La perte du plus grand paquebot Le " Titanic " a sombré après être entré en collision avec un iceberg. Nos lecteurs trouveront dans notre « variété » a description de ce géant des mers et le récit des conditions de son premier voyage d'Angleterre en Amérique. C' est peut être le plus grand sinistre maritime de l'histoire. La collision avec l'iceberg s'est produite le dimanche 14, à 10h.25 du soir, heure du lieu, soit lundi matin ,2h.20, heure de l'Europe occidentale. Le Titanic commença à couler dès 11 heures et dès ce moment les femmes furent transportés à bord des embarcations de sauvetage. C' est à minuit 27 que l' appareil de télégraphie sans fil cessa de fonctionner, ce qui s' explique par ce fait que la cabine de l'opérateur était placée à l' avant et que c'est par là que le transatlantique coulait .Il a sombré quatre heures après la collision, ce qui est un temps très court pour un bateau de cette taille. Les navires qui reçurent les radiogrammes du Titanic arrivèrent trop tard. Le Carpathia, qui parvint le premier, au lever du jour, à l'endroit où il espérait trouver le Titanic, ne vit plus que des embarcations et des épaves. Il recueillit les xxx personnes qui montaient ces embarcations. Le reste des passagers et de l'équipage, soit près de 1.300 personnes, ont péri. VARIÉTÉ Le Naufrage d'un Géant des Mers La lutte pour l'empire de l' océan. - Le " Titanic ".- Un palais flottant .- Dans les glaces.- Le génie humain contre la force aveugle de la nature. Depuis quelques années , c'est entre les grandes compagnies transatlantiques anglaises et allemandes une lutte incessante pour la royauté de la mer, une lutte pour le confort et pour la vitesse. En 1903, les Allemands mettent en service le Deutschland, qui va à New-York en 5 jours 12 heures ; en 1906, le Kaiser-Wilhelm, 5 jours 8 heures. Les Anglais, en 1907, lancent le Lusitania, qui fait la traversée en 4 jours 20 heures. En 1908, le vaisseau allemand Kronprinz-Wilhelm va à New-York en 4 jours 15 heures. L' année suivante, le paquebot anglais Mauretania gagne 22 minutes sur son concurrent allemand. Mais les deux pays ne se disputent pas seulement la palme pour la vitesse ; ils luttent encore à qui fera le navire le plus grand, le plus confortable, le plus complet au point de vue des plaisirs de toutes sortes offerts aux passagers. L'Olympic et son frère le Titanic, qui vient de disparaître, marquaient jusqu'ici les plus grands progrès accomplis quant au confortable. Mais les compagnies allemandes ne veulent pas laisser le dernier mot à leurs rivales d' Angleterre. On construit, paraît-il, en ce moment, en Allemagne, un paquebot qui pourra contenir 4.500 personnes. En même temps, la White Star Line, la compagnie anglaise à laquelle appartenait le Titanic, construit à Belfast un transatlantique qui sera plus grand encore, plus luxueux et plus confortable s' il est possible que le navire géant qui vient de sombrer dans les glaces de Terre-Neuve. Celui-ci s'appellera le Gigantica. Le Gigantica mesurera 333 mètres de longueur, déplacera 70.000 tonnes, et coûtera cinquante millions de francs. Ce sera le véritable hôtel moderne de l' océan. On se demande où s'arrêtera ce délire des grandeurs. *** Ce Titanic, qui vient de sombrer dans les parages de Terre-Neuve à la suite d'une collision avec un iceberg, était un merveilleux navire, un véritable palais flottant. Il pouvait contenir une population de plus de trois mille personnes. Ses aménagements réalisaient tous les perfectionnements de nature à donner aux voyageurs le maximum de confort. Éclairage et chauffage à l' électricité, salles de bains, salles de concert, de lecture, salons luxueux, fumoir, pour prendre le café. Les cabines étaient de vraies chambres munies, non point comme naguère de couchettes, mais de vrais lits très larges où l' on dormait à l' aise. La grande salle à manger des premières pouvait contenir plus de cinq cents convives. Tous les sports étaient à la disposition des passagers. Leur plaisait-il de faire une pleine eau, de passer au hammam, de faire une partie de pelote, ou même d' éprouver les plaisirs de l' équitation, il y avait piscine, bain turc, salles d' exercices et appareils donnant l'illusion de la chevauchée. Ce géant de la mer avait près de trois cents mètres de long, sur vingt-neuf de large. De l' extrémité de ses cheminées au bas de la quille, il comptait 53 mètres. L' arc de triomphe de l' Étoile, placé sur la quille, n' eut pas atteint la hauteur des cheminées. Chacune de ses quatre cheminées eut pu donner passage à un train du Métropolitain. Le navire ne comptait pas moins de huit étages, reliés entre eux par des ascenseurs. Le logement du commandant était à vingt-deux mètres au-dessus de la flottaison, c' est-à-dire à la hauteur d' une maison de sept étages. C' était le paquebot idéal pour les milliardaires américains. Ils pouvaient y retenir des appartements privés et s'y offrir le luxe d' un voyage sur l'Océan avec toutes les commodités qu'on ne trouve qu 'à bord d' un yacht particulier. Et cela ne leur coûtait que la bagatelle de 22.000 francs pour un voyage, c' est-à-dire pour un peu plus de quatre jours. Le prix de la traversée n' était pas, comme vous le voyez, à la portée de toutes les bourses. Vous plaît-il d' avoir une idée des provisions et du matériel de table nécessaires pour un voyage d' Angleterre en Amérique de ce gigantesque vaisseau ? ....Voici une liste de ce qui fut embarqué le 10 avril à Southampton à bord du Titanic : 38.000 kilos de viande fraîche ; 35.000 oeufs frais ; 12.500 kilos de volaille ; 40.000 kilos de pommes de terre ; 7.000 litres de lait ; 1.200 litres de crème ; 5.000 kilos de sucre ; 250 barils de farine ; 10.000 kilos de légumes ; 12.000 bouteilles d' eau minérale ; 15.000 bouteilles de bière ; 10.000 bouteilles de vin ; 7.000 verres ; 25.000 pièces d' argenterie ; 5.000 couteaux ; 6.000 plats, d' assiettes, surtouts, etc. Et voulez-vous savoir comment s' établit le budget d' un de ces monstres de l' Océan ? Rien de plus facile. Voici pour l' aller et retour la note des dépenses et des recettes de ces grands paquebots modernes : Dépenses.- Intérêt du capital , 28.000 francs ; amortissement , 51.250 fr. .: salaires , 50.000 fr.;vaisselle et ustensiles, 25.000.;charbon, 125.000 fr. ; vivres, 100.000 fr. ; droits de port, 25.000 fr.; eau, huile, etc.,15.000 fr .; assurances, 30.500 fr. - Total : 449.750 fr.Recettes.- Passagers, 700.000 fr. ; marchandises. 12.500 fr . ; bénéfices sur vins et cigares, 15.500 fr . ; subvention, 58.750 fr .- Total : 783.750 fr.Le bénéfice pour chaque voyage, aller et retour, peut donc atteindre 783.750 - 449.750, soit 334.000 fr. Merveilleux témoignage de la puissance industrielle de l' homme : ce formidable navire, comme son frère aîné l' Olympic, avait été construit en moins de deux ans et demi. Ces jours derniers, il apparaissait sur la rade de Southampton, imposant et superbe. Il allait entreprendre son premier voyage en Amérique. Il s' éloigna des côtes d' Angleterre le mercredi 10 avril, marchant à la vitesse réduite de 19 noeuds pour régler ses compas. Le soir , il arrivait sur la rade de Cherbourg ; y faisait son entrée au son de la Marseillaise, tous ses feux allumés, et la ville entière accourait sur la digue pour admirer le superbe navire. Une heure plus tard, il gagnait la haute mer, à la vitesse de 21 noeuds, et poursuivait sa route vers New-York. *** Il ne devait même pas achever sa première traversée.D' ordinaire, la débâcle des glaces polaires entraînant dans l' Atlantique d' énormes icebergs qui vont se fondre dans les eaux du tropique, ne se produit guère avant le mois de mai, la hauteur des bancs de Terre-Neuve, de gigantesques banquises barrent alors la route aux navires, les assaillent, les heurtent au passage. Cet endroit, terreur des marins est ce lui qu' on appelle le cimetière de l' Océan. Deux ennemis terribles y guettent les vaisseaux : les glaces et les brouillard. Tantôt c' est le heurt contre l' iceberg, tantôt la collision contre un navire qui vient en sens contraire et qu' on n' a pas aperçu à cause de l' intensité de la brume. Là, des centaine de bateaux ont péri, depuis le paquebot géant jusqu' à la modeste goélette du pêcheur terre-neuve. C' est là que, le 4 juillet 1898, le transatlantique français la Bourgogne, abordé par un petit bâtiment anglais, le Cromartyshire, au milieu d' un épais brouillard, fut coupé en deux et sombra dans l' abîme, engloutissant plus de cinq cents de ses passagers. A cette époque de l' année, ces parages ne sont généralement pas dangereux. Or cette fois, la banquise est apparue plus tôt que de coutume. Quelques jours avant le naufrage du Titanic, des navires l' avaient déjà rencontrée. Le Carmania, de Liverpool, et le paquebot français Niagara, du Havre, arrivés tous deux à New-York le 15 avril, s' étaient trouvés engagés dans les glaces quatre jours auparavant. Le Carmania avait dû contourner le champ de glace, qui avait une étendue de prés de cent milles. De vieux marins de ce navire, qui ont fait un grand nombre de fois la traversée, racontent qu' ils ne virent jamais à pareille époque la banquise et que jamais ils ne virent champ de glace aussi considérable que de cette année. Le Carmania put passer sans encombre, mais le Niagara fut heurté à deux reprises par les glaces et il arriva à New-York avec deux brèches sous sa ligne de flottaison. C' est du Groênland, du Spitzberg, de la Terre de François-Joseph, que proviennent ces formidables bancs de glace. Un familier des mers polaires assurait, dernièrement dans les parages du Groënland qui jaugent jusqu 'à 18 millions de mètre cubes, volume qui correspond à celui d 'un cube de 283 mètres de hauteur. On en voit souvent qui ont jusqu' à deux kilomètres de longueur. Ces blocs de glace s' élèvent parfois de plus de cent mètres au-dessus du niveau de la l' Océan ; et la partie émergée ne représente que le huitième ou le dixième de la masse totale. On peut juger par là de la profondeur à laquelle les icebergs s' enfoncent dans l' eau. La quantité d' icebergs qui sont entraînés en travers de la route des transatlantiques au moment du printemps est d' ailleurs incroyable. Des passagers du paquebot postal faisant le service du Labrador en comptent souvent jusqu' à deux ou trois cents par jour. En 1903, le vapeur Pelican, de la compagnie de la baie d' hudson , croisa au large d' Ungava un iceberg de 15 kilomètres de long et haut de 80 mètres.En 1905, le vapeur Charybdis en trouva 78 dans la baie White ; l' un d 'eux atteignait 130 mètres de hauteur .Dans un important article de Stand Magazine, M. P-T. Mac Grath a exposé longuement l' étendue du danger que font courir à la navigation les glaces flottantes. D' après lui, ce qui rend si périlleuse pour un navire sa collision avec un iceberg, c' est que celui-ci, sous l' effet du choc, opère un mouvement de bascule. L' iceberg est, en effet, soumis à l' action de deux facteurs, dont l'effet combiné donne un équilibre si instable qu' il suffit, pour le faire basculer, d'une légère pression. Ces deux facteurs sont l'action corrosive de l' eau salée sur la portion immergée de l' iceberg celle de la chaleur sur la partie qui émerge. Ainsi, il arrive parfois que des pêcheurs de l' île de Terre-Neuve, coupant à coups de hache des fragments de glace d'un iceberg pour conserver les poissons pêchés par eux, provoquent un mouvement de bascule de la masse flottante et périssent écrasés avec leur bateau. On peut dés lors imaginer ce qui se produit lorsqu' un « lévrier de l' Océan » entre en collision avec un véritable mur de glace, qui apparaît soudainement dans le brouillard. Il est trop tard pour qu'aucune manoeuvre puisse dégager le navire. Tout ce que peuvent souhaiter les passagers, dit M. Mac Grath, c'est que l'iceberg résiste au choc ; car de cette façon, le navire peut s'en tirer avec son avant défoncé. Mais si la masse glacée bascule, ou bien elle écrase le navire en tombant sur le pont, ou bien son mouvement se produit de telle sorte qu'elle le frappe de bas en haut et défonce entièrement sa coque. C'est là ce qui a dû se passer pour le Titanic.« Il est moralement certain, lit-on dans cet article, que la disparition mystérieuse de plusieurs gros navires au cours des récentes années est due uniquement aux glaces flottantes. En effet, aucun orage, si violent fut-il, ne pourrait avoir raison d' un transatlantique moderne ; il faut également écarter l'hypothèse du feu ; enfin, une collision avec un autre navire ne met pas nécessairement un paquebot en danger, et dans bien des cas un navire ainsi endommagé réussit à gagner plus ou moins péniblement un port quelconque. Il faut une force véritablement titanique pour anéantir ainsi une de ces forteresses flottantes ...» Et l'auteur ajoute que le marin le plus expérimenté est impuissant à éviter une collision avec une de ces montagnes flottantes placées soudainement en travers de sa route. Que peut, en effet, le plus puissant navire du monde contre le heurt d' une telle masse ! Malgré l'épaisseur de sa carène, malgré ses cloisons étanches, le Titanic devait succomber dans cette rencontre. Ainsi, les forces aveugles de la nature réduisent parfois à néant en un instant les oeuvres les plus grandioses et les plus parfaites du génie humain. Ernest Laut . Le Petit Journal du 28 Avril 1912 |