LES ITALIENS EN TRIPOLITAINE


Comme nos lecteurs le verront dans l'article qui suit sur « Cyrène et Tripoli », cette dernière ville est à peine différente de la vieille cité barbaresque du XVII siècle. L'autorité turque n'a jamais rien fait pour y introduire les progrès modernes, pas plus qu'elle ne s'est préoccupée d'organiser ce pays. « Il faut se demander, disait un écrivain, comment l'Europe a toléré si longtemps à ses portes l'opprobre d'une Afrique sauvage... » Alors que, l'Algérie, la Tunisie sont devenues en civilisation les égales des pays d'Europe, alors que la France fait tant de sacrifices pour porter au Maroc les lumières du progrès, cette malheureuse Tripolitaine, sous le joug indifférent de la Turquie demeurait avec ses tares et sa barbarie d'autrefois.
Tripoli avait été de tout temps le grand marché des esclaves, C'est là qu'aboutissaient les caravanes des négriers qui venaient vendre à Tripoli la marchandise humaine ramassée dans l'Afrique centrale.
Depuis soixante ans, la traite, supprimée par la loi, a subsisté clandestinement à Tripoli. Les Turcs n'ont jamais su prendre les mesures nécessaires pour faire cesser ce honteux trafic.
Ce sont des aventuriers anglais et portugais qui l'y pratiquent encore. Tripoli n'a pas cessé d'être le grand marché d'esclaves et d'eunuques de l'Afrique. On s'y approvisionne. Il y vient des caravanes.; il en repart pour tous les pays musulmans.
Malgré les défenses réitérées, les marchands d'esclaves n'ont jamais cessé d'y exercer leur négoce productif. C'est là que le sultan rouge approvisionnait son sérail et y recrutait ses gardiens.
Quand les Jeunes-Turcs s'empirèrent du pouvoir, on espéra un instant qu'ils feraient cesser ces scandales et ne souffriraient pas plus longtemps qu'un marché d'esclaves fût installé dans le dernier des États barbaresques... Ah ! bien oui !... Ces ardents réformateurs épuisèrent tout leur courage à massacrer les chiens de Constantinople. Ils n'osèrent rien tenter contre les trafiquants de chair humaine.
C'est par Tripoli encore que s'effectuait jusqu'ici un autre commerce non moins immoral et plus dangereux encore : la contrebande des armes destinées aux peuplades sauvages de l'Afrique centrale.
Les armes réformées vendues par les gouvernements européens étaient en général achetées par des trafiquants qui, après les avoir fait réparer, les expédiaient en masse à Tripoli. Là, les caravanes qui descendent vers le Tibesti, le Borkou, le Ouadaï, emportaient ces armes et les fournissaient à nos pires ennemis.
C'est ainsi que dans les combats où Moll, Fiegenschuh et leurs compagnons trouvèrent la mort, on constata que ces héros avaient été tués par les balles des fusils Gras réformés, fusils français vendus par l'État à des trafiquants et livrés par les caravanes de Tripoli aux indigènes du centre africain.
L'occupation de la Tripolitaine par l'Italie mettra fin à ces pratiques abominables. Elle ouvrira des régions nouvelles à l'activité européenne. La Cyrénaïque, jadis si fertile, retrouvera, grâce aux procédés de la culture moderne, sa richesse et sa fécondité. Le marché de Tripoli, d'où seront bannis désormais les marchands d'esclaves et les trafiquants d'armes destinées aux sauvages, se développera sous l'influence européenne. C'est la conquête définitive des derniers territoires de l'Afrique septentrionale occupés par la barbarie.
Tous les peuples civilisés doivent s'en réjouir.

Le Petit Journal illustré du 15 octobre 1911