LES NOUVEAUX UNIFORMES PROPOSÉS POUR L'ARMÉE FRANÇAISE


Nous donnons dans un grand panorama qui occupe les pages 4 et 5 la série complète des nouveaux uniformes proposés par la commission qui fut constituée, en octobre 1910, sous la présidence du général Dubail, à l'effet de rechercher, pour toute l'armée, une tenue moins visible que celle en usage actuellement.
L'uniforme, pareil pour tous les grades, comprend : pour les armes à pied, une vareuse en remplacement de la veste ; une capote et un pantalon avec des bandes molletières ; pour les armes à cheval, une vareuse, un manteau et une culotte, avec des fausses bottes. Les subdivisions d'armes se distinguent par la couleur des boutons, les pattes de parements « à la suédoise », les passepoils du pantalon, les pattes d'épaule et la couleur des écussons.
Le drap est le même pour toute l'armée gris vert réséda. Les officiers et sous-officiers auront seulement un drap plus fin avec des insignes de grade peu voyants. Tous les anciens galons sont supprimés et remplacés par des étoiles pour les officiers (comme dans plusieurs armées étrangères), par des galons en soie rouge ou blanche passepoilée or ou argent, suivant l'arme pour les sous-officiers.
Les dragons, les cuirassiers et l'artillerie conserveront leur casque actuel ; il a été fait un nouveau casque pour les hussards et les chasseurs ; la cavalerie n'aura plus de képi ; la calotte de campagne sera maintenue.
Notons qu'en campagne la cavalerie porterait le casque couvert d'un manchon.
La question de la cuirasse dans la grosse cavalerie est réservée. Peut-être la supprimera-t-on ; peut-être se contentera-t-on, en campagne de la recouvrir d'une blouse.
L'infanterie aura un casqué en liège recouvert du drap gris vert, rappelant la coiffure de nos coloniaux, mais de dimensions beaucoup plus restreintes. Ce casque sera surmonté, en temps de paix, d'un cimier bas, métallique, mobile, qui sera remplacé en temps de guerre par une cocarde aux couleurs nationales, moins visible de loin (poids 210 grammes). Plus de képi ; seulement la calotte de campagne.
Le képi des officiers est supprimé dans toutes les armes ; il est remplacé par une casquette analogue, comme forme générale, au bonnet écossais, mais avec visière.
Le sabre actuel des officiers est remplacé par un sabre court et légèrement courbe. La garde a été copiée sur celle des grenadiers du Premier Empire. Le fourreau est en cuir fauve avec garnitures métalliques. La garde, et les garnitures sont dorées (or mat). Il y a deux ceinturons ; l'un, de petite tenue, tout en cuir fauve ; l'autre, de grande tenue, en soie vert et or. La bélière est remplacée par un porte-épée.
Les épaulettes sont maintenues en grande tenue. La tenue journalière, ainsi que celle de campagne, comporte des pattes d'épaules de la couleur distinctive de l'arme.
Toutes les buffleteries, comme les fourreaux de sabre des officiers et les visières, sont en cuir fauve, pour éviter les reflets.
La commission s'est, en effet, préoccupée de faire disparaître tout ce qui brille et tout ce qui peut trahir la présence de la troupe à grande distance.
La capote n'a qu'une rangée de boutons ; son col est rabattu ; elle est munie de deux poches sur le devant. La vareuse est à col droit et a quatre poches sur le devant.
En campagne, les officiers à pied et les adjudants porteront le sac.
Cette nouvelle tenue sera expérimentés aux grandes manoeuvres, et, en dernier lien, après avis des corps et des généraux, soumise à l'approbation du Parlement, qui devra voter une loi.

VARIÉTÉ

L'UNIFORME.

La tenue militaire à travers les âges. - Soldats romains. - Chevaliers croisés. - Reîtres du XVIe siècle. - L'uniforme sous Louis XIV. - Junot et l'adoption du shako. - Le pantalon rouge. - Sac rigide ou sac mou.

L'uniforme militaire de chaque pays comprend toujours quelque élément caractéristique qui est comme l'attribut même de ce pays. On n'imagine pas un soldat anglais sans la tunique écarlate, un soldat allemand sans le casque à pointe, un troupier français sans le pantalon rouge.
Or, le pantalon rouge est condamné. Il paraît qu'on le voit de trop loin. Et avec lui sont condamnés tous les autres éléments du costume militaire français, la capote bleue, le képi, l'épaulette.
Ce n'est pas d'aujourd'hui d'ailleurs qu'on se préoccupe de la question de l'uniforme. Elle fut subordonnée de tout temps aux progrès mêmes de l'art de la guerre. Et c'est là ce qui démontre que la réforme projetée ne saurait être définitive. L'uniforme évolue suivant les nécessités de la guerre moderne ; et il subira dans l'avenir autant de modifications qu'il en a subi dans le passé au fur et à mesure que se perfectionnaient les armes offensives et que variaient les méthodes de combat.
L'histoire de l'uniforme, en temps que tenue imposée par la discipliné militaire, ne remonte guère qu'à deux siècles et demi. Auparavant le soldat s'habillait à peu près à sa guise ; et lorsque tous les soldats d'un corps portaient les mêmes couleurs et le même habit, ces couleurs n'étaient pas celles du pays, mais celles du chef qui commandait ce corps et qui, l'ayant levé, l'entretenait à ses frais.
Il est fort peu probable que les soldats de la Grèce et de Rome aient porté un uniforme unique. A la vérité, chez les Romains, il y avait plusieurs parties du costume qui se retrouvaient identiques chez tous les soldats, notamment le sagum qui leur tenait lieu de capote, et la lacerna, sorte de manteau à capuchon ; mais rien ne permet d'affirmer qu'ils étaient tenus de porter ces vêtements exactement de la même coupe et de la même couleur.
Les documents qui nous restent du moyen âge ne permettent pas, non plus de penser que les chevaliers qui furent aux croisades eurent l'idée de s'imposer une tenue uniforme. L'armement chez tous ces guerriers était à peu près le même, avec quelques différences de détail dans le luxe de l'armure : c'était la broigne (la tunique de mailles), le heaume (le casque). Mais la tunique qui recouvrait l'armure était teinté et ornée suivant la fantaisie de celui qui la portait. Et, dans les armées qui furent en Orient, pas plus que dans celles qui combattirent en Europe aux XIIIe et XIVe siècles, en ne trouve pas trace d'uniformes.
Tout au plus existe-t-il certains signes de reconnaissance pour différencier les nations ou les partis, croix, écharpes ou autres ornements.
C'est ainsi que, d'après la chronique de Du Guesclin les hommes d'armes anglais du XIVe siècle portaient, sur leur tunique blanche, des croix rouges devant et derrière. Froissart rapporte de son côté qu'à la même époque les milices des villes de Flandre se distinguaient les unes des autres par la couleur de leurs cottes d'armes.
Au XVe siècle, Charles VII ordonna que les soldats de ses compagnies d'armes porteraient tous le hoqueton de la couleur de celui de leur capitaine. L'uniforme était donc alors une marqué de domesticité. Dans les escouades d'archers qui formaient la garde du corps des grands seigneurs, tous les hommes étaient habillés de la même façon et des mêmes couleurs, parce que le soin de leur entretien était l' affaire du maître. Pour l'armement, il était à peu près le même non seulement dans les différents corps de chaque armée, mais encore dans presque toutes les armées de l'Europe occidentale.
Déjà les diverses nations militaires de l'Europe s'observaient curieusement et jalousement. Aussitôt qu'un perfectionnement de quelque valeur avait paru dans un État, il était adopté par les autres. Et la fabrique de Milan, en possession d'une renommée européenne, fournissait ses modèles aux armuriers de tous les pays.
Au XVIe siècle, la coutume de l'uniforme commence à s'imposer, du moins pour les troupes étrangères à la solde royale et pour les gardes du corps du souverain. Les bandes suisses ont pour marque respective les couleurs des cantons où elles ont été recrutées. Quant aux Suisses de la garde du roi, ils reçoivent leurs vêtements par livrées et portent l'uniforme dans toute sa rigueur, c'est à savoir, la toque rouge et l'habillement des trois couleurs, blanc, noir et tanné.
Les Écossais de la garde royale sont habillés d'une saie aux couleurs de François Ier, bleu vermeil et tanné. Certains corps de lansquenets sont également soumis à l'uniforme de couleur, tels cette fameuse Bande Noire qui combattit à Marignan dans les rangs français.
Mais dans les corps indépendants, point trace d'uniforme, aucune tenue. Le, manque de tenue même est de rigueur. Brantôme a pittoresquement décrit ces bandes de reîtres qui servirent la France à la fin du règne de Louis XII, « vrais traîneurs de guenilles, plus habillés à la pendarde qu'à la propreté, portant des chemises à longues et grandes manches, comme Bohèmes de jadis ou Maures, qui leur duroient vestues plus de deux ou trois mois sans changer ; monstrans leurs poictrines velues, pelues et toutes descouvertes, leurs chausses bigarrées, découpées, déchiquetées et balafrées, et la pluspart monstroient la chair de leurs jambes... »
Il faut croire qu'à cette époque, les Anglais étaient plus avancés que nous en matière de tenue militaire, car, au siège de Saint-Quentin en 1557, on signale un corps de 7.000 soldats de cette nation uniformément vêtus.

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Les premières ordonnances où il soit question d'un uniforme commun à toutes les troupes de la même arme datent, en France, de Louis XIII. Elles furent d'ailleurs assez mal observées, et sous Louis XIV encore, beaucoup de régiments portaient les couleurs de leur colonel.
C'est seulement en 1670 que la question fut définitivement réglée par Louvois qui, par une nouvelle ordonnance, rendit l'uniforme obligatoire dans toute l'armée et en fixa tous les détails.
De nouveaux services créés dans l'administration de la guerre dispensaient dorénavant les soldats du soin de veiller à la confection de leurs habits. Ils les reçurent tout faits des fournisseurs auxquels le gouvernement en donnait l'entreprise. Tout cela exécuta entre 1670 et 1672. L'armée qui fut employée à la conquête de la Hollande portait l'uniforme.
Le soldat d'infanterie était habillé d'un justaucorps blanc ou bleu à larges basques, descendant jusqu'au jarret et doublé de rouge, d'un gilet blanc, de culottes blanches, de guêtres et de souliers. La coiffure consistait en un petit chapeau.
L'uniforme de la cavalerie était à peu près pareil à celui de l'infanterie seulement, la culotte était de peau, le chapeau était surmonté d'un plumet et le soldat avait d'énormes bottes au lieu de guêtres.
Cette époque marque le plus grand progrès non seulement dans l'habillement mais encore dans le harnachement militaire et dans l'armement. Elle voit naître la baïonnette à douille qui s'ajuste au bout du fusil, la baïonnette, l'arme française par excellence. A partir de 1703, tous les fusils d'infanterie en furent pourvus.
La cartouche date de 1683, ainsi que l'invention de la giberne faite pour la contenir. Le soldat est débarrassé des lourds baudriers qui lui écrasaient la poitrine ; son épée est attachée à un ceinturon.
« Lorsqu'on voit, dit un historien du costume militaire, le soldat des dernières années de Louis XIV, dégarni de rubans et de plumes, uniformément habillé de drap, avec la buffleterie, la taille serrée, l'épée au flanc et le fusil à baïonnette sur l'épaule il n'y a plus lieu de songer au vieux temps ; c'est bien le combattant des armées modernes qu'on a sous les yeux, l'homme équipé pour se mouvoir en tous sens et marcher sans fin, qui porte dans sa main le fer et le feu, et sur tout son extérieur, l'empreinte de la discipline. »

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Jusqu'à la Révolution, sauf pour quelques détails de couleur, l'uniforme ne fut guère modifié. Une seule innovation vaut d'être citée : l'adoption pour les grenadiers à pied, à cheval du bonnet à poil, coiffure d'origine allemande que le roi de Prusse, père du grand Frédéric, avait inventée pour en doter les grenadiers prussiens.
La Révolution adopta pour l'infanterie l'habit bleu et les longues guêtres. Mais sous l'Empire, l'habit bleu faillit être abandonné. L'indigo était fourni à la France par l'Angleterre, et Napoléon, ne voulant employer aucun produit de l'industrie anglaise, avait décidé de donner à ses soldats l'habit blanc.
Les conscrits de 1806 furent ainsi habillés. Un officier de cette époque écrit que « tous ces soldats vêtus en Jean-Jean faisaient une fort laide bigarrure lorsqu'ils se trouvaient mêlés avec d'autres soldats habillés de bleu. » « Ce fut, ajoute-t-il, une idée bien bizarre que celle de donner l'habit blanc à des troupes destinées à passer leur vie au bivouac... »
Napoléon, d'ailleurs, se rendit compte de l'impair. A peiné avait-on livré les habits blancs aux soldats qu'ils furent salis à faire peur. La première fois que l'empereur les vit, il en fut épouvanté. Dès le lendemain les habits blancs étaient réformés. Et, dans l'intervalle, les fabricants français ayant trouvé le moyen de remplacer l'indigo par le pastel, l'habit bleu fut conservé.
C'est de cette même année 1806 que date l'adoption du shako. Et si nous en croyons Mme la duchesse d'Abrantès, c'est à Junot, son mari, que serait due cette réforme.
Voici comment elle raconte la chose dans une amusante page de ses mémoires :
« Junot venait de passer une revue. Il pleuvait, et ceux des soldats qui avaient de vieux et même de bons chapeaux, portaient, il faut en convenir, non seulement une sotte, mais une incommode coiffure. Junot, après avoir quitté son habit mouillé, se mit dans une bergère, les pieds dans de bonnes pantoufles, et là, pensant à ses enfants (c'est ainsi qu'il appelait ses grenadiers), il se mit tout à coup à dire :
- » Je ne veux pas de ces chapeaux ! De quelque manière qu'ils. soient posés, il y a toujours une corné qui fait gouttière. Je n'en veux pas ! »
» J'avais reçu, la veille, une caisse de Paris, expédiée par Mlle Despaux, et, en vraie femme, je crus que Junot parlait de mes chapeaux et je lui dis tranquillement :
- » Comme je trouve qu'ils vont bien je les porterai ; et puis, cela ne te regarde pas, tu n'y entends rien. »
» Junot, comme tous ceux qui poursuivent une idée qui les occupe fortement, ne crut pas que je pouvais parler d'autres chapeaux que de ceux de ses grenadier, et, me regardant, il me dit avec le plus beau sang-froid :
- » Je voudrais bien t'y voir avec le temps qu'il fait aujourd'hui ! une corne sur le nez et l'autre au milieu du dos. »
» Je me mis à rire, nous nous expliquâmes, et Junot rit avec moi. Mais les chapeaux cornus lui revenaient à l'esprit. Il se mit en tête de changer la coiffure de ses enfants, et, dès lors, il ne pensa plus qu'à faire réussir son projet. Car ce n'était rien moins qu'un plan très vaste ; et Junot voulait que toute l'armée subît le changement qu'il avait d'abord l'intention de faire adopter à la division des grenadiers. »
Ainsi fut adopté le shako que nos soldats du Premier Empire ont promené triomphalement sur tous les champs de bataille de l'Europe.
Quant au pantalon rouge, il est d'origine plus récente. C'est en 1829 qu'on l'adopta pour deux raisons, l'une économique, en vue de favoriser la culture française de la garance ; l'autre pratique, pour remplacer le pantalon blanc trop salissant par une couleur sur laquelle les taches de sang seraient moins apparentes.
Depuis lors, le pantalon rouge a été, en quelque sorte, le vêtement symbolique du troupier français.
On l'a vu en Algérie, en Italie, en Crimée, au Mexique, partout où s'est dépensé l'héroïsme de nos soldats ; on l'a vu sur les champs de bataille de la guerre néfaste, et tous ceux qui l'ont porté dans les heures de gloire et de détresse ne le verront pas disparaître, à coup sûr, sans un serrement de coeur.
Parmi les modifications prévues dans l'équipement, il en est une qui vise le sac. « Azor » a vécu. Il est question de remplacer le sac rigide actuel, le sac en cadre, l' « as de carreau », comme l'appellent les troupiers, par un sac mou.
Or, il est singulier de constater que le sac autrefois était mou et que sa transformation en forme rigide fut considérée comme un progrès.
La chose remonte au premier Empire et vaut d'être contée.
Donc, à cette époque-là, le havresac étant souple, son chargement formait paquet, s'appliquait sur le dos et gênait fort les mouvements de l'homme. Pour éviter ce désagrément, le soldat Chaudelet, des pupilles de la Garde, eut l'idée de fixer à l'intérieur du havresac des planchettes qui le maintinrent tendu et lui permirent
d'adhérer commodément aux épaules. Ainsi équipé, il se rendit sur les rangs pour une revue que le colonel devait passer. Le capitaine habitué à l'uniformité de ses hommes, eut bientôt fait d'apercevoir l'infraction de Chaudelet, et il le punit. Quelques instants après le colonel en passant sa revue remarqua lui aussi le havresac du fantassin qui déparait les rangs et dit à Chaudelet :
- Vous viendrez chez moi après la revue avec votre sac.
- Mais, mon colonel, le capitaine vient de me punir.
- Je lève la punition, répondit le colonel. Venez.
Chaudelet était loin de se douter que la transformation complète du havresac devait sortir de l'essai dont il s'était avisé.
Après un examen attentif, on reconnut que le sac ainsi modifié portait la chargé sur les épaules du soldat, ce qui le soulageait sensiblement. On mit aussitôt à la disposition de Chaudelet les hommes nécessaires pour arranger avec lui et sous sa direction 500 sacs conformes au nouveau type. L'inventeur se mit à l'oeuvre et il eut bientôt la satisfaction de voir le Département de la guerre adopter définitivement son modèle et toutes les nations de l'Europe l'emprunter à notre armée.
Et voilà qu'après plus d'un siècle on veut abandonner le sac rigide pour revenir au sac mou... Et ce sera encore un progrès.
Comme quoi l'histoire est un éternel recommencement.
Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 23 Avril 1911