YANITZA, LA JEANNE D'ARC ALBANAISE


Une guerrière vient de se révéler dans l'insurrection albanaise.
Yanitza (Jeanne) Martinay est la fille d'un chef de clan. Son père, ayant trouvé la mort dans une rencontre récente, le fils aîné était appelé à lui succéder. Mais l'héritier du noble albanais est un enfant de huit ans. Que faire ?
- Suivez-moi ! s'écria Yanitza, après avoir réuni les soldats de son père, je vous conduirai à la gloire.
Et la Jeanne d'Arc albanaise, âgée de 22 ans, s'élançait vers l'ennemi.
Yanitza est grande et forte. Sa beauté séduit les insurgés. Armée d'un vieux fusil incrusté d'argent et d'ivoire, elle dirige les opérations, avec une audace rare.
Et, ces jours derniers, on la vit, à la tête du parti d'insurgés qu'elle commande, attaquer les redoutes ottomanes et mettre en fuite les troupes du sultan.

VARIÉTÉ
Les Émules de Jeanne d'arc

A propos d'une guerrière albanaise.-Les Amazones. - Emilie Plater, l'héroïne de l'insurrection polonaise. - Les femmes du Transvaal. - Une Jeanne d'Arc, chinoise.

On signalait dernièrement parmi les insurgés mexicains la présence d'une femme ; on signale aujourd'hui une autre guerrière parmi les insurgés albanais.
Et c'est un fait remarquable que, chez toutes les nations, dans tous les soulèvements populaires, dans toutes les guerres nationales, chaque fois qu'il s'est agi de défendre la patrie, la foi ou d'intégrité du foyer, il s'est trouvé des femmes pour prendre part à la lutte et, parfois même, pour diriger la résistance.
Sans parler des innombrables femmes que le goût des aventures précipita aux armées, tenons-nous en à celles dont le seul patriotisme inspira l'ardeur belliqueuse, à celles que l'amour du pays arracha à leur famille, pour les transformer, non point seulement, en guerrières, mais en inspiratrices d'héroïsme, à celles qui furent, en un mot, les véritables émules de Jeanne, la bonne Lorraine.
On en rencontre chez tous les peuples et dans tous les temps. Il en est même dans la légende.
Du lointain des temps préhistoriques, ces noms sonores sont venus jusqu'à nous : Penthésilée, Thomyris, Ménélippe, Sphione. Ont-elles vraiment existé, ces femmes belliqueuses qui, pour mieux tirer de l'arc, se mutilaient le sein droit ; ou ce mythe n'est-il que le fruit de l'inépuisable imagination des anciens ?
Quoi qu'il en soit, la fable des amazones tient une large place dans la mythologie et dans l'art de la Grèce antique. Les sculpteurs nous les ont représentées, ces farouches guerrières, aussi belles qu'indomptables, et leurs luttes contre les héros et les hommes ont inspiré les plus grands artistes.
Nous les retrouvons aussi dans les mythologies orientales, dans les traditions de l'Inde ancienne, dans celles du Siam, où, de nos jours encore, le roi possède un bataillon sacré d'amazones.
Les Scythes eurent leurs amazones ; et les Walkyries des mythologies scandinaves sont leurs soeurs.
Enfin, dans les temps modernes, tout près de nous, nos soldats n'ont-ils pas trouvé, au Dahomey, les amazones de Behanzin, défendant leur pays et leur maître avec une énergie désespérée ?
C'est pour défendre la foi qu'au temps des Croisades, suivant ce que nous rapporté l'historien byzantin Cinname, les femmes nobles de France et d'Allemagne suivirent l'empereur Conrad, en Palestine, et formèrent un corps spécial sous le commandement de la plus intrépide d'entre elles. Quels étaient les noms de ces femmes ? Nul ne le sut Elles étaient toutes bardées de mailles, comme les chevaliers ; celle qui les conduisait avait une armure éclatante, et les soldats l'appelaient la « dame aux jambes d'or ».
Combien d'autres, après elles, se sacrifièrent et prirent les armes pour le salut de leur Patrie !
Ce sont les femmes de Bohême, qui combattent sous Vlasto pour la liberté de leur pays ; ce, sont les amazones de la Floride, qui se dressent, en 1540, contre l'invasion espagnole et tiennent en échec les troupes aguerries de Fernand de Soto ; ce sont les guerrières du Nizam, qui défendent le Deccan contre les Anglais... Et, si nous rentrons en France, c'est une longue et glorieuse théorie d'héroïnes qui, à toutes les époques, nous apparaissent, montées sur leur cheval de bataille.
Avec Jeanne d'Arc, l'une des plus pures gloires féminines dont s'illustre notre histoire est celle de Velléda, cette prêtresse gauloise qui souleva toute une région de la Gaule contre la puissance romaine et fut, pour l'amour de son pays, sacrifiée et traînée en esclavage à Rome.
N'est-ce pas aussi une admirable figure d'héroïsme que celle de Boadicée, cette reine des Icènes (peuple puissant de la Grande-Bretagne) qui, chassée par l'invasion romaine, fomente la résistance et fait honte de leur faiblesse à ses sujets qui tremblent devant les conquérants :
« Vaincre ou périr, s'écrie-t-elle... A vous, hommes, de voir si vous voulez imiter une femme ou si vous préférez vivre esclaves !... »

***
C'est surtout dans les grandes crises nationales, à l'heure où l'invasion étrangère menace l'existence même de leur pays que le patriotisme des femmes s'exalte et donne souvent aux hommes l'exemple salutaire.
Dans ce genre, un des plus beaux exemples de dévouement à la patrie donné par une femme est celui de la comtesse Emilie Plater, l'héroïne de l'insurrection polonaise de 1821.
Qui se souvient aujourd'hui d'Emilie Plater ? Son nom fut pourtant alors illustre dans le monde entier. Il s'est effacé depuis comme le souvenir même du malheureux pays qu'elle défendit avec toute la passion de son patriotisme, avec toute la force de son désespoir.
Dans son livre sur « les Amazones », M. Paul Lacour a conté son héroïque histoire. Il rapporte que, toute jeune encore, au château de Lixna, en Livonie, qu'habitait sa famille, Émilie, un jour, découvrit, au fond d'une armoire, un pauvre vieux livre recouvert d'un parchemin usé. C'était une vie de Jeanne d'Arc. La. jeune fille lut et relut l'épopée de la Pucelle avec une admiration fiévreuse.
Dès lors, Jeanne, sainte image de la Patrie, est sa patronne. « Elle lui voue un culte, et rassemblant comme un collectionneur passionné, toutes les gravures qui mettent en scène l'héroïne française, elle en décore les murs de sa chambre, la transforme en une sorte de chapelle consacrée à la Vierge de Domrémy.
« Excitée définitivement à l'action par un tel exemple, elle s'y prépare ardemment. Les exercices violents, le maniement du cheval et de l'épée deviennent ses passe-temps favoris. Ce sont chaque jour des chevauchées à grande allure par les sentiers des montagnes qui bordent la Dwina, par ces mystérieuses forêts où chantent et où parlent les arbres, et les oiseaux. Ils lui disent qu'un souffle de révolte passe sur les peuples asservis, que le moment, de se dévouer approche... »
A ce moment, l'Europe entière se passionne pour la cause des Hellènes soulevés contre le joug dès Turcs. Là-bas, une héroïne joue son rôle glorieux, une héroïne bien oubliée, elle aussi. Elle s'appelait Bobolina. Femme d'un armateur de Spetzia assassiné par les Turcs, elle avait juré à ceux-ci une haine éternelle. Lorsqu'éclata la guerre, elle arma trois vaisseaux pour soutenir la cause des Grecs. Elle assista au siège de Tripolitza, concourut au blocus de Nauplie, combattit à Missolonghi avec un courage égal , à celui des plus vaillants guerriers.
Émilie Plater, dans son château livonien, suivait de loin les péripéties de la guerre turco-grecque. La conduite de l'héroïne enflammait son ardeur
« Les hommes, s'écriait-elle, font leur devoir et n'affrontent que la mort. Bobolina fait davantage, puisqu'elle brave l'opinion. Elle aussi, bientôt, allait braver l'opinion.
La révolution polonaise éclata le 29 novembre. Les Lithuaniens l'attendaient et l'espéraient. Ils étaient prêts à tendre la main aux Polonais.
Émilie se mit immédiatement en campagne. Elle s'en fut à travers les villages prêcher aux paysans, qui la connaissaient et l'aimaient, l'évangile de la Liberté. Puis elle partit pour Wilna ,demander des instructions au Comité directeur de l'insurrection. On refusa de là recevoir et de l'entendre.
Alors, elle s'en revint, bien décidée à agir seule et à faire éclater la révolution au coeur de la Livonie et de la Russie blanche.
Ayant coupé ses cheveux et revêtu des habits d'homme, elle monte à cheval et se dirige avec une faible escorte sur le village de Dousiaty, où elle est attendue.
« C'était un dimanche, dit M. Paul Lacour. La vue de la jeune amazone transporte d'enthousiasme toute la population.
On l'acclame, on la suit, on l'escorte, car, ayant pris en main le drapeau national, elle harangue la foule. D'une voix chaude et pénétrante, elle parle au coeur de ces braves gens. Se laisseront-ils plus longtemps persécuter, accabler d'impôts, priver de leurs enfants qu'on arrache à la famille, dès qu'ils deviennent des hommes, pour les courber sous là joug barbare du despotisme ?...
« Aux accents de cette parole vengeresse, la colère étincelle dans les yeux, rugit dans les âmes les plus pacifiques. De chaque paysan, la haine réveillée fait un révolté, un soldat armé, qui d'une faulx, qui d'une pique. Plusieurs ont des fusils. Tous se groupent autour d'Émilie : ils ne veulent pas d'autre chef que cette frêle créature ; et, à côté d'elle, avec elle, ils demandent à combattre pour la cause sainte de la Patrie... »
La campagne commence. Successivement, Émilie Plater et ses partisans mettent en déroute une compagnie puis un régiment russe envoyés contre eux. Mais bientôt une véritable armée arrive avec du canon. Repoussée, dispersée, l'héroïque troupe est obligée d'abandonner les villages conquis.
Émilie, alors, gagne l'armée polonaise. La renommée de ses hauts faits l'y a précédée. Malgré le mauvais vouloir des chefs, on l'accueille, car les soldats la connaissent et sa présence leur apparaît comme un gage de victoire. Elle excite, en effet, parmi eux, une chevaleresque émulation génératrice d'actions héroïques.
Mais que peut la vaillance des troupes contre l'incapacité des généraux ?... On sait combien les chefs polonais furent alors au-dessous de leur tâche. Le général Chlapowski, sous les ordres duquel Émilie est venue prendre du service, ne voit pas tout le parti qu'il pourrait tirer de la présence de cette femme héroïque parmi ses soldats. Il tente de la décourager, lui conseille de quitter l'armée, de prendre un repos bien gagné après tant de fatigues.
« Ma vocation est d'être soldat, lui répond l'héroïne, tant que la Pologne demeurera asservie. Ce n'est pas à l'heure où grandit le danger que je puis songer à me séparer des défenseurs de ma patrie. »
Force est aux généraux de s'incliner devant cette volonté. On donne à Émilie le commandement d'une compagnie. A Kowno, elle fait des prodiges de valeur. Mais les défaites succèdent aux défaites. L'armée recule devant les Russes vainqueurs ; et l'héroïne, déçue dans sa fière espérance de délivrer son pays comme la vierge de Domrémy, sent que désormais tout effort est vain. Elle lutte jusqu'au bout, cependant ; et, quand Chlapowski entraîne ses soldats vers la frontière prussienne, elle refuse de s'associer à sa fuite honteuse et quitte l'armée après avoir violemment reproché au général l'indignité de sa conduite.
Presque seule, elle franchit le Niémen, réussit à traverser les lignes moscovites, et va échouer, malade, mourant de faim, dans la maison d'un garde forestier où, reconnue ou, du moins, soupçonnée d'être la jeune héroïne dont parle toute la Pologne, elle est entourée des soins les plus diligents.
Peu de temps après, elle apprenait que l'insurrection était définitivement vaincue. Cette nouvelle hâta sa fin.
« La seule idée du dévouement à la patrie avait fait battre son coeur de vierge, dit M. Lacour ; ce dévouement étant devenu inutile, ce coeur cessa de battre. Émilie mourut donc sans regret de la vie, tenant en ses bras défaillants ses armes vaines, et demandant qu'on les mît dans sa tombe. »
Telle fut la fin de cette femme héroïque, « digne émule de notre Jeanne d'Arc, dont elle avait l'âme ardente et la foi invincible. »

***
On trouve dans les guerres contemporaines plus d'un exemple de ces dévouements féminins à la patrie.
En 1870, que de femmes françaises supportèrent, comme l'a dit Victor Hugo, toutes les atrocités de la guerre :

La famine, l'horreur, le combat sans rien voir
Que la grande patrie et que le grand devoir.

Au Transvaal, on sait quelle fut l'oeuvre de ces femmes boers dignes compagnes des héros de l'indépendance sud-africaine.
Quand la guerre fut finie, le général Dewet leur disait : « Il y a longtemps que nous aurions été obligés de renoncer à la lutte, ô femmes, si vous ne vous étiez pas montrées si fidèlement attachées à la patrie ».
Les unes firent le coup de feu auprès de leurs maris, telle la femme du général Joubert, celle que les Boers appelaient « la Tante ». Elle maniait le fusil aussi bien que les meilleurs tireurs et, plus d'une fois, les ennemis de son pays éprouvèrent son adresse.
Les autres se consacrèrent aux soins à donner aux blessés, ou au ravitaillement de l'armée. Toutes firent preuve du plus ardent patriotisme.
Je retrouve le texte d'une lettre d'une jeune fille afrikander publiée alors par un journal du Transvaal. C'est une page admirable d'abnégation et d'ardent patriotisme :
« Frères, frères, écrivait-elle, je ne suis qu'une faible jeune fille afrikander mais le sang bout dans mes veines.
» Quels sont alors les sentiments qui doivent vous agiter, vous autres hommes ! Partez donc avec votre courage et défendez nos droits de toutes les forces que Dieu vous donne. Aussi longtemps qu'il vous les accordera, combattez pour la liberté et le droit ; avec Dieu à votre tête, il vous réservera la victoire.
» Mon père et mon frère, deux êtres qui me sont chers, sont partis vers les champs de bataille et peut-être - que Dieu veille sur eux - ne reviendront-ils pas ! Je me consolerai pourtant à la pensée qu'ils ont sacrifié leur vie pour le droit et la liberté, qu'ils ont cru à la promesse du Seigneur d'être le vengeur des veuves et le père des orphelins.
» Donc, pères et frères, partez, avec courage, combattez vaillamment pour le droit et la liberté, gardez le ferme espoir en Dieu. Songez à ceux qui survivront et qui prieront pour vous. »
Quand les femmes entendent ainsi leur mission, que ne peuvent faire les hommes combattant pour la liberté de leur pays.
Dans la guerre russe-japonaise, on cita à maintes reprises le nom de femmes engagées dans les régiments russes et qui firent vaillamment leur devoir.
Lors de la dernière insurrection cubaine, une femme défendant son foyer, la seniora Clava Santos se mit à la tête d'un corps de partisans et battit les troupes du président Palma.
Même en Chine, où pourtant la population féminime se désintéresse de toute question politique, on signalait dernièrement une jeune agitatrice nommée Sieh-King-King, qui parcourait le pays, ameutant le peuple, lui parlant de la patrie dévastée et morcelée et invitant ses compatriotes à « bouter » dehors les étrangers.
Qui sait si dans le soulèvement qui se produira fatalement quelque jour, en Chine, contre les « Diables d'Occident », nous ne verrons pas Sieh-King-King entraîner les populations fanatisées et jouer le rôle de Jeanne d'Arc ?
Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 28 Mai 1911