UN TYPE PARISIEN

LE CHARMEUR D'OISEAUX DES TUILERIES


Tous les Parisiens et tous les étrangers qui traversent notre capitale, connaissent M. Henry Pol cet excellent homme qui, en dépit de ses 75 ans, vient tous les matins et tous les après-midi apporter des mies de pain aux oiseaux des Tuileries. On le découvre en traversant le jardin au milieu d'un groupe de curieux. Des pigeons irrespectueux, viennent se poser sur son épaule ; des moineaux impudents s'installent sur son chapeau. A chacun, il a donné un nom. Voici le « Kroumir », voici le « Danseur », « Marie Stuart », « Robert Macaire » ; il les connaît tous et tous le connaissent. Quand il arrive au jardin, une centaine d'oiseaux lui font escorte et, le banquet terminé, quand il quitte la place, toute sa petite famille l'accompagne.
La. tâche de charmer les oiseaux, que s'est donnée M. Pol, exige non seulement une patience et une douceur infinies, mais encore un sentiment très vif de la psychologie animale. Il faut comprendre les oiseaux pour s'en faire aimer, pour leur parler un langage qu'ils puissent entendre. M. Pol y réussit à merveille.
Nos lecteurs verront en lisant notre « Variété » qu'il est question de décorer M. Pol du Mérite Agricole. Voilà une distinction que tous les Parisiens approuveront.

VARIETE
L'Homme et l'Oiseau

Un type parisien. - Moineaux de Londres. - Hirondelles familières. - La reconnaissance des pinsons. - Rossignols voyageurs. - L'amitié d'une corneille. - Si l'homme avait voulu...

M. le ministre de l'Agriculture, traversant ces jours-ci le jardin des Tuileries pour se rendre à son ministère, avisa le charmeur d'oiseaux, qui était en train de distribuer leur pitance quotidienne à ses petits amis, les ramiers et les pierrots.
M. le ministre s'arrêta, contempla un instant ce tableau bucolique, et en fut si charmé qu'incontinent il conçut le projet de donner le Mérite agricole au charmeur de moineaux.
Voilà certes une jolie pensée à laquelle applaudiront tous les amis des petits oiseaux et tous les fervents du pittoresque de Paris.
Le charmeur d'oiseaux est une figure parisienne éminemment populaire. Il n'attire pas que les moineaux autour de lui ; il rassemble aussi les curieux ; et c'est une curiosité des plus sympathiques qui lui fait escorte. Les badauds aiment le charmeur d'oiseaux ; ils l'admirent ; ils ne se lassent pas de suivre d'un oeil amusé les évolutions de ses commensaux ailés ; et plus d'un, j'imagine, ne peut se défendre d'envier, à part lui, la petite popularité de cet homme qui a réussi à charmer ce qu'il y a de plus charmant dans la nature.
Le spectacle que donne le charmeur d'oiseaux n'est pas seulement original et gracieux: il me semble qu'il est aussi moralisateur. Et à ce point de vue, M. le ministre de l'Agriculture fait bien d'encourager celui qui, l'offre gratuitement chaque jour aux Parisiens.
Ce spectacle, en, effet, ne peut qu'éclairer ceux qui y assistent sur les causes de l'éternel malentendu qui éloigne de l'homme les autres animaux.
C'est la méchanceté, et la cruauté de l'homme qui ont mis à son égard les bêtes en défiance. Et quand l'homme est bon pour elles, les bêtes reprennent confiance et vivent en sympathie avec lui, commes elles devaient le faire aux premiers temps de la création
La preuve en est que les oiseaux sont plus ou moins sauvages et craintifs suivant qu'on les pourchasse ou qu'on les traite avec douceur. Allez à Londres : vous pourrez vous offrir du premier coup la joie de charmer les pierrots. Il y a dans Hyde Park un petit kiosque où l'on va prendre le thé avec des gâteaux. Asseyez-vous sur la terrasse. Vous n'y serez pas d'une minute qu'une nuée d'oiseaux vous entourera. Les moineaux grimperont sur vos genoux, monteront sur votre table, picoreront dans votre assiette agiront en un mot avec vous sans la moindre défiance.
A Paris, rien de pareil. Si vous n'êtes pas leur ami, leur fournisseur habituel, s'ils ne vous connaissent pas intimement, ils accepteront vos largesses, mais ils garderont leurs distances. Une crainte atavique les tiendra éloignés ; et ce n'est qu'à la longue et quand ils vous auront bien étudié qu'ils se décideront à entrer en confiance avec vous.
Cela prouve tout simplement que les moineaux de nos squares n'ont pas été traités toujours avec autant de douceur que les moineaux des parcs londoniens. Ils ont gardé de ce fait une sauvagerie instinctive et se montrent moins familiers que leurs frères de l'autre côté du détroit.
C'est la conduite de homme qui dicte à son égard celle des animaux.
Et si l'homme voulait, que de joies ne trouverait-il pas dans l'amitié des oiseaux.

***
Ceux-ci, en effet, ne demandent qu'à vivre en confiance avec lui.
Que de traits n'a-t-on pas cités sur la familiarité des hirondelles ! Il y a quelques années, un correspondant de la Société nationale d'Acclimatation, M. G. Pays-Mellier, y donnait à ce sujet de bien curieux détails.
M. Mellier, depuis longtemps, élève chaque printemps quelques nichées d'hirondelles. « Et rien, disait-il, n'est plus joli que de voir ces oiseaux en pleine liberté dès le mois de mai, volant à grande hauteur et venant toujours, au moindre appel, se poser sur mon doigt. »
« Un jour du mois d'août, rapporte-t-il, j'avais, au château de la Pataudière plusieurs visiteurs, grands amateurs d'oiseaux et pendant la longue promenade à travers le parc, je les intriguais fortement en me faisant suivre partout par de gentilles hirondelles que l'appelais et qui, planant à perte de vue, venaient toujours se poser sur ma main tendue. On put voir une hirondelle perdue dans les nues, tombant à chaque appel sur mon doigt, y restant sans peur des nombreux étrangers qui étaient avec nous, et se laissant prendre par eux toujours très facilement. Cet oiseau revenait toujours docile et happait adroitement les mouches qu'on lui présentait. »
Une Parisienne. Mlle Reyen, a réussi merveilleusement l'élevage des hirondelles dans un modeste appartement de Paris. Des personnes qui connaissent son amour pour les jolis oiseaux lui apportent chaque année un ou plusieurs nids d'hirondelles accidentellement abandonnés. Elle nourrit les petits à la becquée avec une pâtée de sa composition et elle y ajoute tous les insectes qu'elle peut trouver. Quand les petits sont adultes, on leur donne la volée ; mais ils reviennent presque toujours au logis où ils ont trouvé l'hospitalité et la vie.
Les oiseaux n'oublient pas ; ils ont cette mémoire du coeur que tant d'hommes perdent si facilement.
Jugez-en par ce trait qu'un propriétaire des environs de Besançon communiquait il v a quelques années à l'un de nos confrères :
« J'habite, écrivait-il, une propriété assez vaste, plantée d'arbres, où je prends plaisir à observer les petits oiseaux et à les défendre contre leurs ennemis naturels. Je regarde ces gentilles bestioles comme un des charmes de mon jardin, indépendamment des services énormes qu'elles rendent aux cultivateurs. Or, une de ces dernières années, j'étais parvenu, au moment des nichées, c'est-à-dire à l'époque où l'oiseau a le plus de peine à subvenir non seulement à sa nourriture, mais encore à celle de ses petits, à apprivoiser complètement un couple de pinsons. Le mâle, d'abord, avait répondu à mes appels, puis ensuite la femelle, quoique plus difficilement. Dès que les petits oiseaux m'apercevaient, ils venaient à moi, en battant des ailes, prendre jusqu'à mes pieds le chènevis ou le pain que je leur distribuais.
» L'automne arriva, et un matin d'octobre, je ne revis plus mes pensionnaires. Je ne pensais plus guère à eux, quand, l'année suivante, entre le 15 et le 20 mars, un de mes enfants vint m'annoncer que les pinsons apprivoisés étaient revenus. J'avoue que je restais sceptique: j'allai contrôler, néanmoins. Plus de doute : mes deux pinsons étaient bien revenus l'un et l'autre, et ils témoignaient, par leurs cris joyeux et leurs battements d'ailes, du plaisir qu'ils paraissaient éprouver à me revoir. Ils se montrèrent de suite aussi familiers qu'à leur départ en automne, Depuis, ils ont fait leur nid sur un sapin touchant presque la maison et je ne puis sortir sans être, en quelque sorte, importuné par eux... »
La confiance des oiseaux se manifeste volontiers pour l'homme ; il suffit qu'il s'en montre digne et ne la trompe pas.
Il y a quelques mois, on signalait de Suisse que, dans la salle de la municipalité, à la mairie d'Ecublens, une commune du canton de Vaud,... des rouges-queues avaient fait leur nid sur une tablette, parmi de vieilles lettres. Ordre fut. donné de respecter le nid où bientôt naquirent cinq petits.
Dans une autre pièce de cette même mairie, qui sert de salle d'école, des hirondelles ont un nid qu'elles reviennent habiter depuis plusieurs années, et où elles vivent en toute sécurité sous les yeux bienveillants des écoliers.
N'est-ce point leur exemple qui aurait tenté les rouge-queues et les aurait décidés à venir bâtir, leur nid dans un logis où les oiseaux sont ainsi aimés et respectes ?
Mais, des oiseaux , singulièrement confiants, c'est ce couple de rossignols qui vinrent nicher, il y a quelque temps, sous le fourgon aux bagages d'un train de la Compagnie du Nord.
Le chef d'une petite gare de l'Aisne ayant entendu en passant près de ce wagon un ramage inaccoutumé, eut la curiosité de regarder au-dessous du fourgon, et c'est alors qu'il vit dans un angle, sous le plancher, un nid contenant cinq petits oiseaux qui commençaient à s'emplumer et ne demandaient qu'à recevoir la becquée.
S'étant mis en observation, il aperçut un rossignol de muraille qui venait rendre visite à la petite famille et lui apporter les chenilles nécessaires à sa subsistance.
Or, ce manège durait depuis deux mois au moins. Le fourgon avait été en service chaque jour et, à chaque train entre deux localités du département. Et, pendant toute sa couvée, la famille du rossignol avait voyagé ainsi sans s'effrayer de la trépidation, du bruit des trains et des sifflets des locomotives.
De Stuttgart, on signalait dernièrement un fait plus étonnant encore, car cette fois, ce n'était pas sous un fourgon, mais dans l'intérieur d'un wagon de marchandises du chemin de fer vicinal de Marbach à Heilbronn qu'un couple de rouges-gorges avait fait son nid.
La femelle y pondit quatre oeufs qu'elle se mit en devoir de couver. Elle ne se laissa déranger ni par le départ des trains aux quels le wagon était attelé, ni par le bruit des chargeurs qui posaient les colis ou les enlevaient.
Le mâle partait du nid pour chercher la becquée et revenait quand il avait trouvé quelque chose. Il réglait ses absences sur l'horaire du chemin de fer, et, fait noter, il ne lui arriva jamais de manquer le train. Quelques secondes avant le départ, il s'installait à côté de sa femelle dans le nid et faisait le trajet de Marbach-Heilbronn, aller et retour.
Inutile d'ajouter que les employés rient toujours beaucoup d'égards pour le ailé, bien qu'il voyageât sans billet.

***
L'amitié de l'oiseau pour l'homme est, le plus souvent, l'effet de la reconnaissance. L'oiseau s'attache à celui qui l'a sauvé de la mort, qui l'a nourri, qui l'a soigné. Et son amour est exclusif, égoïste, empoisonné souvent par la jalousie... C'est de l'amour, en un mot.
Henry Berthoud raconte, dans les « Petites Chroniques de la Science », l'histoire d'une hirondelle que la femme de Philippe Rousseau, le célèbre peintre de fleurs, trouva un jour toute pantelante, avec une aile cassée, et qu'elle avait ramassée et sauvée.
Dès le lendemain, la bestiole reconnaissait sa maîtresse, l'appelait par ses cris. Et, bientôt, elle s'était misé à l'aimer de façon si véhémente qu'elle ne voulait plus la quitter. Dès qu'elle voyait entrer sa bienfaitrice, il fallait lui ouvrir la porte de sa cage : sinon elle se fut brisé la tête contre les barreaux.
Elle exigeait que sa maîtresse s'occupât d'elle constamment, et elle ne la laissait même pas travailler. Si Mme Rousseau cousait, l'hirondelle lui arrachait le fil des mains ; si elle caressait son chien, elle lui lardait les mains de coups de bec furieux.
« Rien ne manquait à la passion de l'oiseau, dit Henry Berthoud, ni la jalousie, ni les exigences, ni cet abus de sa propre faiblesse, que connaissent et qu'exploitent si bien les êtres faibles à l'égard de ceux qui les aiment, - et mieux que tout autres, les enfants, les femmes et les animaux. »
Mais il arrive aussi que la sympathie des bêtes se manifeste spontanément pour quelqu'un qui leur plaît.
Chez un des mes amis, en Seine-et-Marne, j'ai été témoin ainsi de l'amitié d'une corneille pour une jeune fille.
L'oiseau nichait dans un grand arbre sous lequel la fille de mon ami venait régulièrement s'asseoir pour lire ou pour travailler. La curiosité le poussant, il descendit de branche en branche pour la regarder. Sans doute pensa-t-il que la jeunesse studieuse ne saurait être redoutable ; il s'enhardit, prit confiance, avança plus près, encore plus près. La jeune fille lui jeta quelques graines. Bientôt l'oiseau fut sur son épaule.
La connaissance était faite. Dès lors, la corneille fut pour la jeune fille la plus fidèle et la plus obéissante des amies. Dès que sa maîtresse sortait de la maison, l'oiseau se laissait tomber à ses pieds. De quelque endroit du parc qu'elle l'appelât, il accourait à tire-d'aile : « Jo ! » criait-elle. Et la corneille qui entendait fort bien son nom, était à l'instant sur son épaule ou sur sa main.
N'est-ce pas un trait merveilleux de l'intelligence et de la sensibilité des bêtes que l'histoire de cet oiseau qui fit spontanément à la grâce et à la jeunesse l'hommage de son amitié ?
Que de sympathies consolatrices, que de joies saines, que de trésors de tendresse l'homme pourrait recueillir s'il était bon envers les animaux.
Dès qu'il consent à ne pas leur faire de mal, ils sont tout de suite ses amis, ils prennent confiance en lui. Dans son beau livre sur les Bêtes, Urbain Gohier raconte que dans le Yellowstone, que les Américains ont conservé à l'état de nature sous le nom de Parc Nationnal, il est interdit de tuer un animal, de tirer un coup de feu. « Toutes les bêtes « sauvage », dit-il, y sont familières ; les grands. cerfs sortent de la forêt pour regarder curieusement le voyageur ; les ours viennent en famille jusqu'au seuil des campements lécher le fond des boîtes de conserves : on n'aurait qu'à tendre le bras pour leur serrer la patte... »
Ah ! si l'homme l'avait voulu, la légende du Paradis terrestre eût été une réalité de tous les temps.

Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 22 Janvier 1911