A AMSTERDAM


La foule attendant le passage du cortège présidentiel.

Le voyage du président de la République à Amsterdam et à La Haye a donné au peuple hollandais l'occasion de manifester chaleureusement ses sympathies pour notre pays.
La « Venise du Nord » avait mis sa parure de fête. Les maisons aux pignons pittoresques, toutes peintes de couleurs claires et brillantes reluisaient au soleil. Dans les rues, sur les ponts, au bord des canaux, la foule se pressait, impatiente et enthousiaste, sur le passage du cortège présidentiel.
De tous les points du pays les sujets et les jolies sujettes de la reine Wilhelmine étaient accourus dans la capitale pour assister aux fêtes. Et le président de la République a pu contempler, dans ses promenades à travers la ville, tous les types des plus beaux costumes de la Hollande, et les corsages multicolores, et les dentelles des coiffes, et les casques d'or et d'argent avec leurs ornements tirebouchonnés et leurs ailes en forme de papillon.
- Il n'y a donc pas de pauvres en ce pays ? disait un de nos confrères émerveillé, à une fermière coiffée d'un de ces casques d'or d'une valeur inestimable.
- Si. répondait la paysanne: mais les pauvres portent comme les autres la coiffure nationale, seulement elles la portent en argent...

VARIÉTÉ

La ville du diamant

Amsterdam et ses tailleurs de pierres précieuses. - La légende de Louis de Berquem. - Le premier diamant taillé. - Les deux merveilles de la « Coronation ».

La ville du Diamant, c'est Amsterdam, la capitale hollandaise où le représentant de la France vient d'être si bienveillamment accueilli.
Parmi curiosités de la ville qu'on n'a pas manqué de montrer à M. Fallieres, figurait, en effet, une visite à l'une des principales tailleries de diamants. Le président a pris, dit-on, à cette visite, un très vif intérêt.
Amsterdam est la ville où sont expédiés dans leur gangue, à peu près tous les diamants du monde. Quelques-uns vont à Anvers où il y a aussi plusieurs tailleries ; mais la capitale hollandaise demeure le centre important de cette industrie.
On y compte plus de soixante-dix établissements pour la taille des pierres précieuses, occupant environ 12.000 personnes.
Cette industrie est relativement moderne : elle ne date guère que de quatre cent quarante ans environ.
L'antiquité n'avait pas apprécié le diamant à cause de l'impossibilité où l'on était alors de le travailler et de lui faire rendre tout son effet. Il en fut ainsi jusqu'à la fin du quatorzième ou le début du quinzième siècle. La dureté était alors la principale qualité du diamant ; on ignorait l'art de le tailler, et la lime s'y brisait les dents, comme la critique sur les oeuvres de génie.
On ne savait guère que détacher le diamant de sa gangue et la précieuse pierre restait toujours, suivant l'expression de Sénèque, « comme le cage impassible que rien ne peut vaincre ».
Pourtant, toute brute qu'elle fût, cette pierre jetait des feux si vifs que les nobles dames et les princes, qui, naturellement, aiment tout ce qui brille, s'en passionnèrent peu à peu.
Jusqu'au début du quatorzième siècle, l'émail avait fait tous les frais des bijoux. Devenu, à cette époque, accessible à toutes les bourses, l'émail perdit la faveur dont il avait, jusqu'alors, joui auprès des grands, et l'on vit apparaître, pour le remplacer, les garnitures de boutons d'or, d'argent, de perles et de diamants, substituées aux agrafes.
On citait alors, comme le plus beau diamant connu, une pierre grosse comme un neuf de pigeon que, toute difforme qu'elle fût, le roi de Portugal attachait fièrement à son chapeau les jours de gala.

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Vers l'an 1470, la cour du duc Philippe de Bourgogne, à Bruges, était un séjour d'opulence et de luxe inouï. Ce n'étaient que fêtes, tournois et chevauchées : hommes et femmes étaient vêtus des plus somptueux costumes, couverts d'or et de pierreries. Mais ces pierreries étaient simplement détachées de la gangue, informes, et perdaient de ce fait la plus grande partie de leur beauté et de leur éclat.
Le fils du duc, Charles, qui n'était encore que comte de Charolais, possédait un gros diamant qu'il exhibait volontiers à son chaperon comme une rareté ; mais il se désespérait de penser que cette pierre qui, taillée, eût été si belle et eût jeté tant de feux, devait demeurer sans forme et presque sans éclat parce que personne jusqu'alors n'avait trouvé le moyen de tailler le diamant.
Or, à la même époque, chez l'un des principaux joailliers de la ville, était employé un jeune Flamand qui s'appelait Louis de Berquem. Comme il convient dans toute bonne légende, le joaillier dont il s'agit avait une fille belle comme le jour. Et vous avez deviné déjà que Louis de Berquem en était amoureux.
Mais le jeune homme était dépourvu de toute fortune. Et le père, impitoyable comme le sont tous les pères dans les légendes d'amour, ne voulait donner sa fille en mariage qu'à un homme qui eût de l'or.
Que faire ?... Le jeune bijoutier se désolait, lorsqu'un jour il vit son patron suer sang et eau sur un diamant qu'il essayait de tailler de son mieux. Vainement le joaillier avait essayé de la lime, du feu, de la meule. Rien n'entamait le diamant.
- Ah ! s'écriait-il, désespéré, quelle fortune ferait celui qui trouverait le secret de tailler ces maudites pierres !
Ce fut pour Louis de Berquem un trait de lumière. II ne pensa plus qu'à cela : trouver l'art de tailler le diamant. A force de recherches et de méditations, il songea que le fer était façonné par l'acier qui n'est que du fer purifié, et que, peut-être le diamant céderait au diamant.
Il fit l'essai. Ayant pris deux diamants, il les monta de manière à les maintenir, les égrisa et ramassa soigneusement la poudre qui en tomba. Puis, à l'aide de petites roues de fer qu'il imagina, il parvint, au moyen de cette poudre, à polir parfaitement les diamants et à les tailler à facettes.
Peu de jours après, il présentait ses deux pierres ainsi travaillées au riche joaillier, son patron, qui faillit, à cette vue, choir d'étonnement et de joie.
L'histoire ajoute que Louis de Berquem obtint aussitôt la main de celle qu'il aimait, et qu'il fit une grande fortune avec son procédé dont il ne divulgua le secret qu'après s'être enrichi.
Charles le Téméraire fut le principal client de Louis de Berquem. Dès qu'il connut la nouvelle de l'invention accomplie par le jeune Flamand, le prince l'appela au palais, et lui confia son gros diamant.
Louis de Berquem tailla et polit cette pierre, et rien n'égala la joie du Téméraire quand le joaillier lui rendit son diamant si éblouissant de lumières qu'il jetait des feux la nuit, et, disait le prince, « qu'il me pouvait servir de lampe de sommeil ».
Berquem reçut pour ce travail une récompense de trois mille ducats.
Vous plait-il de connaître l'histoire de ce premier diamant taillé ? La voici, rapidement résumée.
Cette pierre, que Charles le Téméraire affectionnait spécialement et qu'il portait dans toutes les circonstances fastueuses de sa vie, est celle qui, en janvier 1477, fut trouvée sur son cadavre après la bataille de Nancy. Un soldat, qui avait fouillé les habits du prince, la ramassa à cause de son éclat, mais sans en connaître la valeur puisqu'il la céda pour un écu à un curé qui était apparemment aussi ignorant que lui. Ledit curé, en effet, la revendit trois ducats à un marchand qui passait dans son village. Ce marchand la céda, on ne sait à quel prix, au duc de Florence.
Des mains de ce prince, le diamant passa au roi de Portugal, don Antonio, lequel, bientôt chassé de ses états et réfugié en France, fut obligé de s'en défaire.
Un des plus fidèles serviteurs de Henri IV, Nicolas de Harlay, sieur de Sancy, le paya soixante-dix mille francs.
C'est depuis cette époque que le premier diamant taillé s'appela le Sancy.
Or, raconte Collin de Plancy dans ses « Légendes des Origines », Henri IV, obligé de conquérir son royaume et se trouvant en grande détresse, envoya un jour son ami Sancy chez les Suisses pour leur demander secours, Sancy reconnut bientôt que l'argent seul pouvait faciliter sa négociation. Il chargea donc son valet de chambre, dont il avait éprouvé le dévouement, d'aller chercher à Paris son gros diamant qu'il y avait laissé, lui recommandant bien de prendre garde qu'il ne fût volé au retour par quelques-uns des brigands qui, en grand nombre, infestaient les routes.
- Ils m'arracheraient plutôt la vie que le diamant, répondit le fidèle serviteur.
Et il partit.
Ce que le sieur de Sancy avait craint arriva. Son valet de chambre fut arrêté par des voleurs, qui le pillèrent et le massacrèrent.
Sancy, ne le voyant pas revenir, ne put résister longtemps à ses inquiétudes. Il alla lui-même à la recherche de son domestique; et après maintes perquisitions, ayant découvert enfin qu'un homme, tel qu'il le dépeignait, avait été assassiné dans la forêt de Dôle et que des paysans l'avaient enterré, il se transporta sur les lieux, fit exhumer le cadavre, reconnut son serviteur dévoué, et, l'ayant fait autopsier, trouva le diamant, que le pauvre homme avait avalé pour le conserver à son maître.
Après avoir rendu les honneurs funèbres à son fidèle valet de chambre. Sancy s'en fut à Metz. Là, il mit son gros diamant en gage, et, avec l'argent qu'on lui prêta, il ramena des troupes à Henri IV.
Celui-ci se montra d'ailleurs singulièrement oublieux du service rendu. Quelques années plus tard il disgrâciait le fidèle serviteur qui n'avait pas eu l'heur de plaire à la Belle Gabrielle, alors toute puissante sur l'esprit du roi.
Sancy avait pu, cependant, dégager son précieux nantissement. En 1604, i1 vendait le diamant à Jacques Ier, roi d'Angleterre.
A la révolution anglaise, Henriette de France l'emporta avec elle. Pressée d'argent, elle le donna en gage, le 6 septembre 1655, en même temps qu'une autre pierre rare, le Miroir de Portugal, au duc d'Epernon qui lui prêta 360.000 livres.
La reine d'Angleterre n'ayant pu les racheter, ces deux pierres furent vendues, le 30 mai 1657, au cardinal Mazarin, qui à sa mort, les laissa à Louis XIV avec seize autres diamants désignés dans l'inventaire des bijoux de la Couronne sous le nom des dix-huit Mazarins.
A la Révolution, l'Assemblée ayant décrété que les diamants de la Couronne seraient désormais propriété nationale, le Sancy et les autres diamants furent déposés au Garde-Meuble, rue Saint-Florentin. La vente en avait été décidée au profit de la Nation, mais lorsqu'on vint pour chercher les pierres précieuses, on s'aperçut que presque toutes avaient disparu.
Dans la nuit du 16 au 17 septembre, des hommes avaient pénétré au moyen d'échelles de corde au premier étage du Garde-Meuble. Après avoir brisé les scellés apposés sur les portes, et avoir crocheté les serrures des armoires, ils s'étaient emparés des plus belles pièces du Trésor.
Le Sancy et le Régent étaient parmi les diamants volés. Le premier était entre les mains d'un nommé Cottet qui avait réussi à prendre la fuite. Le second fut retrouvé un an après le vol dans un cabaret du faubourg Saint-Germain. Napoléon le porta, le jour du sacre, au pommeau de son épée.
Mais le Sancy était perdu pour la couronne de France. On le retrouve quelques années plus tard en Espagne parmi les joyaux appartenant au prince de la Paix, puis entre les mains de Charles IV.
Il y fut vendu pour les besoins de la guerre, et, en 1829, il devint la propriété du prince Demidoff, grand-veneur de l'empereur de Russie.
Telle est l'histoire du premier diamant taillé ; on voit qu'elle ne fut pas exempte de tribulations.

***
S'il fallait faire, même de cette façon succincte, l'historique des diamants célèbres, un volume suffirait à peine, tant ces pierres ont subi de vicissitudes du fait de la rapacité humaine. Qu'il me suffise de rappeler les noms des plus connus :
Le Régent, la merveille de la couronne de France, est le plus estimé, sinon le plus gros, des diamants connus. Originaire des mines de l'Inde, il pesait, brut, 410 carats. ( Le carat correspond exactement à 205 milligrammes). L'opération de la taille, qui a duré deux ans et coûté 600.000 francs, l'a réduit à 136 carats 1/4.
Le Grand-Mogol, qui fait partie du trésor du chah de Perse, pèse 280 carats. C'était le plus gros diamant connu jusqu'en ces dernières années.
Le Koh.-I-Noor (103 carats 3/4) appartenait, au début du dix-neuvième siècle, au trésor du rajah de Lahore. En 1850, les troupes anglaises, qui pillèrent ce trésor, emportèrent la pierre fameuse qui fut offerte à la reine Victoria.
L'Orlov (193 carats), placé sous l'aigle impériale, au haut du spectre de la couronne de Russie, a été acheté par le prince Orlow pour l'impératrice Catherine II.
Le Chah, moitié plus petit que le précédent, fait partie également du trésor impérial russe.
Le Florentin (134 carats 1/5) appartient à la couronne d'Angleterre.
L'Etoile-du-Sud est le plus gros diamant trouvé au Brésil. Il pèse 125 carats 7/16.
Le trésor de Portugal a aussi un gros diamant de 205 carats ; le sultan en possède deux, de 147 et de 84 carats.
Citons, enfin, quelques pierres de moindre importance : le Piggot (82 carats 1/4), le Nassak (82 carats 3/4), le diamant bleu de Hope - ce fameux diamant bleu auquel on attribue le don de porter malheur à qui le possède - et le non moins célèbre diamant vert du musée de Dresde.
Mais toutes ces pierres ne sont rien, comme grosseur, auprès d'un diamant découvert il y a un peu plus de six ans, le 26 janvier 1905, dans la mine Premier, près de Prétoria, au Transvaal. Cet énorme diamant pesait, à l'état brut, 3.027 carats anglais, il mesurait dix centimètres de haut sur six de large. On l'appela le Cullinam, du nom du président de la société qui exploitait la mine où il fut découvert.
Conservé d'abord pendant quelque temps à Johannesburg, le Cullinam fut ensuite offert au roi d'Angleterre Édouard VII par le gouvernement du Transvaal.
Mais il s'agissait d'abord de le faire tailler. On l'expédia à Amsterdam à la plus célèbre taillerie de diamants, celle-là même que M. Fallières visita ces jours derniers.
Et savez-vous comment on expédia ce petit objet évalué à la modeste somme de 80 millions ? Tout simplement en un colispostal recommandé au tarif ordinaire, soit trois shillings. Il est vrai qu'il avait été assuré, sans que les autorités postales le sûssent, pour la somme de 500.000 livres.
Le Cullinam fut donc taillé à Amsterdam, comme y avaient été taillés, quelques années auparavant plusieurs autres diamants monstrueux, trouvés dans les mêmes mines, notamment le Jubilee qui pesait 239 carats, et l'Excelsior qui en pesait 970, et qui fut débité en un nombre considérable de petits diamants.
Du Cullinam, les tailleurs tirèrent cent cinq pierres.
Il y a d'abord les deux pierres principales, dont l'une pèse 516 carats 1/2 ; elle est taillée en pendeloque et a 74 facettes. L'autre, la plus belle des deux, n'a que 66 facettes et pèse 309 carats 1/4. Ces deux brillants sont de beaucoup les plus grands du monde entier.
En dehors de ces deux morceaux de roi, c'est le cas de le dire, les tailleurs d'Amsterdam ont tiré du Cullinam brut sept grands brillants pesant 92, 62, 18 1/2, 11 3/4, 6 1/2 et 4 1/3 carats, ainsi que 96 petits brillants pesant ensemble 7 carats 3/8. Et il y a eu neuf carats de déchets non taillés.
Les deux merveilles extraites du Cullinam furent offertes à Édouard VII ; et, ces jours derniers, elles ont figuré aux fêtes de la « Coronation » parmi les joyaux du roi et de la reine d'Angleterre.

ERNEST LAUT

Le Petit Journal illustré du 16 Juillet 1911