HONNEUR A LA LÉGION ÉTRANGÈRE
!
La glorieuse Légion est, depuis quelque
temps, de la part des chauvins allemands, l'objet d'attaques aussi injustes
que violentes. C'est donc le moment pour nous de la défendre
et de lui rendre hommage. Notre gravure, sur laquelle se détache
la silhouette énergique d'un légionnaire, rappelle quelques-unes
des pages héroïques de la Légion ; notre «
Variété » est consacrée également
à cette institution dont un écrivain militaire a dit qu'elle
est « la plus hautement, la plus simplement humanitaire qui soit.
»
Honneur donc à ces soldats de tous les pays qui sont devenus
Français en servant fidèlement la France. Honneur à
la Légion
VARIÉTÉ
Les Étrangers au service
de la France
Légions d'autrefois. - Suisses,
Irlandais, Allemands. - La Légion étrangère. -
Types et anecdotes. - Injustes griefs. - Pourquoi les étrangers
viennent à la Légion.
De tout temps, les étrangers ont servi
volontiers dans nos armées. Suisses, Écossais, Irlandais,
Allemands, formaient jadis les corps d'élite qui veillaient sur
la sécurité de nous rois. Ceux-ci estimaient qu'un soldat
étranger en valait trois : c'était un soldat de moins
pour l'ennemi, un de plus dans les rangs de l'armée française
; enfin, c'était un Français qu'on pouvait laisser à
la culture ou à l'industrie.
Pour cette triple raison, on ne négligeait rien afin d'attirer
l'étranger : haute paie, uniforme élégant, bel
équipement, service agréable, tels étaient les
avantages qu'on réservait aux mercenaires venus des pays voisins
pour s'engager en France.
Les Suisses ont servi chez nous sans interruption depuis la fin du XVe
siècle jusqu'à la Révolution.
Au début du XVIIIe siècle, des régiments irlandais
entrèrent au service de la France.
Quant aux Allemands, c'est à partir du règne de François
1er qu'ils formèrent ces régiments de reîtres et
de lansquenets dont les croquis de Callot nous ont conservé le
souvenir.
M. Léon-Mention, dans son « Armée de l'ancien régime
»; rapporte que ces soldats étaient recrutés en
Allemagne par les soins d'officiers français qui tenaient marché
d'hommes, de préférence dans les cercles de Franconie
et de Souabe. Plus tard, les ministres de la guerre traitaient avec
les petits souverains allemands, électeurs de Bavière
et de Trèves, duc des Deux-Ponts, prince de Liège, duc
de Nassau, et autres principicules à court d'argent qui vivaient
de la traite de leurs sujets.
La Révolution, loin de chasser l'étranger des armées
française, s'efforça au contraire de l'y attirer. Lisez
l'excellent ouvrage de M. Arthur Chuquet sur « la Légion
germanique », vous verrez qu'en 1792, dès que la France
eut déclaré la guerre à l'Autriche, les ministres,
les représentants du peuple proposèrent à l'envi
d'organiser des légions étrangères et, comme disait
l'un d'eux, « de faire des levées aux dépens des
autres puissances ».
Ce n'étaient plus des mercenaires qu'il s'agissait d'amener en
France, c'étaient des volontaires, des soldats de la Liberté.
Et leur origine n'importait guère. On ne leur demandait pas d'où
ils venaient. La France qui s'armait contre les tyrans regardait tous
les peuples comme des alliés naturels : les Français voyaient
dans tout ennemi de l'oppression, un concitoyen et un frère.
Le 8 juillet 1792, Brissot dans un discours à l'Assemblée
législative s'écriait « La France s'honorera toujours
de recevoir ceux qui viendront se ranger sous ses drapeaux, et, quelle
que soit leur patrie, ils ne seront jamais étrangers pour elle.
»
Le premier corps étranger qui se créa fut la Légion
des Belges et Liégeois. Son chef était le général
Rosières. Elle prit part à la campagne de Belgique et
assista à la prise de Courtrai. Une légion batave fut
constituée ensuite, composée de Hollandais et de Brabançons.
Puis vint la légion des Allobroges, composée de Savoisiens,
de Piémontais et d'habitants du Valais.
Enfin, sur l'initiative d'Anacharsis Cloots, fut créée
la Légion germanique, sous le commandement d'un Prussien le colonel
Dambach.
Ce corps ne servit que dans la guerre contre les royalistes, en Vendée.
***
La Légion étrangère contre laquelle on mène,
en ce moment, par-delà le Rhin, une violente campagne, témoigne
que la tradition qui poussa de tout temps les étrangers à
venir servir en France, n'est pas abolie. Son recrutement se fait avec
la plus grande facilité, surtout à l'époque des
guerres coloniales. Cela tient à ce que ceux qui s'y engagent
sont des assoiffés d'aventures, des amoureux du danger. On a
constaté qu'en période de paix, l'effectif de la Légion
diminue. En temps de guerre, il augmente, au contraire, dans d'invraisemblables
proportions. La perspective de se battre, la chance de se faire tuer
attire les amateurs. Au moment de la conquête du Tonkin, il y
avait à la Légion jusqu'à deux cents engagements
par semaine ; les affaires du Maroc eurent le même effet sur l'accroissement
de l'effectif.
Il y a encore des hommes que les charmes du pacifisme n'ont pas conquis.
La Légion est composée de ces hommes-là. Et, quoi
qu'on puissse penser des horreurs de la guerre. on ne saurait considérer
sans un sentiment d'admiration et de respect ces gens qui renoncent
à tout ce qui nous est cher, patrie, foyer, par amour du péril.
Un des grands attraits de la Légion, pour les vaincus de la vie,
pour tous ceux qui ont à oublier ou à se faire oublier,
c'est qu'on ne demande à l'homme qui s'y engage rien autre chose
que de la discipline et du courage. Le nouveau légionnaire n'est
pas tenu de donner le moindre renseignement sur son passé ; libre
à lui de changer de nom ; aucune enquête n'est faite sur
son compte. Du jour où il entre à la Légion, c'est
une nouvelle vie qui commence pour lui.
C'est assez dire que toutes les classes sont confondues à la
Légion. Il y a des hommes du peuple ; il y a des aristocrates
; il y a des ignorants ; il y a des savants. « On coudoie, dit
Georges d'Esparbès, de simples légionnaires qui savent
cinq ou six langues. Il y en a qui citent le latin, le grec, les poètes.
On m'a montré un Autrichien qui écrit toutes les langues
slaves...
» On m'a cité, ajoute-t-il, un caporal Belge, qui enseigna
la chimie à un industriel partant pour Hanoï, et un autre,
engagé comme Suisse, qui peignit un portrait d'Anglaise accroché
aujourd'hui, dans un musée de Londres. »
On raconte que, pendant la guerre du Mexique, où la Légion
s'illustra à maintes reprises, le général de Castagny,
voulant faire célébrer la messe un dimanche et ne trouvant
pas de prêtres, les villes et villages étant dépeuplés
à plusieurs lieues à la ronde, vit s'avancer un légionnaire
qui lui dit :
- Mon général, voulez-vous que je vous la dise, votre
messe.
- Toi ?...
- Oui, mon général, avant de venir à la Légion,
j'étais évêque...
En campagne, le théâtre de la Légion n'est pas moins
célèbre que le fut naguère le théâtre
des zouaves. Il y a des menuisiers pour bâtir la scène,
des machinistes pour planter des décors, des peintres pour les
peindre ; il y a des écrivains pour faire les pièces ;
il y a même des compositeurs pour les orner de musique.
Et ce n'est point pour la gloire que ces hommes travaillent ou combattent
; leur principale, leur unique préoccupation, pour la plupart,
c'est de cacher leur véritable identité, c'est de n'être
pas reconnus, c'est de vivre et de mourir sous leur nom d'emprunt, leur
nom de guerre - c'est le cas d'employer ce terme.
On raconte qu'il y a une vingtaine d'années, des officiers de
la Légion se réunissaient couramment chez l'un d'entre
eux, pour assister à des cours que leur faisait un simple caporal....
Or, ce caporal était un ancien colonel du génie autrichien.
On cite un autre légionnaire qui avait à son actif de
nombreux faits d'armes, et dont l'intelligence égalait le courage.
En vain l'avait-on maintes fois proposé pour un grade ; il s'était
toujours refusé à subir l'enquête indispensable.
Un officier disait de lui :
- Si cet homme avait consenti à donner son nom, il serait parvenu
au grade de colonel.
A Tuyen-Quan, un sergent-major déjà très bien noté
au corps, accomplit un bel acte de courage. Le commandant l'appelle.
- Je vais, lui dit-il, vous proposer pour le grade de sous-lieutenant.
- Je vous remercie, mon commandant, répond le sous-officier,
mais je vous supplie de n'en rien faire.
- Pourquoi?
- Comme officier, je serais obligé de donner mon véritable
nom... et je ne veux pas le donner.
Citons encore cette anecdote qui montre avec quelle obstination désespérée,
certains de ces hommes s'efforcent de cacher leur passé :
Au Mexique, un jour, on amène à un lieutenant de la ligne,
un légionnaire qui, après avoir frappé son sergent
avait tenté de déserter. C'était la mort sans phrase.
- Qu'on le fusille, dit l'officier.
Mais, en même temps, ses yeux rencontrent ceux du légionnaire.
Un souvenir lointain l'émeut : cet homme est du même village
que lui ; ils furent camarades d'enfance.
Alors, l'officier s'approche et très bas :
- Puis-je faire quelque chose pour toi ?
- Oui, mon lieutenant.
- Quoi ?
- Ne pas dire au pays que vous m'avez reconnu.
Et, cela dit, l'homme alla se coller au mur et commanda lui-même
le peloton d'exécution.
***
Cependant, il n'y a pas à la Légion que des hommes qui
ont à expier quelque faute passée. Il y a aussi les légionnaires
qui, Français de coeur, viennent là parce qu'ils n'ont
pas d'autre moyen de servir la patrie de leur choix.
Je veux parler des Alsaciens-Lorrains. Ils forment 55 % de l'effectif
de la Légion.
« Les Alsaciens-Lorrains, dit M. d'Haussonville, sont l'élite
de la Légion, et en écrivant cela je suis certain de ne
céder à aucune partialité, car ceux-là n'ont
rien à cacher. Ce sont de tout jeunes gens ; leurs parents, qui
sont restés attachés au sol natal, n'ont pas eu, comme
d'autres, le courage de s'expatrier, mais ils n'en sont point restés
moins bons Français pour cela. Ces jeunes gens ont été
élevés dans l'amour et le regret de la France. A vingt
ans, il leur faut prendre un parti. Servir sous le drapeau allemand,
être envoyé soit en Hanovre, soit dans la garde royale
de Berlin où le nombre des Alsaciens est si grand qu'on y parle
patois, leur fait horreur. Ils passent la frontière et viennent
s'engager aux bureaux de Nancy et de Belfort. C'est un grand parti,
car cette frontière, ils ne la repasseront peut-être jamais,
et ils laissent derrière eux, une famille qui demeure en proie
à toutes les vexations.
De Nancy ou de Belfort, on les expédie à Oran. Dans les
premières années qui ont suivi la guerre, ces pauvres
garçons avaient beaucoup de peine à comprendre qu'on les
traitât en étrangers et qu'on les assimilât aux Allemands
véritables. Pour ces esprits simples, dès qu'ils avaient
repassé la frontière, ils redevenaient Français.
» Ils sont résignés à servir dans la Légion,
aujourd'hui surtout depuis qu'une loi récente a rendu leur naturalisation
plus facile, et ils partent sans murmurer pour l'Algérie où
ils sont incorporés. Ceux-là, je le répète,
c'est l'élite. »
Les Allemands et les Autrichiens représentent trente pour cent
de l'effectif. Et c'est dans l'importance de ce chiffre qu'il faut chercher
les causes de la campagne qu'on mène depuis quelque temps, par-delà
le Rhin contre la Légion étrangère.
On répand en Allemagne, sur la Légion, des accusations
tout à fait inexactes, à savoir, d'abord, que notre pays
entretiendrait des agences de recrutement pour attirer les jeunes Allemands.
Point n'est besoin de réfuter une telle calomnie.
Les Allemands qui s'engagent à la Légion, y viennent,
soit poussés par l'amour des aventures, soit pour cacher quelque
faute commise dans leur pays d'origine ; soit enfin - et c'est la cause
la plus fréquente - parce que les mauvais traitements de leurs
sous-officiers les ont poussés à déserter. On a
dit non sans raison que le vrai recruteur de la Légion en Allemagne,
c'était le feldwebel, le sous-officier prussien.
Quant à la légende des châtiments corporels et des
tortures qu'on ferait subir aux légionnaires, elle n'est pas
moins absurde.
La discipline est rude : il le faut bien avec des hommes qui, pour la
plupart, ne craignent ni Dieu ni diable; mais de toutes les enquêtes
faites auprès des légionnaires, il résulte que
les mauvais traitements sont totalement inconnus. La preuve en est que
les Légionnaires, en général, regrettent, lorsqu'ils
ont quitté le corps, le temps qu'ils y ont passé et le
considèrent comme une période heureuse de leur vie.
Notre excellent confrère belge, M. Dumont-Wilden citait à
ce propos, ces jours derniers, une anecdote caractéristique.
Dans un petit café de Bruxelles, des consommateurs parlaient
de la Légion ; ils la critiquaient. Un homme, un commerçant
du quartier qui était assis à une table voisine, se leva
:
- Ne dites pas de mal de la Légion leur cria-t-il. Vous ne la
connaissez pas.
Et il raconta qu'il y avait servi, lui, qu'il y avait passé dix
ans et que ç'avait été le plus beau temps de sa
vie.
- Alors, lui dit quelqu'un, pourquoi l'avez-vous quittée, la
Légion.
- Ben ! répondit-il, est-ce que je sais ? J'avais fini mon temps,
j'étais malade, j'avais ici un copain qui m'avait trouvé
une place. Alors, j'ai voulu revenir au pays, et je me suis marié...
Évidemment, je ne le regrette pas. Mais quand il pleut ici, et
qu'il fait tout noir dans ma boutique, je pense quelquefois comme c'était
beau là-bas, du côté de Tougghourt, quand le soleil
se couchait dans le désert...»
Combien de vieux soldats de la Légion gardent ainsi toute leur
vie la nostalgie de l'Afrique !..
A Strasbourg, les anciens légionnaires ont fondé une association
où ils viennent tous les mois se retremper dans leurs souvenirs.
L'un des membres de cette association contait l'autre jour à
l'un de nos confrères que, rentré en Alsace après
avoir quitté la Légion, il fut pris par la police et envoyé
dans une ville du centre de l'Allemagne où on l'incorpora dans
un régiment d'infanterie. Le jour de sa libération, le
capitaine allemand lui posa cette question :
- Dites donc, vieux lion du désert, où le service vous
a-t-il le mieux plu ? Ici ou à la Légion ?
Et l'homme répondit du tac au tac :
- A la Légion, mon capitaine.
Les Allemands n'ont pas besoin de chercher ailleurs les raisons qui
font qu'à leur gré, un trop grand nombre de leurs soldats
passent la frontière et s'engagent pour aller servir la France,
en Algérie et aux colonies : Une nourriture excellente, deux
quarts de vin par jour ; le grand air pur du désert ; la perspective
de luttes glorieuses ; une discipline sévère mais tempérée
par le respect de la dignité de l'homme ; des chefs paternels
: voilà bien assez de bons arguments en faveur de la Légion,
sans qu'il faille le moins du monde user d'autres moyens pour assurer
son recrutement.
Ernest LAUT.
Le Petit Journal illustré
du 19 Mars 1911