volonté
de faire respecter désormais explorateurs et caravanes : «
Un esclave portant de l'or sur sa tête pourra traverser le Hoggar
en toute sécurité ».
***
Et Moussa et ses tribus ont noblement respecté la foi jurée.
Dès lors, le colonel Laperrine organisa constamment à
travers les régions occupées par les Touareg, des caravanes
militaires sous les ordres des officiers des compagnies sahariennes.
Ainsi les hommes du désert s'accoutumèrent à voir
nos soldats, à vivre en contact avec eux. Il y a six ou sept
ans encore les Touareg dès qu'ils apercevaient les méharistes
français se sauvaient de toute la vitesse de leurs chameaux.
Mais bientôt ils se laissèrent approcher et ils prirent
confiance. Un officier qui dirigea l'une de ces randonnées à
travers le désert, racontait naguère comment cette confiance
se manifestait librement.
« Les Touareg Taïtogs, disait-il, se considéraient
dans notre camp absolument comme chez eux. Et en voyant ces grands enfants
folâtrer avec nos méharistes, plaisanter bruyamment, danser
et se prêter à toutes les fantaisies de nos photographes,
le souvenir du Saharien conventionnel, qu'on s'est plu à dépeindre
comme le plus grave et le plus majestueux des personnages nous faisait
rire. Dans le Tifedest les femmes et les jeunes filles nous ont fait
la charmante surprise de venir nous donner une aubade, un matin, en
s'accompagnant du violon targui a uns corde... »
Ainsi, grâce à la force de nos armes, jointe à l'habileté
diplomatique de nos officiers, la France a assuré la pacification
du désert et conquis la confiance et l'amitié d'une race
qui fut jusqu'ici impénétrable.
Qu'est donc cette race et d'où vient que ses moeurs présentent
avec celles des Arabes des différences si profondes ?
Les Touareg ont le teint bronzé, mais plus clair que celui des
Arabes, les cheveux longs, lisses et noirs, la barbe rare, les yeux
noirs, les membres musculeux. Ils sont de taille haute et svelte.. La
mode, chez les chefs est de porter la moustache longue et la tête
rasée sauf une tresse.
Bien que musulmans, ils ne suivent guère les pratiques fondamentales
de la religion du Prophète, ne jeûnent pas, ne font pas
les ablutions traditionnelles.
Les purs musulmans les accusent d'être de mauvais croyants ; et
il est probable que les Touareg subirent dans le passé les effets
du zèle religieux des sectateurs du Prophète. Les Arabes
disent d'eux qu'il fallut les convertir de force sept fois de suite
à l'islamisme.
Cette répugnance à accepter les doctrines de l'Islam,
jointe à certaines particularités de la race à
certains détails des moeurs a fait attribuer aux Touareg une
origine tellement invraisemblable que je n'oserais vous exposer cette
doctrine ethnologique si des savants eux-mêmes n'avaient paru
en accepter la possibilité.
On a dit des Touareg qu'ils seraient les descendants de chevaliers français
qui avaient accompagné Saint Louis à la croisade et qui,
après la mort du roi, auraient été repoussés
dans le désert par les Arabes et se seraient mêlés
aux tribus berbères.
De fait, si peu qu'on ait pu jusqu'ici étudier leurs traditions,
on y a trouvé des croyances chrétiennes... Les ancêtres
de ces mauvais Musulmans ont peut-être été de bons
chrétiens. On y a même trouvé la trace de légendes
particulières au pays normand et breton.
Avouez qu'il serait curieux de se dire que ce Moussa ag Amastane, ce
grand chef des Touareg qui est en ce moment notre hôte, est peut-être
le descendant de quelque preux chevalier de Bretagne ou de Normandie.
Un argument encore en faveur de l'origine française et chrétienne
des Touareg : la croix figure toujours parmi les amulettes de ces hommes
du désert. La garde de leurs épées est en forme
de croix ; ce sont de véritables épées de chevaliers
du XIIIe siècle... Et, détail typique, sur la larme de
ces épées qu'ils nomment « Damas » ce trouve
toujours figuré un globe, surmonté d'une croix. Notre
dessinateur qui fit ici le portrait de Moussa ag Amastane, M. Louis
Bombled qui visita naguère le pays des Touareg avec le philologue
Masqueray me faisait observer encore que leur coiffure, ce turban élevé
et ce « litham » qui ne laisse découverts que les
yeux affectait fort exactement la forme du heaume des chevaliers du
Moyen Age.
Ce voile, il est vrai, ce « litham » est imposé aux
Touareg par la nature même du pays où ils vivent. Il a
pour but d'abriter les voies respiratoires contre le sable du désert.
Autre trait fondamental des moeurs qui différencie singulièrement
les Touareg des Arabes et des autres peuples musulmans : ces fils du
désert sont monogames ; ils ont le respect de la femme ; et tandis
que chez eux, ce sont les hommes qui se voilent la figure, les femmes,
au contraire, vont le visage découvert.
Une femme de lettres française, Mme Jean Pommerol eut la fantaisie
de se rendre, il y a quelques années chez les Touareg Azgueur.
Sur la façon dont ces guerriers traitent la femme, elle fit d'intéressantes
remarques qu'elle consigna dans un pittoresque volume intitulé
« Une Femme chez les Sahariennes ».
«L'excellent Targui Ouen Titi, beau-frère du grand chef
des Azgueur Aghitaghel, m'a honorée de ses confidences psychologiques,
raconte Mme Pommerol, et, ajoute-t-elle, ce n'était pas banal
les épanchements de ce grand diable encapuchonné, voilé
de bleu, tenant de la dextre sa lance et de la senestre son poignard.»
Il blâmait les Arabes de dissimuler leurs femmes.
». - Vois-tu, disait-il lentement, nous autres guerriers, cachons
notre visage afin que l'ennemi ne sache pas ce qui nous domine, la paix
ou la guerre. Mais la femme n'a rien à cacher, car l'ennemi ne
l'approche point...
» Puis il ajoutait :
- La femme est la mère du bon conseil et de la sagesse. S'il
n'y avait que des femmes parmi nous les Touareg auraient vaincu le monde
; ils posséderaient jusqu'à Paris. »
Un tel respect, un tel enthousiasme pour la femme chez des Musulmans...
Croirait-on pas plutôt entendre parler quelqu'un de ces chrétiens
primitifs, un de ces Abyssins, par exemple, chez lesquels le respect
de la femme est élevé à la hauteur d'un culte ?
Mme Pommerol dit que la Targuïya (la femme targui) jouit d'une
indépendance et d'une influence fort grandes. Elle s'en va seule,
à dos de méhari, dans les immensités du désert.
Elle est admise aux conseils, elle bénéficie du pouvoir
de son mari comme chef si elle devient veuve. D'ailleurs l'héritage,
Chez les Touareg, se transmet par les femmes ; on y est l'hoir de son
oncle, non de son père.
Le sentiment qu'a la Taiguïya de son importance et de sa valeur
aux yeux de son époux, lui inspire, comme bien vous pensez, un
profond mépris de la femme arabe si tristement domestiquée
de par la volonté du Coran.
Jugez de ce mépris par cette chanson satirique
que chantent les Targuïyett:
« Ah, ah ! la voilà la femme aux
voiles !
» Elle a peur de se montrer parce qu'elle est trop laide !
» Elle sait qu'elle est un gros tellis plein de graisse
froide ;
» Une outre pleine de bêtise et de vanité ! »
Elle obéit comme le chien, cette chienne, fille de chien !
» Quand les guerriers rentrent, elle ne panse pas leurs blessures
;
» Elle ne songe qu'à dormir et à augmenter son gros
corps ;
» Et quand elle voit la nourriture,
» Elle se tord d'aise et fait hhhhenn, hhhhenn !
» Comme à l'approche de l'orge fait un cheval. »
***
Le colonel Laperrine qui a amené à nous les Touareg et
qui, depuis plus de sept années, vit au milieu de leurs tribus,
tient en haute estime ce peuple de guerriers et de pasteurs. C'est dit-il,
« une race riche saine et forte, dont nous pouvons attendre beaucoup
».
Moussa ag Amastane qui est un type représentatif de cette race
et le chef le plus puissant du Sahara, a voulu en exprimant le désir
de venir à Paris, témoigner sa volonté de réaliser
tout ce que la France attend de lui et de ses guerriers.
C'est une pensée dont les Français doivent lui savoir
gré. Les Parisiens qui verront passer ce grand homme voilé,
ne devront pas le considérer comme un Siso wath ou un Dinah Salifou.
Moussa ag Amastane est un chef indépendant qui est venu à
nous librement, avec confiance, qui nous a toujours servi avec fidélité.
Il faut saluer respectueusement ce représentant d'une belle race
belliqueuse et fière dont la venue parmi nous marquera à
coup sûr une ère nouvelle dans le développement
de l'influence française en Afrique.
Ernest Laut